Le ministère de la Santé et le Conseil national des droits de l’homme viennent de signer une convention pour lutter contre la discrimination des malades du sida. Les dessous d’un accord politiquement correct.
Le chiffre est alarmant : en 2013, 65% des nouveaux cas de sida dépistés au Maroc concernaient les toxicomanes, les travailleuses du sexe et les homosexuels. « Plusieurs études ont démontré que dans les pays du sud en particulier, la discrimination envers certaines catégories sociales considérées comme fragiles conduit à leur exclusion de la chaîne de prévention et de prise en charge de la maladie », explique Moulay Ahmed Douraidi, coordinateur national de l’Association de lutte contre le sida (ALCS). Pour mettre fin à la stigmatisation des populations vulnérables et leur permettre un accès aux soins, le ministère de la Santé et le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) ont signé, ce lundi 12 mai, une stratégie nationale sur les droits humains et le VIH-Sida. Visant à abolir toute forme de discrimination, cette convention vient renforcer le plan stratégique national de lutte contre le sida, initié en 2012 par le ministère de la Santé. A cette époque, le nombre de personnes vivant avec le VIH au Maroc était estimé à 29 000 cas. Pour faire face à l’urgence de la situation, le plan prévu jusqu’en 2016 a été doté de plusieurs objectifs. Parmi ceux-ci, réduire de 50% le nombre de nouvelles infections par le VIH et de 60% la mortalité chez les personnes déjà atteintes. Mais ces objectifs ne couvrent pas les populations à risque, à l’instar des prostituées et des toxicomanes.
Aujourd’hui, la nouvelle stratégie nationale vient donc combler cette lacune. « Le citoyen porteur du virus du sida est exclu dans sa famille et dans les structures de soins de l’Etat. Il est obligé de passer par les ONG pour bénéficier d’un dépistage ou d’une thérapie. L’objectif de cette convention est de casser ce cercle vicieux », explique le docteur Omar Battas, membre du CNDH.
« La loi tue plus que le virus »
Pourtant, le Conseil national des droits de l’homme se garde bien de citer nommément les catégories visées par cette convention. C’est que, justifie Omar Battas, « cet accord concerne la levée de toutes les formes de discrimination devant le traitement et la prise en charge totale du malade ». Le plus grand perdant risque pourtant d’être la santé publique au Maroc. « Les dispositions incriminant les rapports sexuels entre deux adultes consentants, même tarifés, ne doivent pas
empêcher les mesures préventives comme l’incitation à l’usage de préservatifs », martèle Moulay Ahmed Douraidi, qui précise : « Craignant la répression, les travailleuses du sexe n’utilisent pas de préservatifs, de peur que ça ne serve de pièce à conviction en cas d’arrestation. Ce sont des pratiques qui cassent toutes les stratégies de prévention. Malheureusement, certaines dispositions de la loi tuent plus que le virus ». Des propos qui cachent à peine le débat sur l’abrogation des articles du Code pénal incriminant la prostitution ou l’homosexualité.
Manœuvres politiques
Quelques jours avant la signature de cette convention, Ahmed El Hilali, vice-président du Mouvement unicité et réforme (MUR), matrice idéologique du PJD, tirait à boulets rouges sur la demande exprimée par certains militants d’abroger l’article 489 du Code pénal qui criminalise l’homosexualité. Au même moment, le CNDH, dans un souci d’ingénierie juridique, est allé puiser dans les libertés fondamentales consacrées par le Maroc, ainsi que dans un certain nombre de conventions qu’il a signées, avant de nouer son partenariat. Le Conseil espère aboutir, à court terme, à l’application de plusieurs recommandations fixées par les acteurs locaux de la lutte contre le sida et l’ONUSIDA, programme des Nations unies. Parmi ces recommandations, le financement de programmes d’échange d’aiguilles et de seringues des consommateurs de drogue, ainsi que l’obligation pour l’État de garantir aux travailleuses du sexe et à leurs clients l’accès à un service de soutien. Et, surtout, l’abrogation des lois interdisant aux adultes consentants d’être clients ou acteurs du commerce du sexe. La balle est maintenant dans le camp du gouvernement Benkirane.
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