Chouk Essedra, l’envers du décor

TelQuel s’est glissé dans les coulisses du tournage de la nouvelle série télévisée réalisée par Chafik Shimi. Récits entre couacs et imprévus.

Intérieur jour, couloir de la prison. Belyout Saidi avance en portant sur son dos un codétenu gravement malade. Il s’arrête après quelques pas et lève la tête vers l’étage où se trouve l’inspecteur Jawi. Les deux hommes se fixent avec défi. « Coupez ! », lance l’assistant réalisateur d’un ton ferme. Nous sommes dans l’ancienne prison agricole de Aïn Ali Moumen à Settat. Dans ces locaux déserts, il ne reste qu’une poignée de gardiens pour surveiller la paperasse qui n’a pas encore été déménagée. En ce dimanche 5 avril, le pénitencier reprend vie en servant de décor au tournage de Chouk Essedra, nouvelle série TV écrite et réalisée par Chafik Shimi. Le réalisateur, friand d’adaptations, avait transformé La Terre d’Emile Zola en Oujaâ Trab, série à succès diffusée sur 2M en 2006. Son nouveau projet ne déroge pas à la règle : Chouk Essedra n’est autre que son interprétation du classique Les Misérables de Victor Hugo. Ambitieux, Shimi prévoit 60 épisodes, produits pour le compte de la SNRT, de 42 minutes chacun. Un format jusque-là inédit à la télévision nationale.

Jean Valjean à la marocaine

Belyout Saidi est un Jean Valjean transposé à l’époque du Maroc colonial. Sauf qu’il n’a pas été condamné pour un pain volé, mais pour avoir acheminé vivres et couverts à des résistants dans la région de Boughafer, célèbre pour la bataille contre l’occupant dont elle a été le théâtre en 1933. Belyout est traqué par l’inspecteur Jawi, réplique du personnage de Javert imaginé par Hugo. La scène qui vient d’être tournée est fondamentale dans le récit. C’est la première fois que Belyout et Jawi se croisent. Les deux hommes ne s’oublieront plus jamais. Comme dans le roman, Javert finira par capturer Valjean, dix-huit ans après leur première rencontre. Le tournage de cette scène a pris cinq minutes environ, et sa préparation technique a duré près d’une demi-heure. Mais avant d’en arriver là, l’équipe a déjà passé une longue journée de tournage, partagée entre les contraintes techniques et artistiques, avec quelques surprises au passage. En voici le récit en quelques claps.

Le casse-tête des figurants

11 h du matin. Sous un soleil de plomb, le plateau de tournage fourmille comme une ruche. L’équipe, à pied d’œuvre depuis 9h, a déjà bouclé deux séquences. Pour passer à la suite, il faut déplacer la caméra et le lourd travelling, brancher d’énormes projecteurs, réunir les figurants dispersés ça et là, prévenir les acteurs principaux, s’assurer que la maquilleuse et le clapman sont là…

Pendant ce temps, Chafik Shimi, qui joue lui-même le rôle de Belyout, discute avec Sergio Salvati, le directeur de la photographie. A propos de ce dernier,  l’acteur Abdelkbir Houzirane, qui incarne l’inspecteur Jawi, s’extasie : « Il est extraordinaire. C’est une école. C’est du grand calibre ». Sergio Salvati a cinquante ans d’expérience dans le cinéma. C’est lui qui a dirigé la lumière dans – excusez du peu – Le Bon, la brute et le truand et L’exorciste, pour ne citer que ces deux œuvres. « C’est un passionné. Il travaille pour le plaisir. Il a accepté un cachet modeste, c’est presque du bénévolat pour quelqu’un comme lui », confie fièrement Chafik Shimi.

12 h. « Moteur demandé », tonne le réalisateur. Ce qui veut dire silence, on tourne ! La scène est un « plan de transit », pas très important dans le récit mais il sert de transition, comme son nom l’indique, pour la suite des évènements. Il s’agit d’une visite familiale. Séparés par les barreaux, familles et résistants détenus échangent quelques mots, tous en même temps, créant une cacophonie voulue dans le scénario. A priori, ce n’est pas la mer à boire, et pourtant la scène sera rejouée au moins cinq fois. A chaque reprise, l’assistant réalisateur fixe au centimètre près la place de chaque figurant, sa posture. On coupe et on recommence, à cause de l’expression d’un visage parmi quinze autres qui ne plaît pas. « C’est un peu trop », semblent dire les mines des figurants et du clapman. Mais il faut attendre jusqu’à la prise finale, qui sera « la bonne », et comparer avec les autres pour se rendre compte que c’est beaucoup mieux et qu’on ne voit pas forcément ce que voit le réalisateur. « Les figurants sont très difficiles à diriger devant une caméra », explique Chafik Shimi. Mais il y a pire…

Une heure pour une réplique

16h40. L’équipe a fini de déjeuner. La prochaine séquence se déroule dans le couloir de la prison. Le médecin français ouvre la porte de la cellule, regarde le prisonnier (un résistant, ndlr) avec dédain et lui fait signe de s’approcher. Le prisonnier : « Je suis malade, docteur ». Le médecin : « J’espère que vous allez crever, vous et vos amis, dans les pires conditions ». Cette scène, ainsi décrite dans le script, a pris… une heure. Le comédien censé jouer la scène bégaie, du moins devant la caméra. La gorge serrée, il n’arrive pas à terminer sa phrase. Et c’est sans compter l’intonation, ou parler de l’interprétation. Après trois ou quatre essais peu concluants, on pense à le remplacer. Mais où trouver un remplaçant, ici, dans la banlieue de Settat ? D’autant que les délais sont serrés, et que le tournage doit être bouclé le jour même.

L’équipe, furieuse au départ, finit par compatir. La mine de l’acteur indique qu’il est couvert de honte. Il veut prouver qu’il est capable de prononcer sa réplique. En vain. Sa voix s’éteint dès qu’il entend « Action ». Chafik Shimi a alors une idée : on redécoupe la scène. Il n’y aura pas de dialogue. Le  médecin sera le seul à parler, puis on collera les morceaux du dialogue au montage. Les prises ne seront donc plus les mêmes. La courte réplique du détenu est même coupée en deux parties, pour qu’il réussisse à la prononcer. Résultat, il l’a accouchée dans la douleur, après une heure d’essai. Quant au médecin, il s’est éclipsé immédiatement après.

Le clap de la fin

20h45. L’équipe technique a fini de déplacer tout le matériel pour la scène suivante. On va tourner la rencontre entre Belyout et Jawi. Mais une panne d’électricité bloque tout au moment d’allumer la caméra. Sur le champ, le staff se met à courir dans tous les sens pour chercher le groupe électrogène. On échange sur l’origine de la faille. On monte et démonte plein d’engins. Après quelques minutes de stress, la lumière fut de nouveau.

21h15. «Fin de journée», lance quasiment à l’unisson l’équipe soulagée. Demain, une nouvelle journée les attend. De nouveaux moments à partager ensemble et de nouvelles poussées d’adrénaline. 

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