C’est officiel, Abdelilah Benkirane vient de boucler une moitié de mandat. L’occasion de pointer les changements que le Chef du gouvernement a insufflés, mais aussi les attentes auxquelles il n’a pas su, ou pu, répondre.
Abdelilah Benkirane entame la cinquième session parlementaire de sa législature. Depuis Abderrahman Youssoufi, tous ses prédécesseurs se sont pliés à l’exercice du bilan de mi-mandat, une pratique que perpétue l’actuel Chef de gouvernement en y ajoutant toutefois sa petite touche personnelle : pour la première fois, ce sont les médias qui ont eu la primeur de son bilan. Plusieurs semaines avant que son chef ne s’exprime devant le parlement, le ministre de la Communication a en effet rendu public un rapport intitulé « Action du gouvernement en 2012-2013 : impacts préliminaires et perspectives d’avenir ». Une première qui n’a pas été du goût de tout le monde, mais qui est assez symptomatique d’une des caractéristiques principales de l’actuel Chef de gouvernement : son aptitude à communiquer.
Communication. Un nouveau langage
Car il faut au moins lui reconnaître ça : Benkirane a, dès ses débuts à la tête du gouvernement, tenté de donner une nouvelle image de la primature. Alors que son prédécesseur Abbas El Fassi pouvait sembler distant, voire absent, l’actuel Chef du gouvernement ne délaisse jamais très longtemps le terrain de la communication. Meetings devant ses partisans du PJD, discours mensuels et réponses aux questions du parlement, interviews accordées à des médias de tous bords, le moins que l’on puisse dire est que Benkirane occupe le terrain de la com’, parfois même à son insu. Il n’est d’ailleurs pas à l’abri des couacs et des erreurs de jugement, comme lorsqu’il tonnait, sans les nommer, contre les « mauvais génies » et les « crocodiles » qui entravent son action gouvernementale ou lorsqu’il dénonçait, dans les colonnes d’un de nos confrères, l’interventionnisme néfaste des conseillers du roi. Mais ces erreurs de jeunesse sont maintenant remisées au placard. Le nouveau Benkirane a mis de l’eau dans son vin et son principal succès est sans aucun doute d’être parvenu à « normaliser » le PJD qui, désormais, ne fait plus figure d’épouvantail. Exit le loup islamiste et la chape de plomb moralisatrice qui menaçait de se refermer sur la société marocaine : arrivé à mi-mandat, crise économique oblige, Benkirane a adapté son discours populiste aux contraintes de la technocratie triomphante.
Social. Des acquis et des déceptions
C’est sur le terrain social que Benkirane a choisi d’axer son action et sa communication. En décidant d’être un Chef de gouvernement « normal », il a aussi implicitement signifié qu’il faisait siennes les préoccupations des classes défavorisées. C’est d’ailleurs le sens du bilan chiffré présenté par Mustapha El Khalfi il y a quelques semaines, où les réalisations du gouvernement sur le terrain social se taillent la part du lion : baisse du prix de plus d’un millier de médicaments, lancement du régime d’assistance maladie (RAMED, pensé par le gouvernement précédent), attention particulière accordée au monde rural avec le doublement des crédits accordés à son développement et à son désenclavement, priorité donnée à l’éducation avec l’élargissement du programme Tayssir d’aide financière aux familles nécessiteuses et le lancement d’un nouveau programme, Massar, pour une meilleure coordination des différents intervenants du secteur éducatif, etc. La liste n’est certes pas exhaustive, mais le serait-elle qu’elle ne cacherait pas la déception palpable d’une partie de l’électorat traditionnel de Benkirane et de son parti. Un sondage réalisé en janvier dernier par TIZI (Tariq Ibnou Ziad Initiative) et l’institut Averty pointe en effet l’érosion de la cote de popularité du Chef du gouvernement qui, en six mois, est passée de 68 à 53%. Cette érosion est particulièrement sensible dans les couches les plus défavorisées de la population : en janvier dernier, 52% des CSP D et 37% des CSP E avaient confiance en Benkirane quand, six mois plus tôt, la popularité du Chef du gouvernement dans ces mêmes catégories socioprofessionnelles culminait respectivement à 72 et 76%.
Corruption. Une lutte en trompe-l’œil
S’il est un domaine où le gouvernement n’a pas tenu ses promesses, c’est bien celui de la lutte contre la corruption. Passés les effets d’annonce, Benkirane semble avoir rendu les armes. On se souvient de la campagne électorale du PJD et des premiers mois prometteurs du gouvernement Benkirane : réévaluation à la baisse du train de vie des ministres, transparence sur leur patrimoine, publication des listes de titulaires d’agréments de transport, croisade du ministre PJD Lahcen Daoudi contre les enseignants cumulards et absentéistes, campagne de communication sur la corruption par le biais de spots TV, radio et clips… Mais Benkirane s’est vite essoufflé dans son élan, à tel point que le gouvernement est aujourd’hui peu réceptif – et c’est un euphémisme – aux sollicitations de l’Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC). Le gouvernement n’a pourtant pas de quoi pavoiser, et c’est là aussi un euphémisme. Selon Transparency International, dont l’Indice de perception de la corruption (IPC) est la principale référence en la matière, en 2013, avec un IPC stagnant à 37%, le Maroc était classé 91e sur 177 pays, soit un recul de trois places par rapport à 2012. Etonnamment, il faut remonter à 2009 et 2010 pour retrouver des statistiques encourageantes : en deux ans, le royaume avait alors gagné 9 places au classement de Transparency International, se hissant au 80e rang. Cette progression est clairement due à la création, en 2008, d’une instance dédiée à la prévention de la corruption. Mais la stagnation actuelle du Maroc dans le classement international indique tout aussi clairement que les attentes nées de ce signe de bonne volonté n’ont pas été comblées par le pouvoir exécutif.
Economie. Le plus dur est-il derrière nous ?
Bizarrement, c’est là où on l’attendait le moins que Benkirane s’en sort le mieux. On disait son gouvernement peu armé pour faire face à la crise économique : regorgeant de profils politiques, il manquait de compétences économiques. Pour preuve de l’inquiétude ambiante, le gouverneur de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, avait, il y a un an, tiré la sonnette d’alarme, n’hésitant pas à brandir le spectre du douloureux programme d’ajustement structurel vécu par le Maroc en 1983. En 2012, le royaume affichait ainsi une modeste croissance de 2,7% et un déficit budgétaire de 7,6%. Force est de constater que 2013 a été un meilleur cru : la croissance du PIB a atteint 4,4% tandis que le déficit a été ramené à 5,4%. En cause, l’exceptionnelle année agricole qui a boosté l’économie du pays avec, entre 2012 et 2013, une hausse de plus de 20% de la valeur ajoutée du secteur primaire. Si bien que le FMI, qui anticipait (en les craignant) des troubles sociaux liés aux réformes impopulaires qu’il préconisait, notamment celle du système de compensation, vient, une fois n’est pas coutume, de tresser des lauriers à la politique économique du royaume. Dans ses « Perspectives de l’économie mondiale », publiées au début du mois d’avril, le FMI note que « l’activité économique se ralentira au Maroc, mais elle sera de plus en plus tirée par les secteurs non agricoles, par suite des réformes menées pour diversifier l’économie ». En 2015, le gendarme de l’économie mondiale prévoit même pour le Maroc une croissance de 4,9%, ce qui placerait le royaume en troisième position dans la région MENA, derrière le Qatar (7,1%, boosté par les investissements de la Coupe du Monde 2022) et l’Irak (6,7%, qui revient de très loin). Une ombre néanmoins au tableau : la stagnation du taux de chômage autour de 9% dans les prévisions du FMI pour 2014 et 2015.
Institutions. Attentisme et frilosité
Le chantier institutionnel est aussi un domaine où Benkirane était très attendu. Beaucoup d’électeurs avaient fait le pari qu’en accédant au gouvernement, le PJD serait en mesure de lutter âprement pour élargir les prérogatives de la primature et que, de manière générale, c’était le seul parti capable de faire émerger des contre-pouvoirs concurrençant la toute-puissance monarchique. La législature de l’actuel Chef de gouvernement a en effet cela de particulier qu’elle a débuté sous les auspices d’une nouvelle constitution. Une des missions les plus importantes de Benkirane est donc de proposer les textes d’application de cette constitution et notamment les lois organiques. Et, de ce point de vue, le Chef du gouvernement a jusqu’ici brillé par son attentisme. Sur la vingtaine de lois organiques attendues, seules sept ont pour l’instant été adoptées, dont trois dans les deux derniers mois. Comble de l’ironie, le Chef du gouvernement s’est fait taper sur les doigts lorsqu’il a présenté au Palais son projet de loi organique sur le Conseil de régence, alors même qu’aucune disposition constitutionnelle ou légale ne l’oblige à demander l’aval du roi en la matière. Autre terrain en jachère, celui des élections communales, pour lesquelles aucune date n’a été arrêtée. Les prévisions les plus optimistes tablent sur 2015, mais gageons que Benkirane n’en décidera pas seul. Car voilà au moins un domaine, celui de la gestion territoriale locale, où la monarchie n’entend pas laisser carte blanche à son docile Chef de gouvernement.
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous
Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer