Le sentiment a toujours existé, mais les preuves manquaient : si vos revenus sont modestes, il y a de fortes chances que vos enfants connaissent à leur tour des fins de mois difficiles. Si vous comptez parmi les chanceux, votre progéniture pourrait en revanche, avec un peu de sacrifices, grossir le capital familial.
Rendre compte de la mobilité sociale et de ses enjeux n’est pas chose aisée. Au Maroc, son analyse précise en est encore à ses balbutiements. A ce jour, une seule enquête nationale, relevant du Haut commissariat au plan, menée en 2011 et consacrée à la mobilité sociale intergénérationnelle, offre quelques éléments de réponse. Ses premiers résultats, publiés en novembre 2013, dessinent le phénomène : 68% des Marocains de plus de 35 ans appartiennent à un groupe socioprofessionnel différent de celui de leurs pères. S’il semble impressionnant, ce pourcentage reste malgré tout un sursaut en trompe-l’œil. La mobilité dite ascendante, à savoir une élévation dans le système de classes, ne bénéficie qu’à une partie de la majorité. Quant aux étanches frontières des classes qui les séparent, les Marocains, loin de faire des bonds en avant, tentent encore de les franchir à sauts de puce.
Maigres chances et grandes aspérités
Diagnostiquée par des chercheurs, notre société se définit par sa « faible fluidité ». Les citoyens, dans leur grande majorité, ne peuvent espérer se déplacer sur l’échelle sociale qu’entre catégories sociales les plus proches. Une courte amplitude de la mobilité dont ils sont conscients, affirme l’enseignant et doctorant en sociologie Saâdeddine Igamane. « Les individus croient possible de passer de la classe pauvre à la classe moyenne, ou de la classe moyenne inférieure à la supérieure », théorise le chercheur. Badr, 29 ans, fait partie du lot. Fils d’un gardien d’école primaire et d’une femme de ménage, l’homme travaille dans un centre d’appel depuis bientôt cinq ans. « J’ai arrêté de vivre chez mes parents au bout de deux ans de travail. Aujourd’hui, c’est moi qui prends en charge les frais de scolarité de ma petite sœur. Je suis considéré comme la fierté de la famille, même si je n’ai pas l’impression d’être encore au top », confie-t-il. « Je sais que je ne serais jamais aussi riche qu’un ministre ou un businessman, mais j’aspire à vivre confortablement », poursuit Badr. A la fin de chaque semaine de labeur, il passe une nuit chez sa famille, dans l’un des quartiers populaires à la sortie de Rabat. L’occasion pour lui de retrouver ses anciens camarades de classe et voisins, pas toujours aussi bien lotis que lui. « On était ensemble au collège avec Badr, raconte Imad, 30 ans. Il n’était pas meilleur que moi, il a juste eu plus de chance ». Lui vit de petits larcins et trafics, en attendant de gros coups. « Je revends un peu de shit à des gosses de riches, quand je ne leur pique pas leurs téléphones à l’Agdal , confesse-t-il en s’esclaffant. Ce n’est pas avec mon bac littéraire que je vais avoir le train de vie de 50 Cent. »
S’il fallait un chiffre du HCP pour résumer la situation, ce serait celui-ci : les chances, pour les descendants d’un ouvrier ou d’un manœuvre, d’atteindre la catégorie des employeurs non agricoles, cadres supérieurs ou membres des professions libérales sont de 1,9%. Les perspectives, en plus d’être faibles, s’avèrent décourageantes. Sans pour autant remettre en question le développement économique et social du pays, un constat s’impose : si la pauvreté régresse, les inégalités sociales, elles, se maintiennent au même niveau. Dans une société où le dynamisme est tangible, la stratification sociale demeure immobile. Loin d’un processus de promotion et de méritocratie, le Maroc continue de s’embourber dans un système de reproduction. Le fils d’un indépendant ou d’un patron a plus de chance qu’un fils de salarié d’appartenir à un groupe socioprofessionnel supérieur à celui de son géniteur. Dans son mécanisme, la mobilité sociale est elle-même un vecteur d’inégalités. En d’autres termes, l’ascenseur social est tout bonnement en panne.
La mobilité, scolaire d’abord
Dans les enquêtes comme dans les mœurs, l’école reste le premier vecteur d’ascension sociale. « Aussi bien pour les hommes que pour les femmes, la mobilité sociale ascendante est sensiblement favorisée par l’éducation et la formation », clarifie le HCP. Sur le terrain, « les gens pensent qu’avoir un diplôme et un bon niveau de langue est un sésame indispensable pour décrocher un emploi stable, qui permettra d’avoir par la suite une vie stable », assure Saâdeddine Igamane. « Ma mère est fonctionnaire et mon père professeur d’arabe au lycée », raconte Oumnia, 21 ans, étudiante en médecine à Casablanca. Sa vie, d’aussi loin qu’elle s’en souvient, se résume à étudier et à aspirer à l’excellence. « Nous sommes cinq filles et nous n’avons pas le choix : on sera toutes médecins, parce que c’est ce qu’ils ont décidé pour nous. J’aurais aimé faire architecture ou me consacrer à la communication, mais que voulez-vous répondre quand vos parents vous disent qu’ils comptent sur vous pour les soigner quand ils seront vieux ? »
L’enquête du HCP pose des chiffres sur ce sentiment : un actif qui possède un niveau scolaire fondamental a 1,6 fois de chance de plus que celui qui n’en a aucun d’occuper une position sociale plus valorisante que son père. Plus le temps de scolarité augmente, et plus les chances suivent, allant jusqu’à 16,2 fois de chance de plus pour ceux qui ont un niveau d’enseignement supérieur comparé à un non diplômé. Certaines matières peuvent même faire office d’élévateur social. Les mathématiques, par exemple, sont souvent une issue pour « certains jeunes issus de milieux modestes d’accéder à des études supérieures, parfois même prestigieuses en passant par des classes préparatoires », rappelle M’hammed Grine, membre du conseil de la présidence du PPS et du comité de direction de la CDG, qui rappelle que lui-même, fils d’une famille modeste, a grimpé patiemment les échelons, via l’engagement politique et des études menées à l’université publique. Même son de cloche du côté de Abdelmalek Alaoui, consultant en intelligence économique : « Les mathématiques sont connues pour être des facteurs favorisant l’ascension sociale. La raison en est très simple : à la différence des sciences humaines, elles ne nécessitent pas de contexte culturel favorable ou de parents pouvant aider pour les devoirs », explique-t-il. Les parents, conscients de ces enjeux, « affirment leur prédisposition à assurer des études dans le privé pour leurs enfants, même si la majorité d’entre eux ont fait l’école publique », précise Igamane.
L’école des inégalités
Pour s’élever socialement, il faut donc avoir accès à l’éducation. Mais pour cela, il faut s’endetter. C’est le cas de Salah, 40 ans. Serveur dans un restaurant huppé de Casablanca, il avoue se saigner pour son fils. « Si je travaille autant, c’est pour lui permettre d’aller dans une école primaire privée. C’est très cher, trop cher pour ce que je gagne, mais je refuse de gâcher son avenir en l’envoyant dans le public. Je sais de quoi je parle : il suffit de me regarder », confie-t-il pendant son service. L’écrivain et directeur du CESEM, Driss Ksikes, explique que si l’école est de toute évidence l’élément-clé vers la mobilité sociale, celle-ci dépend principalement des ressources dont les parents disposent. « Le risque, c’est de ne pas pouvoir s’endetter pour espérer accéder à une certaine mobilité sociale, ou d’encourir un surendettement tel qu’il provoque une grève de la croissance à court terme des ménages », souligne Driss Ksikes. « J’ai eu mon bac en 2005, se souvient Bouchra, jeune femme au foyer. Ma mère a tout fait pour m’envoyer étudier à Paris. Un an plus tard, j’étais revenue au Maroc : mes études ne se passaient pas très bien et mon frère venait d’avoir son bac. Il était meilleur que moi en cours et elle n’avait pas de quoi payer nos doubles études : il a fallu faire un choix », raconte-t-elle. L’école, censée être un ascenseur social sur le long terme, serait donc un investissement qui peut vite tarir, ne pas aboutir à son objectif final ou se transformer en déclassement. Emprunter la route de l’ascension s’apparente dès lors à une lutte. Les obstacles qui se dressent sur cette voie et face auxquels tout le monde n’est pas sur un pied d’égalité sont innombrables, et peuvent rapidement devenir des impasses.
« Formellement, l’accès à l’université est plus démocratique : aujourd’hui, environ 15% des jeunes entre 18 et 24 ans vont à la faculté, contre environ 7% avant 2000 », explique Abdellatif Miraoui, recteur de l’université Cadi Ayyad de Marrakech, qui relativise, en comparant ce pourcentage à celui dont peuvent s’enorgueillir des pays voisins comme la Tunisie, à savoir plus de 30%.
Si le système de bourses aide de nombreux jeunes, le soutien aux étudiants les plus démunis reste à accentuer : « L’université Cadi Ayyad compte quelque 60 000 étudiants et seulement 3500 lits à leur offrir ». « Et le diplôme n’est pas tout » rappelle Miraoui, qui souligne aussi l’inadéquation entre l’université et le milieu professionnel. « Le monde du travail au Maroc commence à ressembler à celui de l’Europe, estime Mouna, jeune étudiante dans un Institut d’études politiques en France. L’important, c’est ce que les professeurs ou les employeurs appellent les «skills», des petites compétences pas forcément acquises en classe : les voyages, les lectures, les expériences. Et ça, forcément, c’est réservé aux mieux nés. Du coup, même s’il est important de voir des jeunes issus de classes populaires dans des écoles prestigieuses, il ne faut pas se leurrer : ils n’ont pas pour autant les mêmes chances que nous, dont les parents ont les moyens ».
Une question de rang
Les origines sociales minent évidemment aussi l’égalité dans le parcours scolaire. Tous les élèves n’ont pas les starting-blocks placés sur la même ligne de départ. Une étude de la revue Economia, consacrée à la classe moyenne et publiée en 2008, donne le la : dès la maternelle en école privée, les coûts peuvent atteindre plus de 25 000 dirhams annuels. « La reproduction des inégalités sociales vis-à-vis de l’éducation se perpétue d’une génération à l’autre en produisant des inégalités de réussite scolaire (inégalités des chances) entre enfants d’origines sociales différentes », admet Ahmed Lahlimi Alami, haut commissaire au plan. Si les enfants issus de milieux favorisés et supérieurs ont la plus grande chance d’accéder aux positions sociales les plus valorisées et de réussir scolairement, « ceux des catégories populaires et modestes courent le risque de ne guère dépasser le niveau primaire d’enseignement et de se reproduire dans leurs catégories d’origine, voire même un déclassement vers les catégories inférieures ». Dès la petite enfance, les inégalités en matière d’éducation dessinent la reproduction de celles sociales qui, à l’âge adulte, forgent les mille et une formes de la pauvreté.
« Au moment des stages, raconte Aïcha, étudiante en architecture, on voit bien comme le tri est sévère. Ce ne sont pas forcément les meilleurs qui ont le meilleur stage. Les bons stages vont à ceux qui ont du réseau, des pistons, de la famille bien placée, qui pourront loger à l’étranger ou dans une autre ville durant le temps du stage. Et aujourd’hui, en école, les stages peuvent conduire à l’embauche et ainsi de suite. Par exemple, la major de ma promotion, une bent chaâb, a dû se contenter d’un stage assez moyen ».
Cas d’école
« Sans assistance familiale, la mobilité est impossible », écrit la sociologue Shana Cohen dans la revue Economia. Plus généralement, le capital culturel des parents reste bien souvent corrélé au capital économique et joue un rôle majeur dans l’évolution de l’individu. « Je vis chaque jour cette problématique d’ascension dans ma vie d’étudiant », confie Mehdi, un étudiant de l’Ecole mohammadia des ingénieurs, réputée, comme toutes les autres grandes écoles du genre au Maroc, pour être relativement mixte socialement. Il explique : « Au-delà des frais, certains jeunes n’envisagent que difficilement des études qui mènent à des professions qu’ils ne connaissent pas et dont leurs parents ne connaissent pas l’existence. Ces parents sont aussi moins prompts à soutenir leurs enfants dans des parcours longs et coûteux ».
Du côté des grandes écoles françaises, les profils sont différents : « avant d’accéder aux Ponts et Chaussées, les seuls Marocains qui étaient avec moi en prépa à Louis Le Grand étaient issus de Descartes, Lyautey comme moi et Al Jabr. Les Tunisiens, eux, avaient tous fait l’école publique », se souvient Ismail, diplômé en 2009 de la prestigieuse institution parisienne. En école, sa promotion comptait en tout dix concitoyens, mais seulement trois issus de classes préparatoires marocaines comme Moulay Youssef ou Mohammed V. « Contrairement à nous autres, ils n’étaient pas fils de médecins, architectes, experts comptables, etc. Ils bénéficiaient d’une bourse octroyée par l’Etat marocain, d’environ 400 euros par mois ». Ali, diplômé de HEC Paris, met aussi en avant l’extraction bourgeoise de ses camarades marocains : « On trouve des fils de grandes familles, des enfants de ministres… Idem en école d’ingénieurs, avec un peu plus d’exceptions, comme un ami qui est diplômé de Polytechnique et dont les deux parents sont enseignants dans des lycées publics marocains », décrit-il. « Le milieu social et familial reste un facteur qui conditionne la réussite scolaire et favorise l’ascension sociale », entérine l’enquête du HCP.
C’était mieux avant ?
« A la sortie du colonialisme, la place de l’école était encore centrale dans le projet de société, rappelle Driss Ksikes. Dès que ce rôle a commencé à décliner, et que s’est engagée une répression politique s’attaquant aux plus éduqués, l’impact sur l’ascension sociale s’est fait ressentir. » En d’autres termes, le temps d’euphorie initiale a d’abord laissé place à la régression, puis à la difficulté actuelle, lourde de cet héritage, à remonter la pente. Mais si l’idée que l’ascension est plus ardue aujourd’hui est répandue dans l’inconscient collectif, les faits s’avèrent bien plus nuancés : en vingt ans, une progression, nourrie de changements structurels, économiques et sociaux, a timidement impacté le taux de mobilité. « Avec la diffusion de l’éducation de base et l’amélioration de la survie scolaire de plusieurs générations jusqu’au niveau d’enseignement secondaire et supérieur, ainsi que la transformation structurelle du tissu productif, les chances de mobilité se sont améliorées », explique Ahmed Lahlimi Alami. « La progression de la mobilité sociale entre 1991 et 2011 est plus importante dans les poches de l’immobilisme social. Le taux de mobilité brute est passé de 45,7% à 68,1% à l’échelle nationale », poursuit le haut commissaire au plan.
Méritocratie inexistante
Là où d’autres sociétés se structurent en fonction d’une certaine méritocratie, le Maroc continue d’avancer au gré de la reproduction sociale, et de fait, du rôle de la famille. Celle-ci, pour reprendre Lahlimi Alami, « influence le devenir et le destin des individus comme elle peut contribuer à favoriser la promotion sociale en améliorant leur dotation en capital. » Pour Abdelmalek Alaoui, le système méritocratique inexistant trouve de minces alternatives dans l’action de « riches mécènes, certaines fondations ou encore le Palais, qui a parfois joué un rôle important, appelant auprès de lui les meilleures compétences techniques, quelle que soit leur extraction sociale ». Le destin social des individus demeure malgré tout défini par des inégalités, non seulement dans l’accès au diplôme, mais aussi à diplôme égal, par des inégalités dans l’accès à l’emploi. « La famille est encore un lieu d’ascension, et c’est dommage », regrette Driss Ksikes. « L’ordre de l’héritage, des solidarités claniques ou du patrimoine est à la limite des choses variables qui renforcent les classes dominantes dans leurs positions, aux dépens d’une mobilité et d’un ascenseur censés promettre une mixité sociale et une issue pour les classes défavorisées », poursuit-il. « Notre société ne fonctionne pas au seul mérite, s’attriste à son tour M’hammed Grine. Nous vivons dans la pure reproduction des classes. Il n’y a pas de morale du mérite, pas d’égalité des chances, pas d’Etat qui brise les inégalités. Pour grimper, il faut conjuguer chance et débrouillardise, se placer dans une niche particulière. »
En attendant l’Etat social
« Comment voulez-vous qu’on réussisse à s’élever socialement, alors que rien n’est mis en place pour nous ? , s’indigne Amine, jeune étudiant en biologie. On a beau se démener, nous n’avons aucune garantie de réussir ». Son aigreur se traduit par un constat, appuyé par Driss Ksikes : nous n’avons pas d’Etat social. « Nous sommes un pays de riches, et non un pays riche. Il n’y a pas de concertation de la collectivité sur les ressources. Il y a les budgets visibles et ceux invisibles, qui ne passent pas par les institutions de l’Etat. Il n’y a personne pour défendre l’intérêt public, ni même pour mettre les questions sociales, et celle de l’ascension plus particulièrement, au cœur des politiques publiques. Et sincèrement, je ne crois pas à une bienveillance naturelle de l’élite », analyse-t-il. Dans une société sans socle de valeurs partagées, où l’intérêt privé et immédiat prime, les perspectives d’ascension et d’évolution, sans politique de redistribution, sont vouées à l’échec.
La panne de l’ascenseur social est durement ressentie au Maroc. Elle nourrit des frustrations, entretient un sentiment – légitime – d’injustice. Mais elle rouille aussi la société dans son ensemble. Un de ses impacts est la difficile constitution d’une classe moyenne, appelée des vœux du monarque, dans un discours tenu en 2008. Inhérente à cette même classe moyenne, qui existe mais n’est pas suffisamment déterminante socialement, la tension permanente entre l’espoir de faire ascension et la peur d’être déclassé plonge le Maroc dans un entre-deux aux allures de cul-de-sac.
Mobilité : Un ascenseur nommé émigration
L’émigration est reconnue comme un « levier » pour l’ascension sociale, notamment dans le rapport du cinquantenaire publié en 2006. Idem pour la Banque Mondiale qui, dans le cas marocain, parle des départs à l’étranger comme l’un des moyens les plus sûrs d’opérer une ascension sociale. « Même s’il a été très sélectif, l’ascenseur social a fonctionné dans la migration et une promotion sociale a été clairement possible pour un nombre important des fils d’ouvriers partis tenter l’aventure migratoire », explique dans Économia Michel Peraldi, anthropologue, qui remarque notamment la formation d’une classe moyenne en France et en Belgique par des Marocains issus des familles ouvrières. Ces départs qui visent un décollage social permettent aussi à la famille restée au Maroc de profiter des devises du travailleur installé à l’étranger. Et bien sûr, pour ces MRE souvent attachés au pays d’origine, la question du retour se pose. Et là, Peraldi remarque que ces migrants peuvent être perçus comme « les ferments de transformation et de renouvellement des élites dont le Maroc a besoin ».
Entreprenariat. Se faire seul : un mythe ?
« La majorité estime disposer d’un esprit d’entreprise et voit dans la création d’entreprise une des manières pour augmenter ses revenus et se maintenir en classe médiane ou accéder à une classe moyenne supérieure, sinon à celle des riches », écrit Saâdedine Igamane dans un texte publié par le blog universitaire Farzyat. Face à la difficulté de s’élever via le système scolaire, le mythe de l’entreprenariat se répand, soutenu par le triomphe de l’idéologie libérale et le désengagement de l’Etat en faveur du privé. Selon M’hammed Grine, cadre du PPS, si l’entreprenariat attire plus que de longues études, la raison en est simple : « Il y a des modèles vantés, connus, médiatiques de réussite par l’entreprenariat. Ce n’est pas le cas pour d’autres secteurs ». Un chercheur qui travaille sur les réussites dans le privé – il tient à rester anonyme pour ses recherches – remarque que l’Etat lui-même a promu cette piste d’entreprenariat en favorisant par exemple les crédits jeunes promoteurs. Et d’ajouter que « l’émergence de nouveaux secteurs d’activité comme les NTIC qui ne demandent pas des investissements colossaux » pousse encore plus de jeunes à y croire dur comme fer. Reste que les avis sont unanimes : l’accès à l’entreprenariat demeure l’héritage. « L’entreprenariat se nourrit de réseaux, de contacts et de facilités liées au milieu social. Ne serait-ce que pour obtenir le premier emprunt, le financement, ou avoir accès aux premiers clients », rappelle Abdelmalek Alaoui, consultant, qui ne considère pas le milieu de l’entreprenariat comme égalitaire. Et les risques sont grands, en cas d’échec ou de réussite relative, de se voir déclassé.
Mariage. Epousailles sociales
L’impact du mariage sur la mobilité sociale n’est pas directement étudié. Néanmoins, un fait est clair : les alliances matrimoniales permettent, dans la bourgeoisie, de tisser des alliances économiques et de préserver son capital. Un fait au moins aussi vieux que les études de John Waterbury sur les élites marocaines, parues dans les années 1970. Aujourd’hui, le mariage a un effet « paradoxal » selon l’anthropologue Michel Peraldi, qui remarque qu’il peut agir « comme un moteur de promotion sociale » quand, par exemple, « deux cadres supérieurs convolent », ou comme un « ralentisseur de l’ascenseur social en cas (…) d’épouse réduite au rôle consommateur de femme au foyer ». Le sociologue Saâdedine Igamane remarque que la peur de voir son capital réduit ou de vivre un déclassement pousse aujourd’hui de nombreux Marocains à « préférer épouser quelqu’un qui gagne au moins le même salaire ». Se généraliserait donc, selon divers chercheurs, dans la société et bien au-delà de la bourgeoisie, l’importance accordée aux revenus du conjoint. « La plupart des foyers ne peuvent plus se passer du salaire de la femme », assure Saâdeddine Igamane. D’un côté, des unions conclues entre deux actifs permettent à des foyers de s’élever socialement, de l’autre, la peur du déclassement casse le phénomène de mobilité sociale, surtout pour les femmes, d’ascension par le mariage.
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