Hygiène. Junk food city

Chaque jour, les agents du service d’hygiène alimentaire de Casablanca sillonnent les restaurants de la ville pour débusquer les dangers qui guettent le consommateur. TelQuel les a suivis dans leur tournée.
Âmes sensibles s’abstenir !

Ce matin-là, les agents du service d’hygiène alimentaire de Casablanca ont ciblé deux restaurants à visiter. Mhamed Khelifi et Abdelhadi Lahrech, les deux techniciens qui sont de service aujourd’hui, connaissent les dessous des établissements de la ville comme leur poche. « La ville est responsable du contrôle des établissements classés comme les restaurants, les hôtels et les bars. Concernant les laiteries, les snacks ou les marchands ambulants, ils relèvent du contrôle des communes urbaines », précise Mhamed Khelifi. Et la tâche est titanesque : au total, la ville ne dispose que de quatre techniciens pour quadriller plus d’un millier d’établissements et de neuf médecins pour analyser les échantillons prélevés.

Depuis quelques années, les habitudes alimentaires des Marocains ont considérablement évolué. Alors qu’ils mangent de plus en plus en dehors de chez eux, le business de la restauration a explosé sans que la qualité ni l’hygiène suivent. Pour répondre à la demande grandissante, l’espace public est envahi par des marchands qui proposent toutes sortes de produits mal conservés, voire exposés à l’air libre. Résultat, une recrudescence des intoxications alimentaires et autres maladies plus graves provoquées par des microbes et des germes très nocifs.

Nos deux agents n’ont pas de temps à perdre : leur tournée doit obligatoirement se terminer avant l’affluence de midi. Direction le souk Smat, dans l’ancienne médina, connu pour ses restaurants de poisson.

Les pieds dans le plat

Quand l’équipe débarque à 9h30 dans l’un de ces établissements, le gérant des lieux est loin de se réjouir. En quelques minutes, la nouvelle fait le tour des restaurants alentour qui se lancent à la hâte dans un grand nettoyage. Le regard tranchant, Mhamed Khelifi demande au gérant l’autorisation d’exploitation du local tandis que Abdelhadi Lahrech interroge les employés à propos d’un cageot contenant 35 kg de tomates cerises à un stade avancé de décomposition. Voulant faire preuve de bonne foi, ils assurent qu’elles étaient destinées à finir dans la poubelle. Mais Abdelhadi Lahrech n’est pas dupe. « Il arrive souvent que des tomates pourries soient utilisées pour préparer la sauce qui accompagne le poisson. Le goût acide de la tomate est masqué par une longue cuisson et beaucoup d’épices », nous explique-t-il. La propreté approximative des lieux éveille les soupçons des deux agents qui traquent tous les indices d’une défaillance. A commencer par l’inspection des congélateurs, pleins à craquer de poisson, et un test de la qualité de l’huile de friture à l’aide d’un appareil électronique.

Vos carnets s’il vous plaît

Lors de chaque inspection, les techniciens notent tous les manquements à l’hygiène et, en cas de destruction d’une marchandise, l’acte est constaté par écrit. Avant de remplir le rapport de la visite, Mhamed Khelifi demande à voir les carnets de santé du personnel. Ces derniers, aux mines épuisées et sans vêtements de travail, s’en réfèrent à leur chef. En effet, selon le règlement, le personnel doit effectuer chaque année des radios des poumons et des analyses des selles. «Nous avons oublié cette année, mais ça sera chose faite dès demain », tente de rassurer le gérant des lieux. Tenir un carnet de santé fait partie des normes d’hygiène imposées par la réglementation municipale, comme le port de vêtements de travail, l’obligation de se laver les mains, l’utilisation de poubelles à pédales pour éviter tout contact avec les mains, etc. Mais sur le terrain, la réalité est tout autre. « Les normes d’hygiène posent un véritable problème culturel pour le personnel de ces établissements, issus en majorité des campagnes. Dans notre travail, nous devons faire preuve de fermeté, mais aussi de pédagogie », lance Mhamed Khelifi. Au final, les remarques consignées par les deux agents feront l’objet d’une mise en demeure. Dans les cas d’infraction grave, l’établissement est purement et simplement fermé. « La fermeture d’un établissement provoque un grand impact  psychologique. Pendant plusieurs mois, tous les autres restaurants du quartier se mettent en conformité avec le règlement », commente Abdelhadi Lahrech.

Tous dans le même sac

Il est 11h quand les deux agents se présentent dans un restaurant chic du centre-ville. La patronne leur réserve un accueil glacial, même si elle ne semble pas surprise par cette visite. A voir son air exaspéré, on comprend qu’il faut faire vite. Tous les serveurs sont déjà prêts à recevoir les premiers clients. Dès qu’ils s’engouffrent dans la cuisine, nos deux techniciens semblent satisfaits de la propreté des lieux. L’œil expert, ils vont tout de même vite déceler des irrégularités. A commencer par la hotte dont les filtres n’ont pas été changés depuis longtemps. En ouvrant un congélateur, dépourvu de thermomètre, ils découvrent des sacs en plastique contenant pêle-mêle du bœuf, du poisson et du poulet. Pour vérifier le degré de congélation de ces aliments, ils utilisent un appareil à infrarouge. « Il ne faut jamais mélanger les différents types de viande dans le même espace et chaque sachet doit porter une étiquette avec la date d’achat de la marchandise », indique Abdelhadi Lahrech au chef cuisinier. Et pour cause, la viande de poulet, plus susceptible de porter le germe de la salmonellose, risque de contaminer les autres aliments. Finalement, les deux techniciens exigent de la patronne de changer tous les plats et ustensiles de cuisine ainsi que les réfrigérateurs très vétustes, avant de laisser la place aux cuisiniers qui reçoivent les premières commandes.

En matière d’hygiène, les plus mauvais élèves restent les petites échoppes et les snacks, voire les charrettes qui vendent des sandwichs à des prix défiant toute concurrence. « Dans certains quartiers populaires, le prix du sandwich à la saucisse de viande ne dépasse pas les 15 DH, alors que le prix réel d’un kilo de saucisses fabriquées dans les règles de l’art dépasse les 90 DH », souligne Abdelhadi Lahrech. Un écart de prix qui se répercute forcément sur la qualité de la viande.

Origine douteuse contrôlée

Les techniciens du service d’hygiène ont constaté que les quantités de viande consommées chaque jour à Casablanca sont largement supérieures au nombre de bêtes destinées quotidiennement à l’abattage. « Souvent, les petits commerces achètent la viande qui provient de l’abattage clandestin ou des marchés en dehors de la ville. Le but étant de faire des économies puisqu’à Casablanca les taxes d’abattage sont plus conséquentes », décrypte Abdelhadi Lahrech. Toujours dans le but d’assurer des marges confortables, les snacks des quartiers populaires utilisent souvent des huiles de friture usagées collectées auprès des hôtels et des grands restaurants.

Dans cette lutte sans relâche contre l’insécurité alimentaire qui nous menace tous les jours, le maillon faible reste le consommateur final. « Les gens ont tendance à ne pas déposer de plainte en cas de malaise après la consommation d’un aliment. Pourtant, il existe une procédure très simple pour punir le contrevenant », assure Abdelhadi Lahrech. En cas d’intoxication alimentaire, le consommateur peut en effet s’adresser au service d’hygiène en produisant un certificat médical. En 2013, le service d’hygiène alimentaire de Casablanca a inspecté pas moins de 740 établissements. Les agents ont procédé à la destruction de 72 tonnes de denrées alimentaires avariées et ont distribué 104 avertissements. Mais aucun restaurant n’a été fermé. Punir n’est pas toujours la bonne solution, selon Abdelhadi Lahrech : « Il ne faut pas perdre de vue que la répression à tout-va risque de générer des pertes d’emploi dans les milieux fragilisés par la misère ».   

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