Serfaty. Un retour préparé en secret
Deux mois après l’intronisation de Mohammed VI, le plus célèbre des exilés marocains rentre au bercail. Une opération que Youssoufi et le Palais ont dû monter sans mettre Basri au parfum.
Après la mort de Hassan II, Youssoufi aborde à nouveau avec Mohammed VI le retour d’exil du militant de gauche Abraham Serfaty. Le roi ne s’y oppose pas. Le dossier devient alors prioritaire pour le Premier ministre qui lui consacre toute son énergie. Mais vu la sensibilité de la question, il doit maintenir la confidentialité de sa démarche. Car la question du retour de Serfaty a déjà été envisagée avec le défunt roi Hassan II. Mais à chaque fois, Youssoufi se heurtait aux basses manœuvres de Driss Basri.
Christine refoulée
Parmi les coups bas de Basri, il y a l’épisode de Christine Daure Serfaty. Youssoufi avait convenu avec elle de rentrer au Maroc comme prélude au retour de son mari. Mais avant le décollage de l’avion, la nouvelle arrive au ministre de l’Intérieur qui décide de la refouler à l’aéroport. Mis au courant de ce que prépare Basri, Youssoufi appelle tard dans la nuit Abbas Bouderka (exilé politique ayant refusé de bénéficier de l’amnistie tant que Serfaty ne rentrerait pas au Maroc) pour convaincre Christine de reporter son voyage. Bouderka appelle alors immédiatement Serfaty. Mais il est trop tard. Abraham lui apprend que sa femme a déjà quitté Paris et qu’elle a laissé une lettre au quotidien Le Monde avec consigne de la publier au cas où il lui arriverait malheur.
Youssoufi doit écourter un voyage officiel à la suite du refoulement de Christine Daure Serfaty. L’événement est largement couvert par la presse française où Christine attaque violemment Youssoufi en le qualifiant de « décor qui n’a aucun pouvoir ». Cela affecte beaucoup le Premier ministre car il sait que Christine ignore qu’il se démène pour le retour de Serfaty au Maroc. D’ailleurs, quand elle apprend la vérité, elle lui adresse une lettre d’excuses.
En août 1999, l’artiste-peintre Mehdi Qotbi rencontre Bouderka au café Montparnasse à Paris. Il l’informe qu’il part à Rabat rencontrer le roi. Bouderka capte le message et lui demande d’aborder avec Mohammed VI le cas Serfaty. De retour de voyage, Mehdi Qotbi revient alors vers Bouderka avec un message royal rassurant. Mohammed VI lui a dit : « La place naturelle de Serfaty est dans son pays. Et personnellement, je n’ai aucun problème avec lui. La voie du retour lui est ouverte quand il le décidera ».
La fin de l’exil
Bouderka transmet immédiatement la nouvelle à Abderrahman Youssoufi avant de fixer rendez-vous à Christine Serfaty au café Odéon. Il lui annonce la bonne nouvelle, mais la prévient que le Premier ministre est toujours aux prises avec un veto de Basri. Il faut donc rester très discret pour éviter que l’information n’arrive aux oreilles du ministre de l’Intérieur.
Moins de 48 heures plus tard, Ibrahim Ouchelh (un autre dirigeant de l’USFP exilé) contacte Bouderka pour lui demander d’envoyer le nouveau numéro de téléphone d’Abraham Serfaty à Youssoufi. Le Premier ministre le transmet par la suite au conseiller royal André Azoulay qui se déplace, quelques jours plus tard, à Paris pour s’entretenir avec Serfaty et l’informer de la décision royale de son retour à son pays.
Le retour du couple Serfaty est orchestré dans le secret absolu. En coordination avec l’Elysée, Hassan Abouyoub, ambassadeur du Maroc à Paris, supervise personnellement leur départ. Abraham et Christine embarquent dans l’avion sans passer par la police des frontières, leurs passeports ne sont pas tamponnés et leurs noms ne figurent pas sur la liste des passagers. Tout est fait pour préserver la confidentialité.
Après le décollage, Bouderka appelle Youssoufi sur son téléphone et se contente de lui dire « tout va bien ». Youssoufi, ayant compris le message, laisse apparaître une bonne humeur inhabituelle au point de surprendre les ministres qui sont en réunion avec lui et auxquels il n’a rien révélé. Quand l’avion approche de l’espace aérien marocain, le cabinet royal émet un communiqué annonçant le retour du leader d’Ila Al Amam dans son pays.
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