La présentatrice de Kissat Annas, émission diffusée ?du lundi au vendredi sur Medi1 TV, donne la parole aux petites gens ?et désamorce les non-dits de la société marocaine. Portrait.
« Mon histoire avec l’adultère?», «?je suis addict au haschich?», « je suis née en prison », « le corps de ma femme me dégoûte »… autant de tranches de vie qui s’invitent, tous les soirs, du lundi au jeudi, sur les écrans de centaines de milliers de Marocains. Kissat Annas suscite la compassion ou le mépris, mais jamais l’indifférence. Aux commandes de l’émission de téléréalité choc de Medi1 TV, Nouhad Benaguida, quarante ans. Pour sa toute première expérience cathodique, l’animatrice a su conquérir les téléspectateurs grâce à son empathie et son franc-parler.
La 25e image
« Je suis avant tout une poétesse ». C’est ainsi que Nouhad Benaguida se présente. Dans ce café branché de Casablanca où elle nous donne rendez-vous, la nouvelle star de la télé ne passe pas inaperçue. « Dans les lieux populaires, les gens viennent naturellement vers moi, pour discuter ou se prendre en photo avec moi. Dans les lieux huppés, ils font semblant de ne pas me reconnaître, mais je sais qu’ils regardent secrètement Kissat Annas », raconte-t-elle d’une voix calme et posée. Née à Khémisset en 1974, elle est la deuxième d’une fratrie de quatre enfants et assume sereinement ses origines modestes. Elève studieuse, elle décroche son bac en littérature et entre dans le monde professionnel à 19 ans. « ?J’ai obtenu un poste de fonctionnaire à la préfecture de Khémisset, pour aider mon père à subvenir aux besoins de la famille », confie-t-elle. Amoureuse des lettres, elle s’inscrit à la faculté de Kénitra et publie ses premiers poèmes en zajal dans plusieurs journaux arabophones. Quelques émissions radios l’invitent régulièrement à déclamer ses vers à l’antenne. La télévision, elle n’y pense que lorsqu’on lui propose de devenir la nouvelle voix de l’émission Aji Tchouf, en 2007. Elle accepte, sa carrière est lancée.
Tout le monde en parle
Une fois le pied à l’étrier, Nouhad se passionne pour les médias. Elle pousse les portes de Radio MFM et propose une émission sur le zajal et la darija, Majma3 Laklam. Son premier direct épate le directeur, Kamal Lahlou. Mais son plus gros carton hertzien reste l’émission quotidienne Al wassit, qui sert d’intermédiaire entre des personnes démunies et des mécènes. Le succès est tel ?que les dons atteignent jusqu’à 25 000 dirhams par jour. Quand la boîte de production Disconnected lance Kissat Annas en 2013, elle fait appel à l’animatrice pour porter l’émission. Très vite, ce programme est sur toutes les langues, au point d’alimenter les rumeurs les plus folles. « On nous a accusés de payer des acteurs pour jouer des rôles. La réalité, c’est que les gens ont tellement d’histoires hallucinantes à raconter qu’il est parfois difficile de les croire », justifie Nouhad Benaguida. Les témoignages des invités sont parfois si insoutenables qu’ il lui arrive de craquer et de pleurer en plein tournage. Mais le jeu en vaut la chandelle?: « L’émission a dénoncé plusieurs choses et poussé les autorités à réagir dans certains cas. C’est gratifiant de pouvoir rendre service aux autres ».
Quand les projecteurs s’éteignent, Nouhad Benaguida retourne à sa vie et à ses propres drames. Il y a quelques mois, elle a dû affronter le décès foudroyant de son mari. «?Je n’arrive toujours pas à m’en remettre. J’ai arrêté mon émission à la radio pour me consacrer à la télé et à mes deux filles », confie-t-elle. Ses malheurs, elle s’y mesure loin des caméras et trouve refuge dans la poésie.