Diplomatie. Un roi en terre africaine

Diplomatie. Mohammed VI multiplie les voyages en Afrique au point d’incarner 
l’action marocaine sur le continent.

Religion. Les relations religieuses séculaires entre le royaume et une partie du continent sont mises à profit pour affirmer la présence du Maroc.

Intérêts. La popularité du monarque se concrétise par une coopération économique qui sert la cause marocaine dans le dossier du Sahara.

« La visite de Mohammed VI en Guinée suscite un engouement incroyable. Dans la rue ou au restaurant, tout le monde en parle. Et je sais que du côté de la présidence, on attend beaucoup de cette visite à laquelle on se prépare activement », confie Mohamed Salifou Keita, journaliste pour le quotidien local 3p-plus. Le roi doit en effet effectuer prochainement son premier voyage en Guinée Conakry, où il est particulièrement apprécié pour son implication dans le conflit malien. Mohammed VI a même fait la Une du site de 3p-plus pendant plusieurs jours pour avoir reçu à Marrakech Bilal Ag Cherif, secrétaire général du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), organisation politique et militaire pour l’indépendance du Nord-Mali. Le 31 janvier, le monarque et le leader touareg ont accompli ensemble la prière du vendredi en compagnie du ministre des Habous, Ahmed Toufiq, et du directeur général de la DGED, Yassine Mansouri. Bilal Ag Cherif et Moussa Ag Taher, porte-parole du MNLA, ont ensuite été invités au palais. Cette rencontre coïncidait avec le jour de clôture du sommet de l’Union Africaine à Addis-Abeba, organisation que le Maroc a quittée en 1984, devenant ainsi le seul pays du continent à ne pas y adhérer. Ce faisant, le monarque envoie un message fort : Union Africaine ou pas, c’est bien au Maroc que s’esquisse une médiation du conflit malien.

Opération Mali

« Jusqu’à 2012, les relations entre le Maroc et le Mali étaient anodines, mais aujourd’hui le rapprochement saute aux yeux. Et la réception de délégués du MNLA prouve que le Maroc tient à occuper la première place dans la résolution du conflit malien », commente le journaliste malien Intagrist El Ansari. Selon un habitué des chancelleries, l’implication du royaume dans le conflit au Mali a porté ses fruits : « Le Maroc a commencé par jouer un rôle secondaire. Puis, l’engagement personnel du roi et une communication favorable lui ont permis de se distinguer et de devenir un acteur du règlement de la question malienne ». Quand la France annonce le lancement de l’opération militaire « Serval » pour aider les autorités maliennes à reprendre le contrôle du nord du pays, le 11 janvier 2013, Rabat ne tarde pas à faire connaître sa position. Quelques jours plus tard, après une entrevue entre Mohammed VI et François Hollande, le Maroc fait savoir qu’il soutient sans réserves l’intervention française et qu’il autorise les avions militaires à survoler son territoire. Le 17 septembre, un hôpital militaire de campagne marocain est déployé à Bamako sur instruction royale, afin de jouer sur la fibre humanitaire. Deux jours après, Mohammed VI assiste à la cérémonie d’investiture du président Ibrahim Boubacar Keïta.

C’est la première fois que le monarque se déplace pour un tel événement, pour lequel il se fait d’habitude représenter. A la tribune du stade du 26 mars à Bamako, il prend la parole face à une vingtaine de chefs d’Etat et une foule de quelque 60 000 personnes. S’appuyant sur son statut de Commandeur des croyants, Mohammed VI prononce un discours, en français, où il insiste sur les domaines dans lesquels le Maroc peut faire la différence : la dimension cultuelle, la restructuration du champ religieux, la remise en état de manuscrits et la réhabilitation de mausolées. Sous les applaudissements, le roi annonce la formation de 500 imams maliens au Maroc dans les années à venir. L’étude du rite malékite, influent au Maroc comme au Mali, sera au centre de la formation. Le but : contrecarrer les positions extrémistes. Cette valorisation du malékisme, le Maroc l’a testée sur son propre terrain et peut se prévaloir de son savoir-faire en la matière. Non seulement l’annonce est célébrée par les médias français, africains et marocains, mais elle ne pourra que resserrer les liens déjà forts entre clergés marocain et malien. Dans l’euphorie, les imams maliens d’obédience hanbalite qui dénoncent une préférence pour le rite malékite passent inaperçus.

En décembre 2013, le site Maliweb rapporte qu’Ibrahim Boubacar Keïta s’est rendu au Sommet africain de Paris à bord d’un avion marocain, « mis à sa disposition par le roi Mohammed VI », précise le journaliste qui voit là une « bonne nouvelle pour le Trésor public malien ». L’opération Mali de Mohammed VI a réussi. Le monarque a positionné le Maroc comme un médiateur, damé le pion à l’Algérie et contenté les officiels français, toujours influents en Afrique francophone. Une action qui a eu ses retombées au sein de l’opinion publique malienne, si l’on en croit le journaliste Intagrist El Ansari : « Les gens ont tendance à apprécier l’arrivée du Maroc comme nouveau partenaire. Ce pays peut être un contrepoids à l’influence algérienne, très prégnante ».

Rupture avec le passé

« Mohammed VI hérite d’un passif : en Afrique, plus que sur d’autres continents, la personnalité de Hassan II comptait pour beaucoup. Le Maroc était personnalisé par son souverain, qui traitait en tant qu’homme d’Etat fort avec d’autres hommes d’Etat forts, sur un continent qui a longtemps donné de l’importance à ce statut », rappelle l’historien Maâti Monjib, qui a enseigné pendant plusieurs années à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Lorsque Mohammed VI effectue ses premiers voyages sur le contient, au début de son règne, la presse internationale vante son prisme africain. Le jeune roi semble rompre avec le passé. Khalid Chegraoui, enseignant et chercheur à l’Institut des études africaines de Rabat, remarque qu’au cours du XXe siècle, la position du royaume en Afrique a évolué, passant du « Maroc pro-occidental dans le giron franco-américain » à la « sécurisation du Sahara ». « Avec le règne de Mohammed VI, on est dans une nouvelle ère maroco-africaine, où l’on mise sur la coopération économique en termes ‘gagnant–gagnant’, sans négliger la coopération culturelle, religieuse et sociale », décrit Chegraoui. 

Au fil des ans, ce prisme africain n’a fait que se confirmer. Quand Mohammed VI se rend en Côte d’Ivoire et au Sénégal, la presse des deux pays  se plaît à décrire l’attitude détendue du roi, quelque peu libéré du protocole habituel, vêtu d’une simple saharienne ou coiffé d’un bob. Ses amitiés en Afrique s’étalent également dans les médias. Dans les colonnes de Jeune Afrique, en 2009, le président du Gabon, Ali Bongo Odimba, fils de Omar Bongo, évoque ses liens avec Mohammed VI à l’époque où il était prince héritier. Il raconte que les deux hommes discutaient ensemble du lourd poids qui pesait sur leurs épaules en comparaison avec leurs pères. Lorsqu’il débarque à Libreville, dont la plus grande mosquée porte le nom de Hassan II, le monarque est donc en terrain ami.

Mais, il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour, dit l’adage. Alors des preuves, Mohammed VI en donne. En mars 2009, la dépouille de la défunte Edith Bongo, épouse du président Omar Bongo, est acheminée de Rabat à Brazzaville à bord d’un avion gracieusement mis à disposition par le monarque. Edith Bongo avait d’ailleurs pu jouir d’une discrétion à toute épreuve de la part du roi, pendant les deux années où elle avait séjourné au Maroc pour raisons médicales. Les amitiés peuvent aussi avoir des revers. La déchéance de l’ex-président sénégalais Abdoulaye Wade, en 2011, et l’instruction ouverte contre son fils, Karim, « ont eu un léger impact sur l’image du Maroc au Sénégal, sachant que le roi était réputé proche des Wade », estime Pape Samba Kane, journaliste au quotidien Populaire, sis à Dakar. Mais pas au point de « briser l’image d’un roi dont on sait qu’il participe pleinement à l’idylle sénégalo-marocaine ».

Combler le vide diplomatique

Khalid Chegraoui rappelle que sur le continent, la diplomatie royale vient parfois combler un vide laissé par « une diplomatie gouvernementale en léthargie, instinctive, sans planification ». Et quand il s’agit du chapitre africain, Mohammed VI ne rate pas une occasion de marquer son territoire. En février 2002, Mohammed VI accueille les présidents de Sierra Leone, de Guinée et l’ex-président du Liberia. Une rencontre qui débouche sur l’adoption de mesures relatives aux réfugiés et redonne un semblant d’existence à l’Union du fleuve Mano, qui regroupe les trois pays. Jusque-là, cette union était restée théorique à cause des longues et coûteuses guerres qui frappaient la sous-région. Deux ans auparavant, le Maroc annulait la dette des pays les moins avancés (PMA) d’Afrique, soit 25 pays, un geste attribué au monarque et qui lui avait valu de nombreuses félicitations enthousiastes. De même, quand la Fondation alaouite pour le développement humain durable est créée en 2008, largement financée sur les deniers personnels du roi, elle ouvre en mars de la même année une clinique ophtalmologique à Dakar. Un évènement couvert et salué par la quasi-totalité de la presse sénégalaise.

Certains dossiers internes au Maroc servent aussi l’image de Mohammed VI à l’étranger. « L’implication personnelle du roi pour assurer un accueil digne aux Sénégalais qui vivent au Maroc est connue de tous. A peine revenu du Maroc, le président Macky Sall s’est expliqué à ce sujet dans la presse, vantant le rôle du monarque », illustre Samba Kane, journaliste sénégalais. C’est que « la nouvelle politique migratoire du Maroc vient compléter et renforcer l’intégration continentale », nous déclare Mbarka Bouaïda, ministre déléguée aux Affaires étrangères. Une politique migratoire qui a donc aussi à voir avec la politique étrangère. Et Bouaïda de préciser : « L’Agence marocaine de coopération internationale octroie plus de 6500 bourses d’études à des étudiants de 42 pays africains ».

Objectif Sahara

Pour asseoir l’influence marocaine sur le continent, Mohammed VI joue donc la carte de la religion, de l’humanitaire, mais aussi de l’économie. Les câbles diplomatiques américains révélés par Wikileaks relatent un voyage en Guinée Equatoriale, effectué en avril 2009, lors duquel Mohammed VI était accompagné d’une importante délégation de chefs d’entreprises. La visite avait été marquée, entre autres, par un accord cédant à l’Agence spéciale Tanger Med (TMSA) la gestion du port de Malabo, capitale du pays, doublant un des plus gros opérateurs du monde, le Français Bolloré. Dans Jeune Afrique, un cadre d’une entreprise française explique : « Lors de sa visite officielle au Gabon, en 2007, Nicolas Sarkozy (ex-président français, ndlr) n’a même pas fait un crochet par Malabo. Le roi du Maroc y est resté quatre jours ». Et derrière la coopération économique, il y a un but sous-jacent : défendre la cause sacrée. Un câble diplomatique américain résume : « La participation majoritaire du Maroc dans les plus grandes banques et entreprises de télécoms d’Afrique francophone, conjuguée à la diplomatie économique du roi Mohammed VI, fournit au Maroc un levier pour sa politique au Sahara ».

Selon Ismaïl Regragui, politologue et auteur de La diplomatie publique marocaine (éd. L’Harmattan), « certaines opportunités sont à saisir sur le plan international, comme la reconnaissance de l’intégrité territoriale, et celles-ci passeront par une légitimité régionale, entre autres un leadership africain ». Et ce pragmatisme semble porter ses fruits. Depuis les années 2000, plusieurs pays africains ont gelé ou retiré leur reconnaissance de la RASD. Mieux, les diplomaties des pays visités par Mohammed VI (voir carte) ont toutes, à un moment ou un autre, soutenu le plan d’autonomie proposé par le Maroc, en plus des Iles Comores, Djibouti et Madagascar. S’il ne siège pas à l’Union africaine, le Maroc a su toutefois s’adjuger de solides alliés qui portent sa voix au sein de l’organisation.

Stratégie. La religion comme diplomatie

« La dimension religieuse de la politique africaine du Maroc s’est vérifiée lors de la tournée royale au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon en mars 2013. Le roi s’est ainsi déplacé avec le ministre des Habous, Ahmed Toufiq, pour réaffirmer le lien avec les dignitaires religieux musulmans », explique le politologue Ismaïl Regragui, auteur du livre La diplomatie publique marocaine. Dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, Mohammed VI est précédé par un statut. Dans les câbles diplomatiques mis en ligne par Wikileaks, les Américains soulignaient que le titre de Commandeur des croyants n’est pas un atout anodin et que la légitimité religieuse du monarque aux yeux des musulmans d’Afrique occidentale est bien réelle. Cette légitimité est régulièrement mise à profit pour se rapprocher des pays africains. En 2007, c’est à Fès et sous haut patronage royal que s’est tenue une conférence internationale de la Tariqa Tijania, confrérie soufie des plus influentes au Sénégal et qui compte des millions d’adeptes dans de nombreux pays comme le Soudan, le  Mali, le Nigéria ou encore le Burkina Faso. « La diplomatie religieuse a sa propre logique et elle s’intègre à toutes les autres diplomaties. Elle peut même servir de support aux précédentes et c’est aussi elle qui fait la force de la diplomatie royale », remarque Khalid Chegraoui, chercheur à l’Institut des études africaines de Rabat. Des propos confirmés par Abdallah Ould Mohamedi, journaliste sénégalais, directeur de Sahara Médias : « Le statut de Commandeur des croyants peut, par exemple, favoriser le business maroco-sénégalais, dans la mesure où la Tijania, qui respecte le monarque marocain pour son rôle religieux, est aussi un formidable réseau économique ».  

 

Héritage. Dans le sillage de son père

Si Mohammed VI mène une politique africaine volontaire, voire « militante » selon certains, il n’en évolue pas moins dans un contexte hérité de son père. « Hassan II comptait sur trois sphères en Afrique : l’Afrique musulmane, l’Afrique francophone et l’Afrique pro-occidentale dans le contexte de la Guerre froide », rappelle l’historien Maâti Monjib, qui ajoute : « Mohammed VI évolue aussi principalement dans ces sphères ». De nombreux journalistes insistent également sur la continuité des liens noués par Hassan II. « Mohammed VI a reconduit et modernisé les bonnes relations que son père entretenait déjà avec les présidents guinéens, Ahmed Sékou Touré et Lansana Conté », commente Mohamed Salifou Keita, journaliste pour le quotidien guinéen 3p-plus. Même son de cloche du côté du Sénégal : « Il y a une sorte de continuité dans les bonnes relations entre Mohammed VI et les présidents sénégalais. L’amitié entre Hassan II et le président Léopold Sédar Senghor était en effet connue de tous, enjolivée par beaucoup d’apparat », souligne Pape Samba Kane, journaliste à Dakar. Mohammed VI s’inscrit donc dans le sillage de son père, mais il ne marche pas dans ses pas pour autant. Plusieurs analystes remarquent d’ailleurs que le prisme africain développé par Mohammed VI constitue la différence la plus notable avec l’action diplomatique du défunt roi. En effet, si Hassan II a entretenu de bonnes relations personnelles avec plusieurs chefs d’État africains, il ne s’est presque jamais déplacé en Afrique, au contraire de Mohammed VI qui a multiplié les voyages sur le continent.  

 

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