Des villageois sont sortis de leur silence pour manifester leur ras-le-bol. Terres spoliées, conditions de vie précaires, manque d’accès aux soins étaient au cœur de leurs revendications.
Mobilisation générale. En ce 1er février, le village d’Amghass baigne dans une effervescence inhabituelle. Ce douar proche d’Azrou, oublié des plans de développement depuis des décennies, accueille une vaste manifestation. Le but : « Sauver un Moyen-Atlas marginalisé. Nous avons maintes fois tiré la sonnette d’alarme, mais n’avons rien obtenu. Nous avons donc haussé le ton en envoyant une lettre au roi et en sortant dans la rue », déclare Ichou Mohamed Oushabou, l’un des organisateurs. Près de 1200 personnes, issues principalement de Azrou, Ifrane, Sefrou, Midelt et Beni Mellal sont venues défiler, « malgré le mauvais temps et, surtout, les tentatives des responsables sécuritaires d’étouffer l’événement », se réjouit Ichou Mohamed. Les villageois dénoncent la spoliation de leurs terres, le détournement des budgets consacrés à la région, la condamnation des jeunes à une vie sans perspectives et des vieux à une mort lente, dénuée de tout confort. Pendant la manifestation, les différends politiques sont oubliés. De droite ou de gauche, les Amazighs revendiquent leurs droits, mais « sans oublier nos devoirs. Nous n’avons pas de leçons à recevoir sur la citoyenneté », affirme Ichou Mohamed, faisant allusion au préjugé selon lequel le degré de citoyenneté se mesure au niveau de développement d’une ville. La manifestation s’est clôturée par la création de l’association Achbar, qui réunit les principaux militants de la région et synthétise les principales revendications des habitants.
Terra nostra
Parmi ces revendications figure la question des terres collectives, « mal gérées depuis 60 ans et placées sous la tutelle du ministère de l’Intérieur qui a non seulement échoué, mais n’a pas de plan pour les développer », précise Ichou Mohamed. Sans parler des terres dont ils ont tout simplement été dépossédés, tel que le Ranch Adarouch. Construit par Hassan II à proximité du village éponyme, il s’étend sur un domaine de 10 400 hectares, qui appartenaient autrefois à des habitants de la région. « On a saisi les terres des anciens propriétaires et on leur en a donné d’autres qui ne leur conviennent pas. Après la mort de Hassan II, le ranch a été cédé à Othman Benjelloun. Aujourd’hui, il est déficitaire et son existence est injustifiée. Nous avons vécu cela comme une humiliation. Nous demandons donc au roi de nous restituer ces terres, dans le cadre de la réconciliation nationale », revendique Ichou Mohamed, qui ajoute : « Nous avons beaucoup de ressources, mais elles ne sont pas exploitées ». Et quand elles le sont, les habitants de la région sont les derniers à en profiter. C’est le cas du cèdre, sur lequel les mafias spécialisées ont fait main basse. « Quand nous voyons des camions chargés d’arbres quitter la région, alors que certains n’ont même pas de quoi se réchauffer, il y a de quoi s’indigner », lâche Ichou Mohamed. Quant au commerce officiel du bois, « il n’a aucune retombée économique palpable sur la région ».
Loin de tout
Dans les villages les plus enclavés du Moyen-Atlas, « obtenir un simple acte de naissance nécessite de parcourir 90 kilomètres et de dépenser 250 dirhams en frais de transport », signale Ali Amalou, un militant originaire d’Azrou. « Quant aux conditions de santé, n’en parlons même pas. Des femmes meurent en accouchant », poursuit-il. A Bouifrej, un village des environs d’Azrou, le dispensaire est actuellement à l’état de ruines. Même à Ifrane, la petite Suisse, les conditions de vie ne sont guère meilleures. « Pour les touristes, Ifrane se résume à ses chalets et à l’université Al Akhawayn. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que des gens y subissent quotidiennement les affres du froid et n’ont qu’un accès limité aux soins », regrette Ali Amalou. La cause ? « Les élus qui dilapident l’argent de la région », répond Ichou Mohamed, ajoutant que « des projets ont été financés par l’Etat mais ils n’ont jamais vu le jour ». Résultat, des villes et des villages qui vivent avec un budget réduit, et l’absence d’initiatives pour développer une économie locale. « En fin de compte, ce sont les jeunes qui en font les frais. Contraints de quitter une région qui n’offre aucune perspective d’avenir, ils se dirigent vers d’autres villes pour trouver des emplois. Certaines filles, elles, n’ont pas d’autre choix que la prostitution », assure Ichou Mohamed. « La génération montante ne peut plus se taire face à l’humiliation quotidienne qu’elle subit. Elle sera moins tolérante que la nôtre ». Ali Amalou, lui, suspecte une marginalisation délibérée de la part des autorités : « Avant, je ne croyais pas à cette thèse. Maintenant, si. Tout tend à montrer qu’on veut nous forcer à quitter nos terres ».
Loi de l’omerta
« Les responsables sécuritaires », comme Ichou Mohamed se plaît à les appeler, voient les choses d’un autre œil. « Nous vivons dans la terreur, car ils ne veulent pas que la société civile aborde ces questions », déplore-t-il, avant de poursuivre : « Ils ont même financé des associations pour s’opposer à nous, brandissant la vieille rengaine de lâam zine. Pour eux, tout va bien dans le meilleur des mondes ». Quant aux militants, « certains ont été envoyés en prison pour des délits fictifs ». Selon Ichou Mohamed, tous les moyens sont bons pour faire taire les voix dissidentes : « Ils sont allés jusqu’à empêcher des journalistes de la télé amazighe de filmer la région et ses problèmes ». Du côté des élus, silence radio. « Nous avons parlé à quelques parlementaires de nos problèmes. Ils n’ont rien voulu faire pour nous, sous prétexte que nous ne sommes pas membres de leur parti », se désole notre homme. « Il est temps que l’Etat assume ses responsabilités. Nous ne sommes pas moins citoyens que d’autres. Nous aimons autant notre roi et notre patrie que le reste des Marocains. Tout ce que nous voulons, c’est vivre dans la dignité », conclut Mohamed Oushabou.
Ressources. Cèdre en voie de disparition
Dans la région, la mauvaise exploitation de la cédraie laisse un arrière-goût amer aux habitants. Et pour cause, un mètre cube de cèdre s’écoule à 8000 dirhams, et un camion chargé de bois à 300 000 dirhams. Un commerce juteux qui profite à la mafia du cèdre, qui opère grâce à la complaisance des autorités locales et saigne les forêts du Moyen-Atlas. Aujourd’hui, du fait de sa surexploitation, le cèdre de l’Atlas figure sur la liste rouge des espèces menacées établie par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Sa disparition pose non seulement un problème pour la flore locale, en exposant la région à la désertification, mais aussi à la biodiversité de la région, et pourrait conduire à la disparition de toutes les espèces qui y vivent. Les militants écologistes qui dénoncent ce trafic ont dû faire face à la mafia et ses complices. L’un d’eux, Mohamed Attaoui, s’est même retrouvé en prison.
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