Maroc-Israël. Faut-il normaliser ou sanctionner ?

Maroc-Israël. Deux points de vue s’opposent : Sion Assidon est farouchement opposé à toute relation avec l’Etat hébreu, tandis que El Habib Belkouch met en garde contre les conséquences politiques et économiques.

Deux propositions de loi visant à criminaliser toute tentative de normalisation avec Israël ont été déposées en octobre 2013. Depuis, les relations entre le royaume et l’Etat hébreu reviennent en boucle dans les médias et suscitent la polémique. Deux militants associatifs, dont les avis se situent aux antipodes, en ont discuté en toute courtoisie. De la realpolitik à l’éthique, des relations internationales aux activités associatives, ils ont posé des jalons nécessaires à un débat constructif et apaisé.

Ces propositions de loi sont-elles nécessaires ou obéissent-elles à une rengaine populiste ?

Sion Assidon : Le procès qui est fait aux porteurs des propositions de loi est hors sujet. La question est : une telle loi est-elle légitime ? Je crois que les députés qui ont pris l’initiative de rédiger ces textes avaient le souci de répondre à l’aspiration du peuple marocain, clairement solidaire du peuple palestinien. Quand une initiative est juste dans son principe, il faut la soutenir. Si, par ailleurs, certains partis ne sont pas complètement cohérents, c’est leur problème.

El Habib Belkouch : Il y a en effet une forme de surenchère politicienne. La politique israélienne est condamnable et les citoyens marocains la désapprouvent, c’est un fait. Mais le problème est la logique de certains partis, qui en viennent à demander des peines de prison, proposent de quasiment déchoir des citoyens de leur nationalité et formulent des mesures économiques et politiques qui isoleraient le pays au niveau international. N’est-ce pas dangereux comme approche et engagement de la part de partis politiques qui dirigent le gouvernement actuel et d’autres qui ont dirigé les gouvernements du Maroc durant plus d’une décennie ?

S.A. : Des dangers, il y en a plusieurs. Le Maroc s’est équipé de F-16  américains, dont le système électronique est produit et maintenu par une société de l’occupant en Palestine. Cela leur laisse les clés de contact d’une arme stratégique, ce qui est extrêmement dangereux.

E.H.B. : On ne peut pas minimiser l’impact que de telles décisions pourraient avoir et mesurer l’ensemble de données relatives. Je citerai, à titre d’exemple, notre possible retrait de la FIFA et du partenariat euro-méditerranéen, sans parler de l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis. La question est donc : le Maroc est-il prêt à assumer les retombées politiques, économiques et stratégiques sur ses relations globales au niveau international après l’adoption d’un texte de ce type ? J’ai l’impression qu’avec de telles lois, ce n’est pas Israël qui serait isolé, mais nous.

Quel pourrait être l’impact de sanctions à l’égard d’Israël ?

S.A. : Nous avons affaire à un Etat qui ne reconnaît pas le droit international. Il n’y a pas mille méthodes pour le faire plier. L’exemple de l’Afrique du Sud est plein d’enseignements : le boycott et l’isolement international ont vaincu le régime d’apartheid. Et la Palestine vit justement sous le joug de l’apartheid, qui est un crime contre l’humanité.

E.H.B. : Le contexte d’aujourd’hui est assez différent de celui de l’Afrique du Sud à l’époque. Dans ce cas précis, les Nations Unies elles-mêmes s’étaient prononcées. Et le Maroc ne peut pas, au niveau diplomatique et économique, feindre d’ignorer un contexte mondial.

S.A. : En 2013, le désaveu du sionisme n’a cessé de prendre de l’ampleur. Même l’Association américaine des enseignants du supérieur a décidé le boycott académique des universités de l’occupant. John Kerry (secrétaire d’Etat américain, ndlr) a déclaré dernièrement que les gouvernements sionistes ont deux frayeurs : le nucléaire iranien et l’ampleur du boycott.

La présence d’une communauté juive au Maroc justifie-t-elle une normalisation des relations avec l’Etat hébreu ?

E.H.B. : Il y a en effet une donne qu’on ne peut ignorer : à travers le monde des centaines  de milliers de personnes vivent avec cette double appartenance. Elles sont marocaines et juives. Et certaines entretiennent des relations avec les deux pays, le Maroc et Israël. Du coup, il semble compliqué de les criminaliser, de criminaliser de simples voyages entre les deux pays.

S.A. : Le point de départ du refus de la normalisation avec l’occupant est le respect du droit international. Et l’existence d’une communauté juive marocaine ne change pas la donne. Pas de rapport entre les deux. La qualité de Marocain ne donne pas une immunité. Un citoyen marocain assujetti au service militaire « normal » en Israël commet des crimes de guerre. Il doit répondre de ses actes. Aux juifs marocains, il faut dire : le Maroc reste votre pays. Mais il n’y a aucune raison de leur offrir des « droits touristiques », inimaginables aujourd’hui pour les Palestiniens, privés, eux, de leur droit au retour.

En empêchant toute normalisation, le Maroc pourrait-il encore intervenir dans le processus de paix ?

E.H.B. : Le Maroc a toujours joué un rôle positif dans le processus de paix au Moyen-Orient. Rappelons-nous l’époque où il soutenait l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme seul représentant légitime du peuple palestinien, alors que d’autres cherchaient à la torpiller. Ce rôle très important, il doit continuer à le jouer. Tout en marquant son opposition, comme il le fait aujourd’hui en refusant d’entretenir des relations diplomatiques officielles avec Israël. Pratiquer la politique de la chaise vide, alors que beaucoup de Palestiniens eux-mêmes ne le font pas, serait pour le moins étrange.

S.A. : Le processus de paix a duré tellement longtemps qu’il est déjà mort plusieurs fois. Les conditions imposées par Israël, et acceptées par Kerry, en font un accord léonin, qui enfermerait les Palestiniens dans un Bantoustan.

Les propositions de loi telles qu’elles sont formulées empêcheraient même d’accueillir des Arabes israéliens au Maroc. Qu’en pensez-vous ?

E.H.B. : C’est un vrai problème. On en arriverait à dissoudre des ONG marocaines qui participent à des réseaux au sein desquels s’activent des structures de la société civile israélienne. Par ailleurs, il serait dommage de se priver de l’expertise de certaines associations israéliennes, comme B’Tselem, une ONG spécialisée dans les violations des droits de l’homme commises par Israël envers les Palestiniens. Au niveau politique, la démarche de certains partis marocains est à ce titre contradictoire. A ce que je sache, les socialistes marocains qui ont soutenu une proposition de loi contre la normalisation siègent à l’Internationale socialiste avec le Parti travailliste israélien.

S.A. : Je suis de l’avis de l’activiste palestinien Omar Barghouti, qui dit que l’avenir est dans la co-résistance au sionisme. Les Marocains solidaires du combat palestinien devraient pouvoir se rendre en Palestine. De même, les juifs et les Palestiniens sous occupation qui participent à cette co-résistance doivent pouvoir venir au Maroc. Il y a donc matière à affiner dans les propositions de loi.

Interdire tout lien avec Israël, n’est-ce pas aussi prendre le risque de se priver du soutien de certains lobbys sur le dossier du Sahara ?

S.A. : On ne peut évincer des questions fondamentales pour l’avenir de toute la région au prétexte d’un soi-disant intérêt national. Le Sahara ne doit pas nous faire fermer les yeux sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité qui se commettent en Palestine.

E.H.B. : Le Sahara est une question primordiale au Maroc, on le sait. Il est impossible de l’éclipser. Récemment, à plusieurs reprises, les lobbys pro-marocains nous ont soutenus et aidés sur cette question. Ces lobbys sont nombreux aux États-Unis et parfois liés à la communauté juive. Et ce n’est un secret pour personne que beaucoup de ces groupes sont aussi très proches d’Israël. C’est un exemple de plus qui montre que nous devons mesurer toutes les conséquences d’une interdiction de normalisation.  

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