Le cheikh salafiste défraie la chronique pour avoir excommunié Driss Lachgar. Inconnu du grand public, l’homme n’est pourtant pas un parachuté dans la galaxie islamiste.
Une barbe teintée de henné, une sorte de burnous noir sur les épaules et des propos qui font froid dans le dos. Abdelhamid Abou Naïm est apparu dans une vidéo postée le 27 décembre 2013 sur YouTube pour réagir au discours de Driss Lachgar prononcé en ouverture du congrès des femmes ittihadies, une semaine plus tôt. Le cheikh salafiste n’admet pas que le secrétaire général de l’USFP propose de pénaliser la polygamie et d’instaurer l’égalité hommes-femmes dans l’héritage. Dans un langage qui rappelle certains discours antérieurs au 16 mai 2003, il l’excommunie purement et simplement. Par la même occasion, il s’attaque aux penseurs Abdellah Laroui et Abed El Jabri, sans oublier le militant amazigh Ahmed Assid. Ses propos déclenchent une levée de boucliers au sein des socialistes et dans les milieux progressistes. Ce qui n’empêche pas Abdelhamid Abou Naïm de récidiver avec une deuxième, puis une troisième vidéo. Le 4 janvier, le Parquet de Casablanca passe finalement à l’acte et décide d’ouvrir une enquête. Deux jours après, le cheikh salafiste est entendu par la police judiciaire pour « humiliation de certaines instances », lors d’un interrogatoire de cinq heures au terme duquel il est relâché.
La bande à Moutiî
Ce prédicateur casablancais n’est pas un parfait inconnu dans les milieux islamistes marocains, même s’il est entré dans une longue « hibernation ». Abdelhamid Abou Naïm, aujourd’hui âgé de près de 60 ans, faisait partie des leaders casablancais de la Chabiba Islamiya après la fuite de Abdelkrim Moutiî en 1976. Dans la clandestinité, il militait au sein de la même cellule que Mustafa Ramid. D’ailleurs, c’est bien lui qui avait convaincu l’actuel ministre de la Justice de rester dans les rangs de la Chabiba. Mais c’est aussi lui qui finira par se brouiller avec Abdelkrim Moutiî en 1979 pour fonder une nouvelle structure, Jamaât Assouna. Homme rusé et fin polémiste, il réussit à entraîner avec lui plusieurs autres figures de la Chabiba, comme l’avocat Abdelmalek Zaâzaâ. Abdelhamid Abou Naïm est également une vieille connaissance de Abdelilah Benkirane, Abdellah Baha et Saâd-Eddine El Othmani. Les deux premiers ont tenté de le convaincre de dissoudre Jamaât Assouna pour rejoindre la Jamaâ Islamiya (qui donnera le PJD). Mais en vain. Abou Naïm a même été approché par Abdeslam Yassine, guide d’Al Adl Wal Ihsane. Sans résultat non plus.
La démocratie, c’est haram
L’homme se fait discret pendant les années 1980. Il partage son temps entre son travail de professeur d’arabe et des prêches réguliers dans quelques mosquées de Casablanca. Contrairement à Abdelbari Zemzmi ou Mohamed Zouhal, l’un de ses maîtres, Abou Naïm ne cherche pas à être médiatisé. Au début des années 1990, il devient l’un des leaders de l’association l’Appel au Coran et à la Sunna de Mohamed Maghraoui, le fameux cheikh salafiste de Marrakech.
Les relations entre les deux hommes sont au beau fixe jusqu’à l’été 2011, quand Mohamed Maghraoui appelle les siens à voter « oui » lors du référendum constitutionnel, puis à voter PJD aux législatives. Abou Naïm multiplie les vidéos pour déclarer que la démocratie, le parlement, les partis et les élections sont contraires à l’islam, sans toutefois provoquer l’indignation au sein de l’opinion publique. En fustigeant Driss Lachgar, il a enfin droit à son quart d’heure de gloire. Mais il pourrait en payer le prix fort. Surtout si, comme le demande l’USFP, il est poursuivi en vertu de la loi antiterroriste.
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