Diplomatie. Les quatre vérités d’Aznar

L’ancien Chef du gouvernement espagnol revient sur huit années de relations orageuses avec le Maroc dans le deuxième tome de ses mémoires, L’engagement du pouvoir, publié il y a quelques semaines.

Après son investiture en tant que président du gouvernement espagnol le 5 mai 1996, José Maria Aznar doit choisir la destination de son premier voyage diplomatique. « Comme le veut la tradition, ou simplement une pratique habituelle, j’ai décidé que ma première visite officielle en tant que chef d’Etat se ferait au Maroc », écrit-il. L’occasion pour lui « de reconnaître la singularité des relations » entre les deux pays, « de transmettre  un message de continuité quant aux éléments basiques de la politique extérieure espagnole », mais surtout d’effacer les « doutes » et les « suspicions » de Rabat suscités par la défaite des socialistes espagnols et l’avènement d’un gouvernement issu de la droite conservatrice. Au programme de la rencontre bilatérale : le Sahara, les accords de pêche, les enclaves espagnoles (Sebta et Melilia) et l’immigration illégale. Quatre « thèmes épineux » sur lesquels les deux royaumes ne parviennent pas à trouver un terrain d’entente, ni même à discuter sereinement. « Je voulais entretenir de bonnes relations avec le Maroc. Cela n’allait pas être facile », conclut l’auteur.

Hassan II l’énervait

José Maria Aznar a rencontré Hassan II à deux reprises, « un homme avec une immense expérience du pouvoir et implacable dans son exercice, qui avait survécu à de nombreuses tentatives pour le renverser. Lorsqu’il le jugeait nécessaire, il n’hésitait pas à se débarrasser de ses plus fidèles et loyaux collaborateurs ». Par ailleurs, le roi avait une propension à  court-circuiter le gouvernement Aznar, en discutant directement des affaires d’Etat avec son homologue Juan Carlos. Une habitude jugée comme « un clair dysfonctionnement dans les relations bilatérales » et qui irritait profondément Aznar.

Lors de sa première visite au Maroc, le 27 mai 1996, Aznar a droit à « un cortège extraordinaire, une grande hospitalité, une cordialité totale ». Il garde alors un très bon souvenir de Hassan II. Pourtant, au cours de sa deuxième visite en avril 1998, son audience avec le souverain se révèle bien plus « compliquée ». En effet, lorsqu’il fait à nouveau part des revendications marocaines concernant Sebta et Melilia, Hassan II prononce le mot « guerre » pour illustrer le fait qu’il ne tient justement pas à la déclarer sur cette question. Piqué au vif, Aznar réplique du tac au tac : « Votre posture est la bonne car si le Maroc venait à faire la guerre à l’Espagne, il la perdrait ». Et  de poursuivre dans ses mémoires : « Après dix minutes de silence, le roi m’a dit qu’il pensait que la conversation était terminée. Je lui ai dit qu’il y avait d’autres thèmes intéressants à aborder, […] on a fini par discuter de la création de l’euro ».

M6, le frère ennemi

En mai 1997, le prince héritier effectue un voyage à Cordoue et Madrid. Aznar décide alors de lui offrir « un déjeuner avec la plus grande considération protocolaire ». Encore une fois, « la conversation ne fut pas facile ». Inquiet pour le futur statut du Sahara à cause de l’entrée en vigueur du « Plan Baker » (plan de paix pour l’autodétermination du peuple sahraoui), le futur Mohammed VI « exige » que l’Espagne abandonne sa neutralité vis-à-vis de ce conflit territorial. Une exigence partagée par l’ensemble de la diplomatie marocaine, mais qui ne suffit pas à faire plier Aznar : « Je lui ai expliqué que l’Espagne maintiendrait sa position ».

Au cours du déjeuner, le prince héritier reproche cette fois au Chef du gouvernement ibérique son refus d’évoquer les revendications marocaines sur Sebta et Melilia. « Ma réponse lui a bien sûr déplu », écrit Aznar sans donner plus de détails, mais qu’on devine aisément. Ses rapports avec Mohammed VI sont encore plus tendus qu’avec Hassan II. A la mort de ce dernier, Aznar et le roi Juan Carlos se rendent à ses obsèques. En larmes, le souverain espagnol déclare alors à Mohammed VI : « Hassan II était comme mon frère aîné ». Ce à quoi le jeune roi répond : « Alors maintenant c’est moi qui suis ton frère aîné ». L’échange ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd : « Au vu de la politique étrangère du Maroc, j’ai immédiatement pensé qu’en revanche, le frère aîné de Mohammed VI était Jacques Chirac », écrit Aznar.

Complot avec la France

L’idée est récurrente. Pour José Maria Aznar, il ne fait aucun doute que la France et le Maroc entretiennent une étroite relation afin de « prendre l’Espagne […] en tenaille ». D’après lui, Mohammed VI s’est « aligné avec la France contre les intérêts de l’Espagne », tandis que le président Jacques Chirac, qu’Aznar déteste cordialement, se comporte en « paternaliste ». La crise diplomatique autour de l’îlot Leïla, qui a eu lieu en juillet 2002, illustre parfaitement sa vision des relations franco-marocaines : « Il est difficile de savoir ce qu’il a pris à Mohammed VI de commettre une erreur stratégique du calibre de l’occupation illégale de l’îlot Leïla. Sans doute l’appui sans équivoque qu’il a reçu de la France ».

Le 11 juillet 2002, quand Aznar apprend que l’îlot Leïla, revendiqué par l’Espagne, est occupé par une unité de gendarmerie marocaine, il prévient d’abord Juan-Carlos et appelle ensuite le Premier ministre marocain, Abderrahman Youssoufi, « un vieux socialiste et ami de l’Espagne, que je connaissais bien ». Mais Youssoufi déclare n’être au courant de rien, puis ne donne plus aucune nouvelle. Un comportement qui étaye la version d’Aznar, persuadé que l’attaque a été fomentée par le Palais et la France. Enfin, l’ex-dirigeant espagnol légitime sa contre-attaque démesurée (28 unités de commandos avec une aide de la marine et de l’armée de l’air) par la thèse d’une possible occupation marocaine de Sebta et Melilia. Malgré toutes les justifications possibles, cette crise diplomatique a définitivement entaché le mauvais souvenir qu’a laissé José Maria Aznar au Maroc. Un souvenir qui perdure encore.    

 

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