Certains ont fait les gros titres ou étaient de parfaits inconnus, d’autres sont emblématiques d’un combat, d’une évolution notable ou d’un phénomène de société. Nous les avons choisis pour donner un aperçu de l’année écoulée et se projeter dans celles à venir.
Au moment de choisir qui serait notre homme et notre femme de l’année, Hamid Chabat s’est imposé de lui-même parmi la liste des prétendants qui ont fait l’actualité de 2013. Son choix était presque inévitable, tant le patron de l’Istiqlal s’est comporté comme la mouche du coche. Il a bousculé les positions établies de Abdelilah Benkirane, le contraignant à se chercher des alliés parmi ses ennemis d’hier pour pouvoir former un nouveau gouvernement. Agitateur, provocateur, meneur, trublion… Chabat a revêtu toutes ces casquettes et fait la Une des médias, 365 jours sur 365.
Un prénom amenant un autre, un second Hamid est apparu à l’aune des esclandres du pays. Hamid Krairi était, jusqu’à l’été dernier, un parfait inconnu pour le grand public. C’est pourtant grâce à cet avocat, véritable lanceur d’alertes, que le scandale Daniel Galvan est apparu à la lumière du jour. Au lendemain de la grâce accordée au pédophile espagnol, l’avocat et militant a amorcé une réaction en chaîne, gonflée par l’indignation des citoyens et conclue par des excuses royales qui ne portent pas leur nom.
Et au milieu des personnes descendues manifester leur colère, une femme dont l’indignation, chevillée au corps, a fait évoluer positivement le combat pour les droits humains. Sur le pont depuis toujours, Khadija Ryadi a enfin vu sa lutte reconnue à l’international. L’infatigable ex-présidente de l’AMDH s’est vu décerner, le 9 décembre, le Prix des Nations Unies pour la cause des droits humains. Et comme nous ne croyons pas à l’adage affirmant que nul n’est prophète dans son pays, cette pasionaria est pour nous, de toute évidence, la femme de l’année.
Mais avant de tourner la page 2013, prenons le temps de regarder dans le rétro. Lors des douze derniers mois, des individus ont façonné notre actualité politique, économique, sociétale et culturelle. Dans notre sélection, subjective et non-exhaustive, des noms indissociables des plus grands faits de l’actualité, mais aussi des petites victoires, des avancées, ou des cafouillages dont on aurait pu se passer. A travers les personnalités mises en avant, c’est une plongée dans l’évolution, bon gré mal gré, du Maroc tel qu’il est. Bonne lecture.
Hamid Chabat
L’homme qui a brouillé les cartes
Il a provoqué la chute de Benkirane I, forcé un remaniement ministériel et organisé une purge au sein de l’Istiqlal. Sa soif de pouvoir a redessiné la carte politique du Maroc.
Au vu de l’œuvre de Hamid Chabat, Abdelilah Benkirane doit amèrement regretter l’ancien patron de l’Istiqlal, Abbas El Fassi. A son époque, le Chef du gouvernement jouissait d’une paix absolue et avait, à sa disposition, une équipe de ministres istiqlaliens des plus appliqués. Le cauchemar du SG du PJD a commencé le 13 septembre 2012, date à laquelle un « timsah » nommé Hamid Chabat est arrivé à la tête de l’Istiqlal, jadis premier allié des islamistes. Le nouveau patron du plus vieux parti du Maroc, malgré quelques piques lancées en direction du gouvernement, laisse quand même un délai de grâce à Abdelilah Benkirane. Le 3 janvier 2013, lors du premier anniversaire du nouveau gouvernement, Hamid Chabat ouvre les hostilités. Il demande, via un mémorandum, de tout mettre à plat : politiques publiques, meilleure cohésion de la majorité, et surtout exige un remaniement ministériel. L’éléphant est lâché dans le magasin de porcelaine. Abdelilah Benkirane fait la sourde oreille. Chabat, lui, se répand en déclarations incendiaires qui n’épargnent pas les autres composantes de la majorité, PPS inclus. Il va jusqu’à menacer de se retirer de la coalition gouvernementale, mais personne ne le prend au sérieux.
L’Istiqlal se rebelle
Et pourtant, Hamid Chabat franchira le Rubicon. Le 11 mai, le conseil national est au complet au siège historique du parti à Rabat. L’ordre du jour : le retrait de l’Istiqlal du gouvernement. Les ministres istiqlaliens ne rechignent pas, sauf le ministre de l’Education, Mohamed El Ouafa, qui se fait éjecter du parti pour indiscipline. « Nous ne bluffions pas en jouant la carte du retrait gouvernemental. Nous avons tout essayé avec Abdelilah Benkirane avant d’en arriver à cette solution », se souvient Chabat. Regrette-t-il sa décision ? « Non, à aucun moment. Chaque jour qui passe me conforte dans mon choix ». Et il ne lâche toujours pas prise, menant une bataille de tranchées contre le Chef du gouvernement et son équipe. Au parlement, où il coordonne son action essentiellement avec l’USFP, il mène la vie dure aux ministres de Benkirane II. Car si les chefs de partis boudent généralement l’hémicycle, lui n’hésite pas à y faire des descentes régulières pour galvaniser ses troupes. Le 17 décembre, il mobilise ainsi son groupe parlementaire à la deuxième chambre pour barrer la route à un amendement gouvernemental apporté à la Loi de Finances et qui proposait une amnistie permettant de rapatrier les avoirs non déclarés des Marocains à l’étranger. « Je suis secrétaire général à temps plein et je reste informé de tout ce qui se passe dans le pays », se glorifie Hamid Chabat.
Hamid Kadhafi
Ses détracteurs au sein de l’Istiqlal le surnomment Kadhafi et appellent désormais le siège du parti « Bab El Azizia », en référence au palais de l’ancien dictateur libyen à Tripoli. On accuse Hamid Chabat d’avoir fait taire toutes les voix contestant son pouvoir au sein du parti. Et pour cause, il s’est taillé un congrès national sur mesure pour se faire porter à la tête du parti et évincer du même coup ses rivaux, le clan El Fassi le premier. « Ces gens-là ont été les premiers à me féliciter pour mon élection. Ils ont accepté le verdict des urnes avant de tout contester », se justifie Hamid Chabat au sujet du mouvement dissident Bila Hawada (Sans répit) que dirige Abdelouahed El Fassi, fils du leader historique de l’Istiqlal. Le 16 décembre, Chabat pousse le bouchon encore plus loin en démettant 22 personnes du conseil national, Abdelouahed El Fassi en tête. « Je ne fais qu’appliquer les règlements du parti et ces gens-là se sont absentés durant trois sessions successives du conseil national », réagit Hamid Chabat, trônant dans son bureau décoré des portraits de ses prédécesseurs. « Hamid Chabat a gravi tous les échelons et a été de toutes les batailles alors que, à peine majeur, Abdelouahed El Fassi s’est retrouvé membre de la direction », poursuit le SG de l’Istiqlal qui, depuis quelques années, s’est mis à parler de lui à la troisième personne, victime du syndrome Alain Delon. « D’ailleurs, ils ne sont pas plus fassis que moi ! », ironise-t-il. Fin des haricots pour le clan El Fassi. L’unité du parti s’en trouve-t-elle menacée ? « Absolument pas. Nous avons une plus solide présence dans les régions et notre position est des plus confortables. Je ne vous donnerai pas de chiffres, mais sachez que le nombre de nos militants a sensiblement augmenté depuis une année ». Ses proches, eux, affirment qu’il a choisi de commencer par rectifier les erreurs de Abbas El Fassi, son prédécesseur. « Sachant qu’il était partant et de la primature et de la direction du parti, il a mal négocié la participation au gouvernement. Avec lui, l’Istiqlal était devenu une sorte de bateau ivre », accuse-t-on dans les cercles des intimes de Hamid Chabat.
Objectif primature
Simple ouvrier d’usine, patron d’un syndicat local, élu communal, maire, député, patron de l’UGTM (Union générale des travailleurs du Maroc) et finalement secrétaire général de l’Istiqlal, cela fait déjà beaucoup de casquettes accumulées par Chabat. Et il compte bien compléter son dressing par un couvre-chef : celui de Chef du gouvernement. A la question sur cette ambition suprême, il ne répond pas directement, préférant se lancer dans les confidences : Abdelilah Benkirane lui aurait fait miroiter un poste de ministre, proposition qu’il aurait refusée. Pas suffisant pour les ambitions politiques de Chabat. Et quid d’un deuxième mandat à la tête de l’Istiqlal ? « Les Istiqlaliens m’ont choisi, et s’ils me demandent de débarrasser le plancher, je n’hésiterais pas à le faire. Je suis pour la reddition des comptes », explique-t-il. S’il reste vague sur sa succession à la tête de l’UGTM, il affirme néanmoins vouloir faire de cette centrale un syndicat moderne, plus jeune et avec une présence féminine accrue. Lors du prochain congrès, en 2014, un quota de 50% sera réservé aux femmes et aux jeunes. Sinon, à quand un Hamid Chabat moins populiste ? « Je suis plutôt un fils du peuple. Les populistes sont ceux qui mènent actuellement le Maroc droit dans le mur », rétorque-t-il. L’allusion à Benkirane est claire. D’ailleurs, la brouille est définitivement scellée entre le secrétaire général de l’Istiqlal et le chef des islamistes. Ils se boudent mutuellement, l’un n’hésitant pas à décrédibiliser l’autre à chaque occasion. « Même lors des réunions de l’ancienne majorité, Abdelilah Benkirane nous prenait de haut. A maintes reprises, j’ai dû lui rappeler que, lors de ces réunions, il était simple chef de parti comme moi », enchérit-il avant de rappeler que l’Istiqlal reste toujours, numériquement, la première force politique du pays. Mégalo Hamid Chabat ? Difficile de le nier. Tout comme il faut bien lui reconnaître des qualités de politicien pragmatique qui sait saisir les occasions. Ou les créer. M.B.
Khadija Ryadi
Le symbole de la lutte
Le prix des Nations Unies pour la cause des droits de l’homme a été décerné à la militante. Un hommage à son engagement et un message d’espoir pour tous les défenseurs des droits humains du royaume.
Le 9 décembre 2013 à 22 heures, Khadija Ryadi atterrit à New York. C’est la première fois de sa vie qu’elle foule le sol américain. La militante, ex-présidente de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), est attendue le lendemain au siège de l’ONU afin de recevoir le Prix des Nations Unies. Une prestigieuse distinction décernée tous les cinq ans, depuis 1968, à des individus ou des organisations qui œuvrent en faveur des droits humains. Avec ce prix, elle rejoint le panthéon des personnalités qui ont marqué l’histoire de la lutte pour les droits de l’homme, à l’instar de Martin Luther King ou Nelson Mandela. Cette récompense, Khadija Ryadi n’en a pas rêvé pour elle mais pour l’AMDH, l’association de sa vie, qu’elle a intégrée en 1983. En son sein, elle a gravi tous les échelons jusqu’à être la première femme à en prendre les rênes, de 2007 à 2013. « En début d’année, j’avais proposé au bureau central de déposer une candidature au nom de l’organisation, mais la direction a insisté pour que ce soit moi la candidate auprès de l’ONU », explique-t-elle.
« Jamais désespérée »
Depuis mai 2013 pourtant, Khadija Ryadi n’est plus présidente de l’association. Elle a passé le flambeau au « camarade » Ahmed El Haij. « Un soulagement. C’est une lourde tâche qui exige énormément d’implication et d’abnégation », avoue-t-elle. Discrète, pas vraiment friande des micros ou des caméras, Khadija Ryadi n’en est pas moins devenue un symbole. Avec ses prises de position en faveur des libertés individuelles et de la laïcité, des milliers de personnes la considèrent comme l’une des figures emblématiques de l’AMDH. Aujourd’hui encore, elle représente le visage de l’association. Infatigable, elle est de toutes les manifestations et de toutes les luttes. Cette année encore, elle a manifesté contre la grâce de Daniel Galvan et n’a pas hésité à soutenir le journaliste Ali Anouzla, poursuivi pour « apologie du terrorisme ».
« Jamais désespérée, parfois fatiguée », Khadija Ryadi n’a pas profité de cette passation pour se reposer. En plus d’être cadre au ministère des Finances, elle fait toujours partie de la commission administrative de l’AMDH et coordonne également le Collectif marocain des instances de droits humains, qui regroupe les plus grandes organisations associatives du pays. Mariée et mère de deux enfants, c’est à se demander si elle a une vie privée. « C’est un choix. Ma vie n’est qu’une continuité. Les membres de ma famille sont aussi des militants. On partage les mêmes convictions et nous sommes fiers les uns des autres. Par contre, je ne lis pas de romans, je ne fais pas de jardinage et je rate toutes les fêtes de famille », concède-t-elle avec un sourire.
Retrouvailles avec Annahj
En 2013, Khadija Ryadi est revenue à la vie partisane puisqu’elle a de nouveau rejoint les rangs de la direction d’Annahj Addimocrati, parti politique d’extrême gauche. Une activité qu’elle avait dû abandonner au moment de sa nomination à la présidence de l’AMDH, « pour éviter une surcharge de travail et un éventuel conflit d’intérêt », selon elle. A cette époque et encore aujourd’hui, Annahj a souvent été accusé de vouloir tirer les ficelles de l’association. Un reproche que Khadija Ryadi balaie d’un revers de main. Pour elle, si le parti est intrinsèquement lié à l’histoire de l’AMDH, il n’empêche que toutes les idéologies y sont représentées.
Le matin devant son miroir, Khadija Ryadi ne pense toujours pas aux élections. De toute façon, son parti les boycotte et elles ne déchaînent pas les foules. « Les élections sans véritable démocratie, ça ne sert à rien, sinon à décrédibiliser la classe politique. Je suis plus à l’aise avec le travail associatif mais c’est très utile d’être dans un parti pour avoir un référentiel et un discours. Et détrompez-vous, notre formation est petite mais nous sommes très présents au sein de la société civile », rétorque-t-elle, tout en admettant toucher plus de monde avec l’AMDH.
Une année bien chargée donc, et qui s’est clôturée par la remise du Prix des Nations Unies, le 10 décembre. L’ultime récompense pour trente ans de militantisme acharné au nom de la démocratie. A travers Khadija Ryadi, c’est aussi une reconnaissance du travail de l’AMDH, rare si ce n’est unique contre-pouvoir au Maroc. La preuve également que les représentants de l’ONU sont conscients qu’au royaume, la question des droits de l’homme est loin d’être réglée. Accueillie au son des youyous et des chansons partisanes à son retour des Etats-Unis, le 16 décembre, Khadija Ryadi a eu le plaisir de retrouver Ali Anouzla, « un ami de longue date, qui est toujours du côté des militants malgré ses ennuis avec la justice ». Comblée, Khadija Ryadi n’en a pas moins un goût d’inachevé. Pour elle, « tout reste encore à faire ». N.K.
Hamid Krairi
Celui qui nous a avertis
L’affaire Daniel Galvan n’aurait jamais été révélée sans l’intervention de cet avocat lanceur d’alerte. Il a été le premier à tirer la sonnette d’alarme sur le scandale qui
a entraîné une mobilisation citoyenne sans précédent.
A Rabat, ce 2 août 2013 au soir, Hamid Krairi court comme les autres lorsque la police charge la foule, venue protester contre la grâce accordée au pédophile Daniel Galvan Vina. Manifestant parmi d’autres, visage peu connu, il est pourtant celui grâce à qui on doit ce sursaut de citoyenneté. Si pour le gros des personnes présentes, l’indignation suscitée par la libération de Daniel Galvan, annoncée quelques jours plus tôt, est encore toute fraîche, pour Krairi, l’affaire n’est pas nouvelle.
Défenseur des enfants
Tout a commencé le 25 novembre 2010 au soir, lorsqu’un homme -dont il refuse jusqu’à aujourd’hui de révéler le nom, comme il s’y est engagé- lui remet un CD gravé, sur lequel il découvre quelques dizaines de clichés à caractère pédophile. Ce n’est pas pour rien si ce CD lui est parvenu à lui et pas à un autre. Krairi est connu à Kénitra, où il est né, réside et travaille comme avocat. Adhérent à l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), il milite pour les droits des enfants. Dès le lendemain matin, Krairi dépose une plainte auprès du procureur, dans laquelle il engage de facto l’AMDH. Rejoint par trois autres juristes, il plaide, bénévolement, au nom des victimes et de l’association, du 28 novembre 2010, jour de l’arrestation de Galvan, à la fin du procès. Un procès qui se déroule, selon ses dires, «plutôt bien, les droits de la défense comme de l’accusation étant largement respectés». Lorsque le 2 mai 2011, Galvan est reconnu coupable et écope d’une peine de trente ans de prison ferme, il se réjouit. «C’était une victoire. Pour la première fois, un pédophile était condamné à hauteur de ses crimes. Nous avions besoin d’envoyer ce signal : l’impunité n’a pas lieu d’être».
Krairi, satisfait, retourne à son travail , «des petites affaires qui me permettent de vivre dignement tout en conservant mon honnêteté». Non sans réfléchir à la question de la peine infligée à Galvan. «Je m’intéresse à la question de l’emprisonnement et des peines. Je suis contre la peine de mort, contre le mélange des mineurs et des majeurs en prison et je pense qu’un pédophile doit avoir une peine adaptée, assortie d’une aide médicale et psychologique», précise-t-il.
Alerte rouge
La routine de ce quadragénaire, père de deux enfants, est brisée quelque temps plus tard. En ce 31 juillet 2013, il reçoit un appel téléphonique. Encore une source dont il tient à préserver l’anonymat, qui le prévient que Galvan, vu au tribunal, est en passe d’être libéré. Krairi fonce sur les lieux, se renseigne. Plusieurs personnes lui confirment les faits. «Quand je comprends qu’il ne peut s’agir que de la grâce royale, annoncée la veille, je me dis qu’il faut alerter les médias». Il décide de se tourner vers la version arabophone du site d’informations Lakome. «Comme tout le monde, je connaissais la réputation de Ali Anouzla, le directeur du site. Intègre, indépendant, il avait déjà abordé des sujets qui fâchent», explique-
t-il. Les journalistes de la rédaction joignent des détenus, recoupent l’information. Une heure plus tard, la breaking-news est publiée sur le portail. «Je me suis dis que si personne ne parlait, la nouvelle allait passer inaperçue, que les journalistes ne pouvaient pas éplucher un à un les noms des graciés.»
La nouvelle est reprise. Elle enflamme les réseaux sociaux. Elle indigne, elle pousse les plus mécontents dans la rue. Le téléphone de l’avocat ne cesse plus de sonner. Les lanceurs d’alerte fascinent. Derrière chaque «Gate», il y en a un et les journalistes étrangers veulent rencontrer celui qui se cache derrière le «Danielgate». «Les journalistes de Lakome m’appelaient et me demandaient s’ils pouvaient donner mon numéro à tel ou tel média international. Je n’ai refusé aucune interview.» Krairi retisse l’histoire de l’affaire, aux journalistes espagnols qui se déplacent à Kénitra, comme aux journalistes allemands qui le joignent sur Skype. «Cette présence médiatique me rassurait aussi», concède-t-il. Car «devant l’ampleur que l’affaire prenait, je commençais à me poser des questions, ma femme était effrayée», se souvient-il. La rumeur de menaces pesant sur lui circule même quelques heures. Le public tremble un moment pour lui, mais c’est une fausse alerte. «Les autorités locales me connaissant, elles n’avaient pas de raisons de s’en prendre à moi tant que je restais à portée de vue», croit-il savoir. «Il faut dire qu’à Kénitra, au sein même des autorités, beaucoup me félicitaient discrètement», poursuit-il en souriant, avant de fulminer contre les associations de défense de l’enfant qui ont refusé de se joindre aux manifestations. S’il préfère éviter Facebook et n’a pas de compte sur Twitter, il s’émerveille tout de même de la vitesse à laquelle l’information se partage sur les réseaux sociaux. Comme tous, il vit au rythme des annonces, des déclarations d’officiels, des dépêches qui tombent et des articles qui analysent la portée du mouvement de ras-le-bol. Quoique certains aspects de l’affaire le laissent froid : «Toutes ces histoires sur la nationalité de Galvan, son prétendu passé d’espion… ça ne m’intéresse pas. J’avais déjà entendu parler de ça lors du procès, où il expliquait avoir participé à des opérations de l’armée irakienne… Dans le fond, qu’il soit irakien ou espagnol, musulman ou chrétien ne change rien pour moi.» Ce qui avait été un combat pour les droits de l’enfant est devenu pour lui une lutte pour le respect du droit en général.
De bonne grâce
Krairi accueille avec joie, le 4 août, l’annonce officielle relative au retrait de la grâce et qu’une enquête est ouverte. Mais de retour à la normale, il n’y en aura pas eu pour lui en 2013. En septembre, il apprend l’arrestation de Ali Anouzla. «Bien sûr, j’ai tout de suite fait le rapprochement. Je me suis dit qu’il était réprimé pour toutes les affaires qu’il avait traitées, parmi lesquelles celle de Daniel Galvan», se remémore Krairi. Alors, consciencieusement, il recommence à faire la navette entre Kénitra et Rabat, pour assister à chaque manifestation de soutien avec le journaliste, qu’il a rencontré pour la première fois le 12 décembre. Tous deux sont venus accueillir l’exprésidente de l’AMDH, Khadija Ryadi, de retour de New York où elle a reçu le Prix des Nations Unies pour la cause des droits de l’homme. «Je suis allé le voir, je me suis présenté à lui, je l’ai félicité pour son travail. Il m’a félicité en retour», raconte pudiquement Krairi.
Il avoue ne pas accorder d’importance à l’extradition de Galvan : «La prison en Espagne ou au Maroc, ça m’est un peu égal». Mais si la procédure est bien finie et la mobilisation intense des premiers jours retombée, le «Danielgate» n’est toujours pas clos à ses yeux. «Je ne veux pas que tout ça soit arrivé pour rien. Nos mémoires ne doivent pas devenir un tapis et l’affaire Galvan la poussière que l’on glisse en dessous.» Il insiste : «Cette affaire doit nous permettre de rebondir pour aller de l’avant en ce qui concerne trois sujets majeurs : la grâce, les droits de l’enfant et la citoyenneté». C’est pourquoi il a accepté avec joie l’invitation des associations Anfass et Capdema, à participer au projet «Pour une grâce royale démocratique», qui propose et médiatise un modèle de loi alternatif pour encadrer le système de grâce. Fin décembre, Krairi clôture son année 2013 avec une conférence dédiée à cette proposition de réforme. J.C.
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