Les hommes de 2013. Ils ont lancé le débat

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Parlementaires, hauts fonctionnaires,  militants ou simples footballeurs, ils sont unis par le fait d’avoir cassé le consensus et brisé des tabous. Ils sont porteurs d’un discours nouveau.

Mehdi Bensaid

Legalize it !

Début décembre, le plus jeune député  pamiste, 29 ans, jette un pavé dans la mare en organisant une journée d’étude au parlement sur la dépénalisation partielle de la culture de cannabis. Il veut mettre en avant le rôle du kif dans la création d’une économie alternative liée à l’usage thérapeutique et industriel. C’est un évènement, car le sujet fait pour la première fois son entrée à l’hémicycle. Durant les semaines qui suivent, le sujet est sur toutes les lèvres. Différents parlementaires ont emboîté le pas à Bensaïd. C’est d’ailleurs l’Istiqlal qui vient de déposer un projet de loi favorisant la légalisation du cannabis .

Driss El Yazami

Le makhzen à visage humain

Sous couvert de publier des rapports, le  président du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) rythme en réalité une partie de la vie politique du Maroc. Un des exemples les plus marquants est celui du procès de Gdim Izik. El Yazami s’est attaqué à la question du tribunal militaire et a en outre recommandé que les civils ne soient plus jugés devant cette cour d’exception. Une proposition audacieuse rapidement validée par le roi et qui pourrait aboutir à un texte de loi au cours des prochains mois. Autre sujet fort mis sur la place publique : l’immigration. Sous la houlette de son président, le CNDH  a officiellement reconnu le mauvais traitement des Subsahariens et le fait que le Maroc soit devenu un pays d’immigration. Là encore, Mohammed VI a validé ce rapport quelques jours après sa publication. Mieux, les propositions du CNDH ont été concrétisées par le gouvernement, qui a d’ores et déjà créé un bureau des apatrides et des réfugiés ainsi que plusieurs commissions de régularisation.

Jamila Sayouri

Briseuse de silence

En toile de fond de l’affaire Jihane et Hiba, il y a surtout une mère courage qui n’a pas hésité à soutenir sa fille victime de viol coûte que coûte. Lorsque Hiba lui raconte son agression sexuelle, sa mère, Jamila Sayouri, l’encourage à porter plainte. Avocate, elle décide également de défendre sa fille lors du procès. Les reports, les insultes, les regards méprisants…pendant cinq mois, Jamila Sayouri supporte tout, en silence. Tout ce qui compte pour elle c’est de faire de ce drame un cas d’école concernant ce tabou qu’est le viol. Début décembre, le verdict tombe enfin. Les deux agresseurs sont reconnus coupables et écopent chacun de quatre ans de réclusion criminelle.

Abou Hafs

Le salafiste fréquentable

Passé par la prison, Abdelouahab Rafiqi, plus connu sous le nom de Abou Hafs, s’est amusé à nous surprendre tout au long de l’année. Il a opté pour un discours inattendu en débattant cordialement avec le laïc Ahmed Assid ou en arguant qu’une femme dévoilée et habillée légèrement peut-être une bonne musulmane. Autant de signes qui ne trompent pas : celui que certains se plaisent à appeler «l’intello des salafistes» ne se fatigue pas quand il s’agit de prouver que ses compères peuvent être intégrés à la vie politique.

Khadija Rouissi

La vie est sacrée

On l’a savait opposée depuis toujours à la peine de mort. Mais cette année 2013, l’élue est passée à l’action concrète. En février, elle crée le Réseau des parlementaires contre la peine de mort, qui fédère des élus de tous bords. Elle se déplace à Madrid pour un congrès international, où elle rencontre nombre d’activistes et présente la situation marocaine. En octobre, elle co-signe à ce sujet une tribune sur le Huffington Post avec le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius. L’année se clôture pour elle par le dépôt, en décembre, d’une proposition de loi abolitionniste, demandant même l’arrêt de la peine capitale dans les rangs de l’armée.

Ahmed Assid

L’apostat imaginaire

En avril, lors d’une conférence, il pose une question épineuse : est-il judicieux d’enseigner aux élèves la lettre du Prophète demandant aux rois de se convertir à l’islam ? Le chercheur est contre,  la considérant comme un appel à la violence.  Le tollé ne se fait pas attendre. Un mal pour un bien : en ayant le courage de ses propos, Assid réunit plus de 200 associations des droits de l’homme et amazighes qui le soutiennent et promettent de faire front contre toute tentative des conservateurs de museler l’opinion publique. De l’autre côté, le distinguo a pu être fait entre les islamistes qui sont incapables de débattre et ont appelé à son excommunication, et d’autres qui lui ont répondu intelligemment et posément.

Amine Erbati

Coup de sifflet

Il a mis fin à un secret que tous feignaient d’ignorer : la manipulation des matchs de la Botola. A la reprise du championnat, l’ex-capitaine du Raja a déclaré détenir des preuves d’achats de rencontres par l’équipe casablancaise, payés grâce à une caisse noire gérée par l’entraîneur Mhamed Fakhir. Ces déclarations vont avoir l’effet d’une bombe et éclaboussent d’autre clubs comme  Berkane (RSB), Al Hoceïma (CRA) ou encore le Hassania d’Agadir dont les joueurs auraient été soudoyés. Erbati, qui a complètement disparu de la circulation, fait l’objet de six plaintes pour diffamation et son procès a été de nouveau reporté.  

Chakib Benmoussa

Le désableur

En 2013, l’actuel ambassadeur en France, Chakib Benmoussa, n’a pas forcément tenu le haut de l’affiche. Son travail, pourtant essentiel, s’est plutôt fait dans l’ombre. Il est par exemple l’un des principaux artisans du récent rapport du CESE sur le développement humain des provinces du sud. Réputé droit dans ses bottes et inflexible quand il s’agit de l’intérêt de l’Etat, il n’a pas hésité à se départir de la traditionnelle langue de bois des officiels pour dénoncer les dysfonctionnements dans la gestion de la question du Sahara.

Amina Mourad

La pasionaria de Ouarzazate

Les convocations au tribunal se sont enchaînées pour elle. Dans le cadre d’un procès l’opposant à un organisme de microcrédit, elle a pris la tête du mouvement rassemblant quelque 4000 femmes dans la région de Ouarzazate, qui refusent de rembourser des microcrédits, assurant être prises à la gorge par des taux exhorbitants. En filigrane, elle critique l’intérêt du microcrédit comme outil de développement. Sa persévérance lui a permis de gagner le soutien de militants syndicalistes, altermondialistes, tant au Maroc qu’à l’international, et de médiatiser son combat dans la presse étrangère. Et en 2013, son combat a fait des émules: des femmes lui emboîtent le pas dans le nord.

Noureddine Ayouch

Darijophile

Début novembre, le président de la Fondation Zakoura et publicitaire  a envoyé un mémorandum au roi, plaidant pour l’enseignement en darija. Quelques jours après, un débat de société est né. Si certains y ont vu une tentative de réduire la place occupée par les composantes arabe et islamique dans la culture marocaine, d’autres ont considéré le projet comme la dernière planche de salut pour sauver l’enseignement. Après des semaines de polémique par journaux interposés, notamment avec des caciques de l’Istiqlal et du PJD qui dénonçaient le caractère colonialiste du mémorandum, Ayouch a finalement rencontré le penseur Abdallah Laroui, défenseur de l’arabe, sur les plateaux de 2M afin de soutenir sa position. Fin communicateur, il en est sorti fortifié, après avoir conduit Laroui à cautionner en partie son projet. 

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