Reportage. Les yeux dans les verts

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Reportage. Agadir et Marrakech ont vécu une semaine exceptionnelle au rythme du public rajaoui. Récit.

Agadir, Le 11 décembre. A 19h10, c’est le début de la cérémonie d’ouverture. Elle laissera un goût amer à tout le monde, à l’exception notable de Mohamed Ouzzine, qui la défendra avec véhémence. Dans le carré VIP, Abdelilah Benkirane se prend en photo avec les convives et feint d’ignorer Hamid Chabat, qui tue le temps en sirotant un thé. A 19h30, le coup d’envoi de la rencontre opposant le Raja à Auckland City FC est donné. L’équipe, évoluant dans le championnat néo-zélandais, semble plus douée pour le surf que pour le football. Malgré le soutien de ses supporters, le Raja peine à décoller. Mohsine Moutouali, l’ailier des Verts, finira par dénicher une brèche dans la défense d’Auckland et sert Mohsine Iajour, qui marque le premier but. La rencontre semble se diriger vers les prolongations quand le Raja marque le but de la victoire, trois minutes avant la fin du match. Dans les gradins, la foule est en liesse, et aux alentours du stade, les supporters donnent de la voix jusqu’à une heure tardive.

Séisme à Agadir

Qualifié, le Raja doit maintenant affronter le redoutable CF Monterrey mexicain, le 13 décembre. Dès la première victoire, les supporters casablancais commencent à affluer en masse vers Agadir, devenue ville verte. Aux alentours du Stade Adrar, une véritable économie parallèle s’est développée : écharpes, casquettes et autres produits estampillés Raja se vendent comme des petits pains. La billetterie n’y échappe pas : certains professionnels du marché noir ont mis la main sur des centaines de billets pour créer une fausse rareté. Finalement, de peur de ne pas les écouler, ils finiront par les brader moyennant de très petites marges. La veille du match contre Monterrey, Tarik Kabbaj, le maire de la ville, a rendu visite aux joueurs de l’équipe, qui revenaient tout juste de l’entraînement. Si leur moral est au beau fixe, ils ne font pas preuve d’un d’excès d’enthousiasme. Après le dîner, ils rejoignent leurs chambres pour se reposer. Seul Mohsine Moutouali s’aventure à l’extérieur de l’hôtel pour prendre un peu d’air, le téléphone collé à l’oreille. Accosté par quelques fans, il accepte volontiers de se prendre en photo avec eux, avant que la police n’intervienne pour les éloigner. Au même moment, la direction du Raja tient en toute discrétion un dîner-réunion dans un petit restaurant du centre-ville. L’adresse est réputée pour être le repaire des agents des joueurs et des entraîneurs, et on nous assure que c’est ici que tous les transferts sont négociés et signés. L’ambiance est cosy. A une table au fond du restaurant est installé le président du club, Mohamed Boudrika, entouré de sa garde prétorienne. Il se dit satisfait de la prestation du Raja mais manifeste certaines réserves. Demain, c’est quitte ou double. Entre-temps, le club a déjà empoché la jolie bagatelle de 1,5 million de dollars pour sa première victoire.

L’armée mexicaine

La deuxième rencontre est exemplaire, les organisateurs ayant pris soin d’éviter les couacs de la première. Et pour cause, le patron de la FIFA, Sepp Blatter, y assiste. Le flux des milliers de supporters est dispatché à l’intérieur du stade grâce à un dispositif de sécurité composé de 4000 policiers, sans compter les stadiers. Dans le carré VIP, Blatter est entouré de Mohamed Ouzzine et Issa Hayatou, le président de la CAF. Arrivé en retard, le président du WAC, Abdelilah Akram, a failli en venir aux mains avec les services de sécurité, après que ces derniers ont refusé de laisser entrer l’un de ses invités qui ne portait pas de badge. Le scandale est évité de justesse.

Dans les gradins, les Ultras du Raja déploient le tifo « Vamos, la fiesta no es cumplida » (Allez, la fête n’est pas finie). Les Mexicains sont prévenus. Et en espagnol s’il vous plaît ! Pendant 90 minutes, le Raja va faire preuve d’une bonne discipline tactique. Après un but du Raja, Monterrey égalise. Les deux équipes entament les prolongations. Les Verts vont puiser dans leurs dernières réserves physiques pour consolider leur domination, avant de marquer. Les supporters, eux, crient, sifflent et chantent à gorge déployée. Quand l’arbitre siffle la fin de la rencontre, c’est l’euphorie : pleurs, rires, applaudissements, embrassades… Toutes les frustrations dues aux échecs successifs des Lions sont effacées. Le Raja fait désormais office d’équipe nationale de substitution.

Jusque tard le soir, des milliers de personnes fêtent la victoire sur la corniche. Des dizaines de motocyclistes se dirigent vers l’hôtel ou loge le Raja, dans l’espoir d’y rencontrer les joueurs, mais ils seront bloqués par les forces de l’ordre. Au VIP, l’un des cabarets huppés de la corniche, l’alcool coule à flots, et même les clients émiratis ou saoudiens, en vacances au Maroc, offrent de l’argent aux chanteurs pour célébrer le Raja.

What else ?

Le lendemain de cet exploit historique, le match contre les Brésiliens de l’Atlético Mineiro suscite un grand débat dans les cafés. « Nous sommes en demi-finale, on ne va pas s’arrêter là. Jouer contre Ronaldinho est une autre histoire », lance Issam, 27 ans, qui a pris une semaine de congé pour assister aux matchs du Raja. Dans le train en provenance de Fès et à destination de Marrakech, se trouvent plusieurs supporters brésiliens qui ont profité de leur séjour au Maroc pour visiter la capitale spirituelle du royaume. Parmi eux, Sébastien, médecin de profession, est accompagné de sa femme. Il témoigne : « Nous avons fait tous les stades d’Amérique du Sud. Nous découvrons pour la première fois le Maroc et nous ne pensions pas que les gens étaient aussi mordus de football que nous ». Vêtus du maillot de leur club, ils considèrent avec curiosité les Rajaouis. Ils découvrent, stupéfaits, que ces supporters habillés en vert connaissent sur le bout des doigts le championnat brésilien. L’ambiance est bon enfant et tout le monde se prend en photo en arborant l’écharpe de son équipe. Pour mettre la pression sur les Verts, les supporters brésiliens parlent de Ronaldinho. Mais en bons Rajaouis, on se défend comme on peut malgré une inquiétude à peine dissimulée. Arrivé à la gare de Marrakech, le public est accueilli par un impressionnant dispositif policier. Le kiosque où sont vendus les billets du match est verrouillé. En effet, tous les billets ont été écoulés et il faut débourser pas moins de 450 dirhams pour en décrocher un. Devant le stade, les retardataires sont prêts à payer jusqu’a 800 dirhams pour un sésame acheté officiellement à 170 dirhams. Résultat, des milliers de supporters n’ont pas pu accéder au stade.

Ils l’ont fait !

Après un moment de flottement où tout le monde a pensé que le monstre brésilien s’est réveillé, le Raja reprend sa grinta, réussit à arracher un pénalty que va transformer avec brio Mohcine Moutouali. L’ex-Rajaoui Salaheddine Bassir, sous le coup de l’émotion, perd connaissance. Les Brésiliens sont médusés. D’un courage insolent, le Raja communie avec les supporters et enfonce le clou en marquant un troisième but. Le stade est en transe et les quatre minutes additionnelles qui nous séparent du paradis deviennent un calvaire. Les supporters brésiliens sont abattus, ils insultent, ils crient leur colère et se mettent à quitter le stade. Les journalistes brésiliens, présents en masse, n’en croient pas leurs yeux. Quand l’arbitre siffle la fin de la rencontre, c’est l’hystérie collective. Ronaldinho, dans la zone mixte, est au bord de la dépression.

A la sortie du stade et en l’absence de moyens de transport, c’est une marée humaine qui se dirige à pied vers le centre-ville. Avec l’ivresse de la victoire, point de place pour la fatigue. Malgré le climat froid de cette nuit marrakchie, les habitants sont sortis de chez eux pour célébrer l’évènement. Des centaines d’étudiants ont quitté leur cité universitaire pour se joindre à la marche des supporters. A chaque grand rond-point, une foule compacte et dense crie et chante dans une ambiance hystérique. Dans toutes les villes du Maroc, ce sont les mêmes scènes de liesse populaire. Nous qui n’avons pas disputé de Coupe du Monde depuis 1998, nous dont le football est une succession de naufrages et d’échecs sans fin, nous voilà presque dans un rêve. La folie commencée il y a huit jours à Agadir va se poursuivre devant le Bayern Munich de Pep Guardiola. Et aujourd’hui, rêver d’une  victoire en finale est permis. Merci le Raja.  

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