Education. Les sciences en version darija

Gratuité et accessibilité, voici les mots d’ordre de deux ingénieurs marocains qui produisent pour le Web de petites vidéos scientifiques en arabe dialectal, à destination des étudiants.

Réforme du système éducatif, enseignement en darija ou en arabe classique… le Maroc n’en finit pas de débattre sur ces questions sans que rien ne soit vraiment tranché. Pendant ce temps, en Suisse, Rachid Guerraoui et Mahdi El Mhamdi, deux Marocains respectivement enseignant chercheur et assistant à l’Ecole Fédérale Polytechnique de Lausanne, ont tenu le pari d’enseigner les sciences en arabe marocain. A travers des tutoriels scientifiques sous format vidéo, les deux compères abordent tour à tour les grands concepts d’informatique, de mathématiques ou de physique « en mêlant explications en darija et mots techniques en anglais, en français ou en arabe classique », explique Rachid Guerraoui.

Pédagogie en ligne

« En cours, les professeurs enseignent en darija mais, au moment des révisions, les étudiants se retrouvent seuls avec des livres en arabe classique. Il y a un fossé entre ce qu’ils entendent à l’oral et ce qu’ils lisent à l’écrit, puisque la tournure des phrases et les mots sont différents », estime-t-il. « A travers ce projet, notre but était de toucher le plus de Marocains possible et pour cela il fallait s’exprimer dans leur langue », ajoute Mahdi El Mhamdi.

Le projet, d’abord pensé par ce dernier, a pris la forme d’un site Internet (wandida.com) et d’une chaîne YouTube éponyme. Lancées il y a près d’un an, les deux plateformes regroupent une centaine de vidéos, chacune produite en français, en anglais, en arabe classique et en darija. Une idée née sur la base de deux constats : le besoin grandissant de soutien scolaire de la part des étudiants et le fait qu’ils aient abandonné les livres pour réviser sur Internet. « On a donc décidé de leur proposer un enseignement gratuit et de qualité », raconte Mahdi El Mhamdi, « tout en abordant les sciences à travers le médium qu’ils maîtrisent le plus. Un bon moyen de leur faire avaler la pilule », renchérit Rachid Guerraoui. Le concept n’est pas sans s’inspirer de Khan Academy, une association créée par l’Indo-américain Salman Khan qui publie en ligne des cours d’histoire, de biologie ou encore d’économie en format vidéo et à destination des collégiens et des lycéens. « En fait, on fait la même chose, sauf qu’on aborde le niveau universitaire », affirme Mahdi el Mhamdi.

Le tuto, c’est du boulot

« On surfe aussi sur la grande mode des tutoriels sur le Web. Certains font des vidéos pour apprendre à se maquiller ou à faire un gâteau, nous on traite de la loi d’Ohm, d’algorithme, d’équations et d’énergie », précise son confrère.

« Globalement, on aimerait bien atteindre 3000 vidéos et proposer une bibliothèque exhaustive qui rassemble tout ce que les lycéens et les étudiants abordent en cours », espère Mahdi El Mhamdi. Un travail de longue haleine, puisque chaque vidéo demande beaucoup de travail. En amont, il faut d’abord réfléchir à la manière d’expliquer le sujet qui sera abordé dans la vidéo et le penser dans les quatre langues. « Ensuite, l’enregistrement prend une demi-heure et le montage près de deux heures. Notre but est de réduire le tutoriel à moins de dix minutes. Au-delà, les jeunes perdent leur concentration », affirme Rachid Guerraoui. Le financement, quant à lui, est assuré par l’Ecole Fédérale Polytechnique et Google. Du côté des internautes, les retours sont assez positifs : « On a atteint près de 50 000 vues et beaucoup d’étudiants nous encouragent à continuer. On a aussi remarqué que les vidéos en darija retenaient beaucoup plus l’attention que celles qui sont en arabe classique », souligne l’enseignant chercheur.

Enseigner en darija ?

Un point qui pousse Rachid Guerraoui à s’interroger sur la langue de l’enseignement au Maroc, « un vrai problème », selon lui. Loin de se considérer comme un expert sur la question, l’enseignant chercheur estime qu’en débattre est déjà salutaire en soi. « Faut-il enseigner en darija ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que la plupart des pays développés ont simplifié leurs langues pour aller vers celle de l’intuition. Peut-être qu’une simplification de la langue arabe pour se rapprocher de la darija serait une solution », avance Guerraoui, qui poursuit : « Ce n’est malheureusement pas le seul obstacle. Le système éducatif marocain est une vraie catastrophe ». Rachid Guerraoui et Mahdi El Mhamdi savent de quoi ils parlent, puisqu’ils ont tous deux usé leurs fonds de culottes sur les bancs de l’école publique du Maroc profond.

Heureusement, ça ne les a pas empêché d’avoir un parcours brillant et de penser aux nouvelles générations. 

Parcours

Qui sont ces chercheurs ?

Ils travaillent au sein de la prestigieuse Ecole Polytechnique de Lausanne.

Rachid Guerraoui, ingénieur et docteur en informatique, est passé par la Silicon Valley, le MIT de Boston et les Mines de Paris

Mahdi El Mhamdi, ingénieur de l’Ecole Polytechnique de Paris, a lancé le projet Wandida en 2011. 

 

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