Enquête. L’Amérique et nous

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Comment les Marocains voient les Etats-Unis ? Quelle place tient le royaume dans la politique étrangère de la première puissance mondiale ? A quel niveau celle-ci nous apporte son soutien ? Que devraient changer dans nos rapports les élections présidentielles du 6 novembre ? Scan de l’axe Rabat – Washington.

(Lire aussi l’interview de Samuel L. Kaplan, ambassadeur des Etats-Unis à Rabat sur http://bit.ly/TxpgsE)

« Les Etats-Unis, j’en ai toujours rêvé, je les ai visités… et la réalité s’est avérée encore plus belle que mes rêves”. Les propos sont d’Imane, 21 ans, qui n’avait jamais mis les pieds hors du Maroc avant cet été. Son “american dream”, elle l’a réalisé grâce à un programme d’entrepreunariat de Coca-Cola Company, qui a offert à 100 jeunes du monde arabe une tournée d’un mois à travers les USA. Juste le temps de mieux connaître l’Oncle Sam et sa mentalité de winner. “Je suis revenue de ce voyage plus ambitieuse que jamais, j’ai été vaccinée contre le mot impossible”, poursuit notre élève ingénieur qui compte bientôt retourner aux States pour décrocher un MBA, devenir comme les 1200 Marocains diplômés chaque année des universités US. Des jeunes Marocains rêvant d’Amérique, on en trouve à tous les coins de rue. Et particulièrement, sur le Bd Moulay Youssef à Casablanca, siège du consulat US. Karim, trentenaire vient aujourd’hui déposer son dossier pour tenter sa chance dans le “Diversity Immigrant Visa Program”, une sorte de méga-loterie pour l’attribution de green cards à laquelle participent chaque année plus de 100 000 Marocains. “Pourquoi je veux aller l’miricane ? Ben, c’est là-bas que ça se passe brother. Quand tu manges un hamburger ou tu bois un soda, quand tu te connectes à un réseau social ou à un moteur de recherche, quand tu regardes un DVD ou tu écoutes un MP3… tu vis à l’heure américaine. Alors autant tenter sa chance de l’autre côté de l’Atlantique, là où tout est possible”, nous lance-t-il avant de traverser la rue pour s’engouffrer dans la représentation diplomatique. Ce bout de territoire américain, au cœur de la métropole, est sans doute l’un des bâtiments les plus protégés de la ville. C’est que la première puissance mondiale n’a pas que des fans, au Maroc comme partout dans le monde, et ses intérêts sont bien trop précieux pour les laisser exposés au moindre danger.

Anti-américanisme, just a little bit

Des concitoyens qui voient derrière la bannière étoilée, les traits du grand méchant Satan, responsable des malheurs du monde musulman, of course, il en existe aussi chez nous. Et ils ont leurs raisons : “L’invasion de l’Irak, la torture à Abu Ghraib et Guantanamo, le soutien à Israël… Pour servir leurs intérêts, les Américains n’hésitent pas à piétiner les musulmans. Alors c’est normal que des gens révoltés décident de les combattre”, argumente Abdelouahed, 32 ans, pour qui la plus belle des revanches de la Oumma a été ce légendaire lancer de chaussures ciblant l’ex-président George W. Bush par un journaliste irakien. En effet, la politique étrangère américaine au Moyen-Orient ne laisse pas la rue arabe indifférente. Et les diplomates de Washington admettent eux-mêmes, entre les lignes (lire interview page 28), que certaines mesures de l’ancien locataire de la White House ont terni l’image des USA. Mais au Maroc, ce sentiment reste peu significatif, ou du moins n’a que très rarement atteint un seuil où il puisse se transformer en menace terroriste. A part l’appel à vigilance lancé en 2007 par l’ambassade US à ses ressortissants (après qu’un kamikaze s’est fait exploser non loin du Centre culturel américain à Casablanca) et le renforcement des mesures sécuritaires qui s’en sont suivies, les Américains ne courent aucun danger au royaume. Les 200 jeunes Peace Corps américains qui œuvrent à Dar Chabab du royaume se sentent tous en sécurité. “Au Maroc, nous vivons très rarement des expériences d’anti-américanisme, explique Peggy McClure, membre de cette organisation. On tombe parfois sur des gens qui nous disent : ‘On n’aime pas la politique américaine, mais on aime les Américains comme vous’”. La rue marocaine vaccinée contre l’anti-américanisme, c’est une évidence. Dernière démonstration, les manifestations hostiles aux Etats-Unis dans le monde arabe en septembre dernier, suite au film Innocence of muslims. Alors qu’à Benghazi on attaquait le consulat américain au lance-roquettes, qu’en Tunisie ou au Caire, les manifestants escaladaient les murs des ambassades américaines… à Casablanca, la seule manifestation organisée devant la représentation diplomatique a été jugée peu inquiétante, bien que le risque ait été évalué comme il se doit. “Après un tel événement, nous avons bien entendu été consultés par l’officier responsable de la sécurité à l’ambassade, nous confie un cadre d’une multinationale américaine. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il n’y avait pratiquement aucune menace pour les intérêts américains. Les autorités marocaines ne ménagent d’ailleurs aucun effort pour assurer leur protection”.

Un pays modèle

Au lendemain de ces manifestations anti-américaines, Rabat marquait d’ailleurs un joli coup diplomatique. Alors que le State Department est meurtri par la perte de quatre de ses diplomates en Libye, que les Américains regardent incrédules cette réaction disproportionnée des musulmans, les officiels marocains, eux, sont reçus en grande pompe dans l’antre de la politique étrangère à Washington. Hasard du calendrier, le 13 septembre 2012, à Washington, était programmée la première session du Dialogue stratégique entre les deux pays. Quoi de mieux pour confirmer que le royaume est différent des autres pays arabes, qu’il est l’un des premiers de la classe du monde musulman, que c’est un modèle démocratique qui a la bénédiction de l’Oncle Sam. Pour la diplomatie américaine, le Maroc est souvent gratifié de qualificatifs qui mettent du baume au cœur de nos officiels : “Allié stratégique”, “partenaire majeur”, “ami durable”… Des paroles qui se traduisent souvent par des accords et des conventions, se monnayent en aides ou en prêts en billet vert. “Depuis son indépendance, le Maroc a reçu plus d’aide financière américaine que tout autre pays arabe. À partir de 1975, début du conflit au Sahara occidental, le Maroc a obtenu plus d’un cinquième de l’aide totale américaine pour l’Afrique, dont plus d’un milliard de dollars pour la seule aide militaire. En 2002, le Maroc a décroché 72% de l’aide totale américaine aux pays du Maghreb”, peut-on lire sur la revue L’année du Maghreb sous la plume de Yahya H. Zoubir, directeur de recherche en géopolitique à Euromed Management, à Marseille. Le Maroc est par ailleurs l’un des rares pays arabes à avoir ratifié un accord de libre-échange avec les USA (lire encadré business). Mieux encore, il a même accédé au statut d’allié majeur non membre de l’OTAN, qui lui permet de se doter d’équipements militaires comme cette flotte de F-16. à cela s’ajoute le programme du Millenium Challenge Account, dont le Maroc est l’un des principaux bénéficiaires pour près de 700 millions de dollars, ainsi que toutes les actions initiées par l’USAID (United States Agency for International Development). “Pour les Etats-Unis, un Maroc démocratique et prospère signifie qu’ils continueront à avoir un grand ami et allié dans cette région importante sur le plan stratégique. Dans cet esprit, effectivement, notre programme sert les intérêts généraux défendus par la politique étrangère des Etats-Unis”, souligne John Groarke, directeur de l’USAID Maroc, qui injecte chaque année une vingtaine de millions de dollars dans des projets économiques et sociaux.

Sir, yes sir !

On l’aura compris, tous les “cadeaux” de l’Oncle Sam, il faut bien les mériter. Et le Maroc fait tout pour plaire. En plus de la libéralisation économique qui coïncide avec les objectifs idéologiques américains, des positions de la diplomatie chérifienne moins hostiles à l’égard de l’Etat d’Israël, le royaume a toujours été un pilier de la présence américaine au Maghreb et au Moyen-Orient. “Pour la politique étrangère américaine, le Maroc a servi, pendant la guerre froide, d’État par procuration (proxy state) pour les États-Unis en Afrique subsaharienne pour contrer les mouvements révolutionnaires proches du communisme”, analyse Yahya H. Zoubir. “À la fin de cette période, le Maroc retrouvait son rôle de ‘rempart’ contre les forces extrémistes anti-occidentales, l’islamisme radical ayant remplacé aux yeux de décideurs américains le communisme comme menace sur leurs intérêts. Le royaume renouait ainsi avec le statut de protecteur des valeurs occidentales contre ‘l’obscurantisme islamiste’ après avoir rempli cette fonction contre le communisme”, poursuit le chercheur. En effet, depuis que les Etats-Unis se sont lancés en 2001 dans la “guerre contre la terreur”, suite aux attentats du 11 septembre, le Maroc a gagné de précieux points. C’est que la conduite du royaume a été exemplaire avec les Américains : Rabat déroulant le tapis rouge à toute forme de collaboration. Des affaires de vols secrets de la CIA et de sous-traitance d’interrogatoires de présumés terroristes avaient fait les choux gras de la presse internationale au fur et à mesure que des prisonniers de Guantanamo étaient libérés. Les fuites des câbles diplomatiques par Wikileaks relatent, par exemple, cette demande de renseignements -faite en 2008 au gouvernement marocain- d’informations détaillées sur deux citoyens marocains détenus à la prison offshore américaine. Samuel Kaplan, l’ambassadeur US à Rabat, se réjouit d’ailleurs de la collaboration des autorités marocaines d’un point de vue de renseignements. “Nous en sommes très contents”, insiste-t-il. Aujourd’hui, la coopération militaire entre les deux pays prend une ampleur telle qu’elle peut être affichée au grand jour. En plus de l’équipement des forces armées marocaines -comme le dernier contrat de 24 avions de combats F16 et leur attirail de missiles-, les hauts galonnés du Pentagone paradent au royaume. Lors de sa dernière visite au pays, le général Carter F. Ham, commandant de l’Africom (Commandement des Etats-Unis en Afrique), livrait à la presse nationale quelques confidences sur la collaboration entre les FAR et les GI’s : “Les Etats-Unis et le Maroc effectuent environ 30 activités militaires bilatérales annuelles (…) Un grand nombre d’officiers marocains voyagent aux Etats-Unis et participent à des programmes de formation et d’éducation”.

Sahel, le nouveau front

Plus qu’une faveur, la coopération militaire entre les deux pays est une nécessité pour les Etats-Unis. C’est que la première puissance mondiale -comme beaucoup de pays occidentaux- est préoccupée par le risque d’émergence d’un nouvel Afghanistan au Sahel, où l’ennemi juré des USA, la nébuleuse Al Qaïda, s’est installé via une de ses franchises les plus actives : AQMI, Al Qaïda au Maghreb islamique de son full name. Ce nouveau front dans la “guerre contre la terreur” est une aubaine pour la diplomatie marocaine, dont la cause nationale n°1 est, bien entendu, le Sahara. En effet, alors que les combattants du Front Polisario affichent un certain tropisme pour les groupes islamistes armés qui sévissent dans le no man’s land du Sahel, le Maroc apparaît plus que jamais comme l’allié sur lequel on peut compter dans cette nouvelle région à pacifier. “Le Maroc est un partenaire clé pour les Etats-Unis dans le contrôle des menaces régionales, c’est-à-dire l’instabilité du Sahel, qui comprend à la fois la lutte antiterroriste contre AQMI et le contrôle de territoires comme le Nord-Mali, nous confirme Barah Mikail, spécialiste du Moyen-Orient à la Fondation pour les relations internationales et le dialogue extérieur (FRIDE), à Marseille. Même si la gestion régionale de l’antiterrorisme est plutôt chapeautée par l’Algérie, un succès à terme de la stabilisation de la région passe par une association de tous les pays. Les Etats-Unis n’ont donc pas intérêt à troquer le partenariat avec le Maroc pour un saut dans le vide” (lire par ailleurs interview p.38). C’est ainsi que Rabat profite de chaque rencontre au sommet pour arracher à Washington une prise de position encore plus engagée, témoignant de la souveraineté marocaine sur ses provinces du Sud. D’ailleurs, à l’issue de la première session du Dialogue stratégique à Washnigton, Youssef Amrani, ministre délégué aux Affaires étrangères, s’extasiait devant la presse sur cette phrase du communiqué conjoint : “Le Plan d’autonomie marocain représente une approche potentielle qui pourrait satisfaire les aspirations de la population du Sahara à gérer ses propres affaires dans la paix et la dignité”. C’est un cran de plus que les formules diplomatiques d’usage qualifiant le plan marocain de “sérieux et crédible”. Et qui sait ? Peut-être que Rabat arrivera à décrocher davantage lors de ce deuxième round du Dialogue stratégique, qui se tiendra cette fois-ci au Maroc, en 2013…

Goodbye Mrs. Clinton

Mais d’ici là, les Etats-Unis pourraient bien changer de président et leur politique étrangère pourrait connaître un remaniement. Les élections US du 6 novembre pourraient amener un nouveau président à la maison blanche en la personne du républicain Mitt Romney. Cela risque-t-il de se ressentir sur les relations entre Rabat et Washington ? Pour la diplomatie marocaine, le discours se veut rassurant. “Le royaume compte des appuis aussi bien dans le camp républicain que dans le camp démocrate, explique cette source aux Affaires étrangères. Pour preuve, les accords de libre-échange ou le statut d’allié majeur hors OTAN sont des avantages que nous avons négociés sous l’administration républicaine de George W. Bush”. Samuel Kaplan, ambassadeur US à Rabat, abonde dans le même sens : “Il peut y avoir des différences de style, mais rien ne changera dans le fond”. Il n’empêche que quel que soit l’issue des présidentielles américaines, le Maroc devrait malgré tout perdre un allié de taille en la personne de Hillary Rodham Clinton. Celle-ci annonçait tout récemment au quotidien The Washington Post qu’elle quittera son poste de secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, même si Barack Obama rempile pour un second mandat. Pour Rabat, bien que prévisible, l’annonce reste un coup dur. Madame Clinton, c’est un secret de polichinelle, entretient de très bons rapports avec le Maroc et ses plus hauts dignitaires. Le même Washington Post publiait d’ailleurs un article en 1999 assurant ni plus ni moins que la fibre diplomatique de Hillary Clinton, à l’époque première dame, s’était éveillée durant ses vacances au Maroc. Les liens unissant Clinton et le Maroc sont tellement étroits qu’ils nourrissent les rumeurs les plus folles. Outre le fait que Mohammed VI serait l’un des plus grands donateurs de la fondation Clinton, selon la légende populaire, la sœur d’Hillary serait même mariée à un Marocain et vivrait dans un village perdu du Moyen-Atlas. Une rumeur qui fait sourire les diplomates US : “Cette histoire est superbe, mais la Secrétaire d’Etat n’a pas de sœur”, répond Samuel Kaplan. En tout cas, Madame Clinton n’a de cesse de tresser des lauriers à la monarchie marocaine, et pas que lors de ses visites officielles au Maroc. Même chez elle, elle loue l’expérience marocaine, comme lors de cette conférence, en octobre 2012, sur la transition au Maghreb dans un centre d’études stratégiques à Washington, durant laquelle elle conseilla à l’Algérie de prendre exemple sur le royaume. Ce sera difficile de trouver un aussi bon VRP pour le Maroc dans la future équipe présidentielle…

Lobbying. Nos chers amis américains

Mercredi 23 mars 2011. Au siège du département d’Etat américain, Hillary Clinton fait une déclaration au sujet de l’affaire du Sahara : “Nous avons déjà fait part de notre conviction que le plan marocain d’autonomie constituait une proposition sérieuse, réaliste et crédible”. Debout à côté d’elle, Taïeb Fassi Fihri, ministre des Affaires étrangères à l’époque, sourit à pleines dents. C’est que le royaume vient de remporter une manche, sur l’Algérie et le Polisario, dans la bataille d’influence qui les oppose et qui se joue dans les couloirs du Capitole. Comment donc notre diplomatie est-elle arrivée à obtenir de la Secrétaire d’Etat une sortie médiatique d’une telle portée ? Selon un membre actif d’un lobby pro-marocain qui siège à Washington, “dans des opérations de ce genre, la première initiative vient du gouvernement marocain à travers des rencontres officielles et officieuses avec leurs homologues américains. Ensuite vient notre tour, après que nous ayons reçu les instructions de notre client, à savoir le gouvernement marocain”. Des réunions sont alors organisées entre des députés ou sénateurs américains, favorables aux positions marocaines, mais aussi avec d’autres qui y sont hostiles.

C’est un secret de polichinelle, le Maroc fait appel à des cabinets spécialisés dans le lobbying pour défendre ses intérêts auprès de l’Oncle Sam. à quelques encablures de K Street, l’avenue de Washington connue pour abriter les sièges de ce type de sociétés, se trouvent les locaux du Moroccan American Center (MAC). Dirigée par Edgar Gabriel, ex-ambassadeur des Etats-Unis à Rabat, l’organisation travaille pour le royaume depuis 2002. Elle n’a pas pour autant l’exclusivité sur le Maroc, qui a engagé l’année dernière la société Gerson Global Strategic Advisors LLC (GGC). Selon la convention enregistrée par cette structure (conformément à la loi américaine), en date du 14 mars 2011, le Maroc devra débourser la bagatelle de 2,5 millions de dollars pour que GGC œuvre jusqu’à fin 2013 à obtenir l’appui des Etats-Unis sur l’affaire du Sahara. La somme peut paraître énorme, mais ce n’est rien à côté de ce qu’engage l’Algérie pour monnayer des soutiens au Polisario.

En plus de ces groupes de pression qui ont pignon sur rue, la diplomatie parallèle via les associations des immigrés joue également un rôle pour défendre les intérêts marocains. Parmi elles, le Washington Moroccan American Club, présidée par Hassan Semghouni, qui a été décoré par Hassan II, en 1995, du Wissam du mérite “pour ses efforts à faire connaître le Maroc auprès des Américains”. “La voix des donateurs compte beaucoup auprès des décideurs américains, nous explique-t-il. En notre qualité de Marocains, nous faisons de notre mieux pour participer aux soirées de collecte de fonds en faveur des députés, sénateurs et autres maires, pour soutenir leurs campagnes électorales, et espérer obtenir en retour leur soutien à la cause marocaine”.

Malgré tous les efforts fournis par le royaume, l’amitié du gouvernement américain et des citoyens américains n’a pas toujours brillé par sa constance, et certaines positions hostiles à l’égard du Maroc sont là pour l’illustrer. Younes Abouyoub, professeur à l’université de Columbia, assure que “le Maroc souffre d’une invisibilité chronique aux Etats-Unis. Qu’il s’agisse de l’opinion publique en général, ou du monde académique, le Maroc reste un pays lointain, exotique, sans grande importance géopolitique”. Et il ajoute que “pour l’administration américaine, le Maroc a certes joué un rôle pro-occidental pendant la guerre froide, mais cette importance n’a été que temporaire, surtout que le royaume reste encore perçu, à tort ou à raison, comme une zone d’influence française”.

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Business. Avantage au billet vert

Microsoft, McDonald’s, Boeing, Procter & Gamble, Fedex… Elles sont toutes là ou presque, ces firmes américaines connues à travers le monde. Certaines ont démarré leurs activités avant même le Maroc indépendant, pour ne citer que le cas du producteur de soda le plus célèbre au monde, Coca-Cola Company. La firme d’Atlanta, porte-drapeau du made in US, fête cette année son 65ème anniversaire au royaume. Et avec la manière SVP : “En 2012, nous avons lancé un plan d’investissement de 100 millions de dollars, nous explique Omar Bennis, directeur des relations publiques de Coca-Cola. Cela reflète la confiance que la compagnie a dans ce pays. Autre signe qui ne trompe pas : la visite à deux reprises, l’année dernière, de notre CEO (ndlr, PDG) alors qu’on était en plein Printemps arabe”. Somme toute, on compte quelque 85 entreprises américaines implantées au royaume. Mais malgré tout, les investissements directs en provenance des USA restent assez timides. “Il est vrai que les investissements directs  américains ont diminué au début de la crise économique mondiale en 2008, et c’est une tendance mondiale. Toutefois, ils ont fortement rebondi en 2011 avec une progression de 78% par rapport à 2010”, explique Philip Nelson, conseiller économique adjoint de l’ambassade US à Rabat.

Le volume des échanges commerciaux sont aussi sur une courbe ascendante, dopés par l’entrée en vigueur, en 2006, de l’accord de libre-échange Maroc–USA. Les importations-exportations entre les deux pays ont été ainsi multipliées par quatre durant les cinq dernières années, flirtant désormais avec les 4 milliards de dollars. Néanmoins, la balance penche outrageusement en faveur du billet vert : les exportations marocaines n’ont fait que doubler entre 2006 et 2011, au moment où les importations en provenance d’Amérique ont été multipliées par six. Résultat, une balance commerciale déficitaire désormais de deux milliards de dollars. “Ne pénètre pas le marché américain qui veut, explique ce responsable d’une société agroalimentaire marocaine. Nous avons mis beaucoup de temps avant de pouvoir exporter vers les USA, où les normes très strictes peuvent être considérées comme de véritables barrières à l’entrée”. Des difficultés dans ce partenariat persistent toujours, et ce de l’aveu même des diplomates américains. “Je suis certain que nous pouvons aider l’économie marocaine via des partenariats d’entreprise à entreprise. Par exemple, il est clair que nombre d’entreprises marocaines ne comprennent pas qu’elles ne doivent pas vendre leurs produits à un détaillant, mais qu’il faut passer par un grossiste”, souligne l’ambassadeur Samuel Kaplan. Le Maroc reste après tout un tout petit marché insignifiant pour la première puissance économique mondiale : le royaume est son 55ème client et son 80ème fournisseur selon les statistiques du département de Commerce américain. Mais ce marché modeste reste néanmoins stratégique : dans la classe des pays arabes, le Maroc s’est déjà frayé une place dans le top 5 des partenaires commerciaux de l’Oncle Sam. Et ça, c’est quelque chose qui compte dans un pays où politique et business font bon ménage. Ce n’est pas pour rien si, sur le billet de 100 dollars, on retrouve la gravure du Capitole.

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Wikileaks. Les Yankees dévoilés

En 2011, le site Internet Wikileaks dévoilait des milliers de câbles diplomatiques américains. Plusieurs  centaines émanaient de l’ambassade US à Rabat et du Consulat de Casablanca. Au fil de la lecture, parfois fastidieuse, on découvre des équipes américaines en constante quête de savoir et de rencontres. Un souci récurrent et majeur des Américains : comprendre comment ils sont perçus par tous les pans de la société marocaine. La couverture des élections présidentielles américaines par les médias nationaux, la peur des islamistes d’être emprisonnés en cas de voyage aux USA… tous les points d’accroche sont valables aux yeux des Yankees. Qui vont de rencontre en rencontre et cherchent systématiquement à se placer, en proposant leur soutien aussi bien à la société civile qu’aux instructeurs militaires de l’Institut de Kénitra. L’ouverture atlantiste des décideurs marocains est d’ailleurs commentée. Ainsi, la mairesse de Marrakech, Fatima Zahra Mansouri, est gratifiée d’un “Very pro-US et US-educated”. Les câbles révèlent aussi des discussions tenues en coulisses, durant lesquelles les Américains traitent clairement avec leurs homologues marocains, loin des discours d’intention publics. Ainsi, contrairement aux litanies habituelles, on lit la compréhension d’un Fassi Fihri pour les soucis israéliens, affirmant “qu’ici on est flexible” et qui assure comprendre que le retour de l’intégralité des réfugiés est effectivement inenvisageable. A contrario, le général Bennani n’hésite pas à refuser tout de go une aide militaire pour Haïti à un alter ego américain : la république reconnaît la RASD. Le reste, ce sont des rapports, plus ou moins détaillés sur différentes affaires. Les expulsions d’étrangers soupçonnés d’évangélisation, bien sûr, sont très largement commentées. La répression à l’encontre des chiites intéresse aussi le pays, en conflit avec l’Iran. Quant au Maroc, il est sondé, par petites touches, de manière pragmatique. Il s’agit de nouer des relations saines et sans risques. Ainsi lit-on ce rapport positif sur les forces aériennes, soutenant que les USA peuvent sans risque vendre du matériel militaire à un corps d’armée qui n’a que peu de chance de bafouer les droits humains élémentaires. Mais ne nous voilons pas la face : nous parlons des rapports entre un pays en développement et la première puissance mondiale. Une phrase lapidaire, extraite d’un câble, résume bien la situation. Un dignitaire américain y dit à propos d’un nouveau partenariat : “Cela illustre la conviction du gouvernement marocain que l’avenir du Maroc dépend de sa capacité à s’engager de manière effective avec les Etats-Unis”.

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(Lire aussi l’interview de Samuel L. Kaplan, ambassadeur des Etats-Unis à Rabat sur http://bit.ly/TxpgsE)

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