Bilan d’étape. La déception Benkirane !

Par

Un an après l’arrivée de Abdelilah Benkirane aux affaires, TelQuel a réuni des politiques et des militants de droits de l’homme de différents bords pour faire un bilan d’étape de la nouvelle équipe gouvernementale. Débat.

 

Mehdi Bensaïd

28 ans, député

Mehdi Bensaïd fait partie des plus jeunes parlementaires du pays. Fruit d’un mariage militant (ses parents étant étiquetés Ilal Amam et AMDH), lui s’intéresse d’abord au “Mouvement pour tous les démocrates”, puis rejoint naturellement le Parti authenticité et modernité (PAM), qu’il représente aujourd’hui après avoir été sur la liste nationale des jeunes. Définitivement partisan du verre à moitié plein, le jeune homme est entré dans la cour des grands avec une fraîcheur et un espoir de changement marqués.

 

Mohamed Daidaâ

54 ans, syndicaliste – conseiller

La marmite du syndicalisme, Mohamed Daidaâ est tombé dedans quand il était tout petit. Jeune, il a fait ses classes à la Confédération démocratique du travail (CDT) où il arrive à se faire élire au poste de secrétaire général du Syndicat des finances. En froid avec Noubir Amaoui, il finit par claquer la porte avec un groupe d’autres militants en 2009 pour rallier la Fédération démocratique du travail (FDT). Aujourd’hui, ce membre du Parti socialiste unifié préside le groupe de la FDT à la deuxième chambre où il ne passe pas inaperçu.

 

Larbi El Hilali

37 ans, blogueur

Le blog de Larbi (larbi.org) fait des émules depuis 2004. Aujourd’hui, l’homme derrière l’écran porte ses convictions sur le devant de la scène, militant pour le 20 février, auquel il est fidèle malgré la dispersion, et dénonçant les injustices croisées, au détour d’une manifestation ou d’un procès. Dans le civil, Larbi est cadre dans une entreprise publique, où il s’attelle au développement durable. La preuve que, parfois, le nihilisme et l’institutionnel peuvent accorder leurs violons.

 

Khadija Ryadi,

52 ans, présidente de l’AMDH

Ingénieur à la Direction générale des impôts au ministère des Finances, elle est plus connue comme présidente de l’Association marocaine des droits de l’homme et est de tous les combats. Elle paie de son temps, mais aussi de son intégrité physique pour son militantisme. La dernière fois qu’elle a goûté à la matraque du Makhzen, c’était le 18 novembre dernier, alors qu’elle s’apprêtait à prendre part à une manifestation pour la réduction du budget du Palais. Militante à l’AMDH depuis 1983 –avant de prendre les rênes de cette association en 2007–, elle est aussi membre d’Annahj Addimocrati qu’elle a rallié en 1985.

 

Quel regard portez-vous, en général, sur le PJD, un an après la désignation de Abdelilah Benkirane comme Chef de gouvernement ?

Mehdi Bensaïd : Il n’y a pas eu de changements notables par rapport aux précédents gouvernements. A moins que l’on parle de la venue, une fois au parlement, de Benkirane pour faire un peu le show, créer de l’animation. C’est un gouvernement-du moins certains ministres- qui maîtrise la communication, une communication basée sur rien, sur du vide. Un an, c’est peut-être très peu pour pouvoir porter un jugement. Mais dans 5 ans, le PJD pourrait se retrouver dans la même situation que les autres partis qui ont subi l’effet boomerang.

Mohamed Daidaâ : Le PJD est le parti majoritaire de la minorité. Que représente vraiment le PJD avec ses 1 200 000 voix, alors qu’il y a eu 2 millions de bulletins nuls et 7 millions de Marocains, en âge de voter, qui ne sont même pas inscrits sur les listes électorales ? Le mode de scrutin ne permet pas non plus de dégager un parti fort, capable de concrétiser son programme. A la place, on se retrouve avec la somme de plusieurs programmes insipides et impossibles à réaliser. En plus, ce gouvernement n’a pas assez d’audace politique pour exercer le pouvoir et asseoir son autorité. Aujourd’hui, le Chef du gouvernement est incapable d’expliquer par exemple l’interdiction, toujours en vigueur, du parti Al Badil Al Hadari dont les leaders ont bénéficié d’une grâce royale qui implique le recouvrement de tous leurs droits politiques et sociaux.

Khadija Ryadi : Le PJD a été décevant sur des aspects de fond. Par exemple, ce parti a fait de la défense des Palestiniens une priorité, mais, une fois au gouvernement, il a ravalé sa langue. Souvenons-nous encore des critiques des responsables de ce parti concernant le TGV. Maintenant, ils ne se sont même pas tus, mais sont devenus les plus fervents défenseurs de ce même projet. Pourquoi ce revirement à 180° ? Autre exemple, Mustafa Ramid disait aux familles des détenus de l’affaire Belliraj qu’il ne sera tranquille que quand tout le groupe sera libéré. Devenu ministre de la Justice, il a affirmé aux mêmes familles que ce n’était pas l’une de ses priorités. Le plus grave c’est qu’il a déclaré que le dossier des disparus n’en était pas une non plus. Sans parler encore de la cérémonie d’allégeance qu’ils critiquaient et à laquelle ils n’ont pu rien changer. Pire, ils ont trouvé des arguments pour justifier la violence faite aux manifestants qui critiquaient cette cérémonie devant le parlement.

Larbi El Hilali : Sincèrement, je n’attendais pas grand-chose du PJD, mais il y a des choses qu’il aurait pu réaliser car ne nécessitant aucun investissement, mais juste une volonté politique. Quoi qu’il en soit, ce passage du PJD au gouvernement aura une vertu pédagogique. Je connais un certain nombre de cadres qui ont voté pour ce parti. Et je suis sûr que, la prochaine fois, ils ne voteront ni pour le PJD, ni pour une autre formation !

 

Malgré l’arrivée du PJD aux affaires, les manifestations sont toujours réprimées avec la même violence. Pour vous, qui en assume la responsabilité ?

L.E.H. La question serait plutôt : qui nous gouverne ? C’est une boîte noire qui en assume la responsabilité, quand on sait que même les manifestations du PJD se font interdire… Il y a un flou qui arrange tout le monde. On a un gouvernement qui ne gouverne pas. Lorsqu’on lui pose des questions, il n’en sait rien ; quand on interpelle un membre du gouvernement, il dit qu’il n’est responsable de rien…

K.R. Abdelilah Benkirane a lui-même avoué qu’il y avait des abus de pouvoir de la part des autorités. Lorsque j’ai demandé au ministre de la Justice, Mustafa Ramid, pourquoi aucune mesure n’avait été prise pour lutter contre ces répressions, il m’a rétorqué n’avoir reçu aucune plainte. Faut-il attendre une plainte pour prendre les mesures nécessaires, lorsque les faits sont avérés et connus de tous ? Il y a une impunité totale quant aux agissements des autorités… Les citoyens continuent à être injustement emprisonnés pour avoir participé à des manifestations pacifiques, comme c’est le cas pour ce jeune homme qui a écopé de 10 ans de prison ferme malgré un dossier prouvant son innocence. Il y a une réelle régression au niveau des libertés individuelles, puisque la police transgresse la loi sans être inquiétée.

M.D. Il est évident que nous avons fait un bond en arrière en matière de libertés individuelles et ce, malgré l’engagement du gouvernement à les respecter. Aujourd’hui, la Constitution donne au Chef de gouvernement le statut de chef de l’administration. S’il n’assume pas la responsabilité des violences perpétrées et qu’il n’est pas capable de désigner ceux qu’il tient pour responsables, qu’il présente sa démission. Cette opacité dans laquelle nous baignons doit cesser.

M.B. Le tableau dressé autour de cette table est trop noirci à mon goût. Evidemment, le Maroc n’est pas encore la démocratie à laquelle nous aspirons tous, mais il a évolué, notamment grâce au combat de certains militants présents ici même. Commençons par comparer le Maroc d’aujourd’hui à celui d’hier, comparons le Maroc à ses voisins, avant de le comparer aux modèles occidentaux. Notre pays est le seul de la région qui soit partenaire de la démocratie au Conseil de l’Europe. Nous avons encore des objectifs à atteindre, mais nous sommes dans une situation plutôt confortable par rapport aux pays voisins. En tant que membre de l’opposition, il serait facile pour moi d’imputer toute la responsabilité aux partis de la majorité, mais il me semble qu’il nous faut faire front commun pour faire avancer les choses.

L.E.H Il est impensable de parler de situation confortable quand des manifestations pacifiques sont réprimées avec ce degré de sauvagerie. C’est devenu une pratique systématique. S’il faut comparer, faisons-le au sein même du pays : il y a trois ou quatre ans, les violences policières étaient moins féroces. Je parle de ce que j’ai vu et vécu, des manifestations, procès absurdes et condamnations injustes, sans aucun respect des lois et des droits des citoyens. Il n’y a pas de confort lorsque des innocents sont derrière les barreaux.

K.R. Sur le papier, le Maroc établit des dossiers, signe, ratifie, remplit positivement son CV des droits humains. Sauf que dans les faits, rien de tout cela n’est respecté. Et même en se comparant aux pays voisins, nous sommes à la ramasse : le Maroc est avant-dernier en termes de liberté de la presse. La Tunisie, l’Algérie et la Mauritanie sont mieux classées que nous. Et la Libye, qui est juste après nous, a avancé. Nous, nous ne cessons de régresser. Quant au classement démocratique, le Maroc est passé de pays hybride à pays autoritaire, lorsque tous les voisins de la région ont fait des progrès.

M.D. Il ne faut pas oublier que les revendications hissées lors du 20 février et de toutes sortes de manifestations qui ont suivi étaient très exigeantes. Face à l’incapacité du gouvernement de les satisfaire, la répression est devenue l’unique moyen déployé pour les faire taire. Utiliser la force pour répondre aux revendications populaires et sociales n’a jamais servi à rien. Ça ne fait que jeter de l’huile sur le feu.

 

Cette approche sécuritaire de l’Etat dénote avec sa volonté de transparence, notamment au vu des différents rapports comme celui relatif à l’état des prisons. Pensez-vous qu’il soit possible que l’Etat ne sache pas ce qu’il veut ?

K.R. Les rapports du CNDH et les protocoles établis, même s’ils n’ont pas encore été soumis aux Nations Unies ni publiés dans le Bulletin Officiel, sont évidemment une bonne chose. Mais tout ceci reste théorique et explique les bons points octroyés au Maroc. Tout ce qui a changé, c’est que ce que nous disions dans nos rapports est aujourd’hui officialisé par l’Etat. Mais ce n’est pas comme si nous venions de découvrir que la torture est perpétrée au Maroc… Ce que nous attendons, outre ces aveux publics, ce sont de vraies mesures.

M.B. N’est-ce pas un pas en avant, que la reconnaissance officielle des institutions étatiques de ces pratiques ? N’est-ce pas une avancée qu’un groupe parlementaire de l’opposition se rende dans les prisons et atteste de ce que ne cesse de répéter l’AMDH depuis des années ?

K.R. Ce sera une avancée lorsque les prisonniers ne seront plus torturés dans les prisons.

M.B. S’il faut parler comme ça, moi aussi je voudrais que demain le Maroc soit le pays de nos rêves.

L.E.H Vous en parlez comme si on demandait la lune… Ce sont des droits basiques et fondamentaux que nous exigeons.

M.B. Encore une fois, j’aimerais aussi me réveiller demain, découvrir que le Maroc est comme la Suède ou la Norvège. Mais le Maroc tel qu’il est ne peut avancer que pas à pas. Aujourd’hui, cette reconnaissance n’est pas anecdotique. Ça peut paraître insuffisant, mais politiquement c’est énorme. Maintenant, il faut faire pression pour avancer et que la dignité humaine soit respectée.

M.D. Il n’y a pas à tergiverser : les droits humains sont respectés ou ne le sont pas. Le Maroc ratifie mais ne respecte rien. Nous voulons aujourd’hui que les engagements pris par l’Etat soient effectifs, ou alors qu’il cesse de signer à tout-va et assume ce qu’il est. Si c’est simplement pour collectionner les bons points, nous n’en avons que faire. C’est dans la mise en pratique que le citoyen et le peuple se sentent concernés, et non sur des documents signés et oubliés. Le temps de la vitrine démocratique est révolu.

K.R. Ce discours du “c’est mieux qu’avant”, nous le subissons depuis peut-être trente ans. “Les prisonniers politiques sont libres, c’est un pas en avant”, “la commission d’arbitrage de 1999 est là, c’est une bonne chose”, etc. Tout cela, encore une fois, reste théorique. Les avancées présentées par l’Etat consistent en une série de documents institutionnels. Il suffit de se pencher sur les statistiques et les indicateurs pour entrevoir la supercherie.

 

 

Ce décalage entre les institutions et le terrain ne touche pas seulement le domaine des libertés : au niveau de la lutte contre la corruption, les sorties du gouvernement sont presque classées sans suite. Un an après la prise de pouvoir du PJD, quel est le bilan ?

M.B. Pour le moment, le gouvernement n’a rien présenté. Les revendications de l’opposition appelant à des sanctions contre l’impunité, dossiers en main, sont encore sans réponse. La gangrène de la corruption s’est propagée partout. Il faut que le gouvernement assume ses responsabilités, avec l’aide de toutes les composantes de la société. Il faudra plus qu’une année pour y mettre fin.

M.D. Au Maroc, la corruption est institutionnelle. La combattre n’est ni facile ni impossible. Plusieurs institutions et associations spécialisées, à l’exemple de l’Instance centrale de prévention de la corruption ou Transparency, ont rendu leurs rapports. Le gouvernement devrait leur donner corps, afin que nous puissions sentir cette volonté de changement dans nos vies quotidiennes. N’oublions pas que la lutte contre la corruption fut l’une des promesses électorales du PJD. C’est principalement ce slogan qui lui a permis d’être à la tête du gouvernement. Pourtant, il y a des dossiers fins prêts à être examinés, qui n’attendent que d’être pris en considération par Mustafa Ramid.

K.R. Le 20 février avait vu juste en faisant le lien entre le despotisme et la corruption. Nous avons encore des cas de citoyens mis derrière les barreaux pour avoir voulu dénoncer toutes sortes de corruption, et ce malgré l’existence de l’article 27 de la Constitution, censé les protéger. Il y a, en plus, des dossiers que l’Etat, pour des raisons politiques, préfère ignorer. Tant que la justice n’est pas indépendante, la corruption continuera de régner en maître sur le pays.

L.E.H La question de la corruption est liée au péché originel, à savoir les élections du 25 novembre 2011 et tout son cadre institutionnel. Le gouvernement n’a pas de pouvoir. Il n’y a pas d’illusions à se faire : l’arrivée de Benkirane ne va rien changer à la corruption. Aujourd’hui, lorsqu’il ne se cache pas derrière des rapports, il fait diversion. La preuve par la publication des listes d’agréments, qui ont fait un buzz incroyable. Mais à quoi bon si aucune mesure n’est prise ?

M.B. N’oublions pas d’où vient le PJD et ce qu’il est. C’est un parti qui a une vision politique qu’il veut installer dans la société. S’il doit composer et laisser faire certaines pratiques, ça peut l’arranger. Bon nombre de citoyens pensaient que le PJD pouvait sauver le Maroc. Sauf que pour moi, le PJD veut durer au gouvernement. Un parti dont le but principal est de réformer ce qui ne va pas prendrait des mesures efficaces assez rapidement. Lorsque le Chef du gouvernement nous parle de ces tamassi7 et âfarit, pourquoi ne les nomme-t-il pas ? N’en a-t-il pas le courage ? Un gouvernement qui a le pouvoir de soigner un mal dans une société -ce que le PJD possède, grâce à la nouvelle Constitution- ne se contente pas de publier une liste de noms, pour en revenir aux agréments. Il aurait pu mettre en place une stratégie sur un ou deux ans.

K.R. Le Mouvement du 20 février a explicitement nommé les “crocodiles et démons” dont parle Benkirane, brandissant même leurs photos lors des manifestations et appelant à leur sanction. Le gouvernement actuel ne peut pas faire mine de les ignorer, vu que certains de ses membres, avant de faire partie de la majorité, appelaient à la chute de ces mêmes symboles de la corruption. Au lieu de suivre le 20 février et sa volonté de démocratie pure et dure, le parti a préféré valider une Constitution qui ne permet pas de juger ceux qui ont le pouvoir.

M.D. Je maintiens que c’est par manque de courage politique que Benkirane n’use pas de l’autorité qui lui est octroyée. Au lieu de rompre avec les pratiques des gouvernements précédents et d’exercer pleinement ses pouvoirs, le Chef du gouvernement ne cherche qu’à mettre en évidence la confiance établie entre le roi et lui. N’est-il pas temps de passer à autre chose ? Notre drame est d’avoir des politiciens qui ne sont pas capables de renverser les tables lorsque c’est nécessaire.

L.E.H. Notre malheur, c’est qu’il y a un monde entre les lois et leur application. Sur le papier, la Constitution est louable, comme l’a été celle d’avant. Au sein du 20 février, nous voulions une Constitution claire et nette, qui ne laisse aucune possibilité d’interprétation quant au rôle de chacun. Ce n’est pas le cas dans la Constitution de 2011. Cette opacité dans les textes fait que le Palais a un ascendant psychologique sur le gouvernement : le meilleur exemple reste la lettre d’excuses qu’a adressée Benkirane au roi et à ses conseillers. C’est encore dans les pratiques du pouvoir que le bât blesse.

 

 

À l’arrivée du PJD au pouvoir, beaucoup pensaient que l’influence du Makhzen sur la vie courante des citoyens allait se faire plus discrète. Qu’en est-il ?

M.D. Malgré les réformes de la Constitution, où l’hégémonie royale n’est plus aussi présente, Benkirane ne s’est pas approprié le pouvoir dans la pratique. Peut-être nous aurait-il fallu quelqu’un comme El Youssoufi… Tant que la séparation des pouvoirs n’est pas effective, il n’y a pas de transition démocratique possible, et tout restera sous la djellaba du Makhzen. Est-ce que quelqu’un, dans ce gouvernement, a voulu exercer son pouvoir et en a été empêché ? Si oui, qu’il le dise et qu’il démissionne. Si on ne va pas à la confrontation, rien ne changera.

K.R. A la lecture de la nouvelle Constitution, il est évident qu’elle ne respecte pas le droit à l’autodétermination, à savoir le droit du peuple à disposer de lui-même. Les pouvoirs du roi sont encore centraux, qu’ils soient exécutif, législatif ou judiciaire. L’essence même de la Constitution mise en place est autoritaire, malgré les réformes positives, notamment dans le cadre des droits humains. Comment voulez-vous que ces mesures soient respectées et garanties alors que la torture est encore pratiquée dans les prisons et que les procès politiques continuent à fleurir ? Tant que la justice n’est pas indépendante, nous aurons toujours des droits verrouillés.

M.B. Il y a du bon et du mauvais partout. La Constitution actuelle, complètement différente de celle de 1996, est ce qui nous unit. Y sont inscrits nos droits et nos obligations. Reste évidemment la pratique, qui n’est pas à la hauteur des attentes du citoyen. Il faut insister, faire pression, comme le fait l’AMDH, pour mettre en pratique ce qui est garanti. Nous avons un début de démocratie à la marocaine. Il faut compter avec toutes les composantes du pays et continuer d’avancer.

L.E.H J’ai boycotté les élections ainsi que le référendum pour la Constitution. Cette dernière ne garantit même pas les bases d’une pratique démocratique. Tout ramène, peut-être plus indirectement qu’avant, au roi. L’arrivée au gouvernement de Benkirane a malheureusement confirmé la lecture et la critique que craignait le Mouvement du 20 février. J’aurais voulu, aujourd’hui, être en mesure de dire que nous avions tort et être agréablement surpris. C’est loin d’être le cas.

M.D. Si le Makhzen est fort aujourd’hui, c’est parce que nous sommes faibles. Il faudra bien finir par l’avouer ! La pratique démocratique à laquelle nous tenons tant, nous devrions commencer par l’établir dans nos partis, syndicats, institutions et associations. Il nous faut être démocrates avant d’aspirer à la démocratie. C’est notre talon d’Achille. La vérité, c’est que nous sommes dans l’attentisme. C’est le Makhzen qui initie les choses.  Nous nous contentons de suivre, soit dans son sens soit en nous y opposant. Notre politique est une courbe sinusoïdale : au lieu de profiter des occasions historiques qui se présentent à nous pour faire un bond en avant, on pique du nez et on rate le coche.

K.R. Ce débat aurait peut-être été justifié avant le 20 février. La naissance du mouvement a été l’occasion rêvée pour aspirer au changement. Ceux qui mettent en exergue les points positifs de la Constitution de 2011 ne doivent pas oublier qu’elle n’aurait pas vu le jour sans ce mouvement de contestation. Pour la première fois dans l’histoire du Maroc, les citoyens sont sortis de chez eux pour demander une constitution démocratique. C’est du jamais vu. Voici donc une jeunesse et un peuple qui ont joué leur rôle, mais leur élan a été brimé.

 

Mustapha El Khalfi. “Nous avons pris des décisions courageuses”

 

Faute d’avoir un représentant du PJD au cours du débat (plusieurs se sont désistés), TelQuel a confronté le porte-parole du gouvernement aux principaux griefs que les intervenants retiennent contre l’équipe Benkirane.

 

Les associations des droits de l’homme se plaignent du recours à la répression des manifestations, de manière systématique. Que leur répondez-vous ?

On ne peut parler de recours systématique à la répression des manifestations. A chaque fois qu’il y a des incidents, généralement des cas isolés, ou à chaque fois que les organisations de défense des droits de l’homme ou les organes de presse le signalent, le gouvernement veille immédiatement à l’ouverture d’enquêtes pour éviter que cela ne se reproduise.

 

On reproche au Chef du gouvernement de ne pas exercer les prérogatives que lui octroie la Constitution. Quel est votre commentaire ?

Les prérogatives qu’exerce le Chef de gouvernement sont déterminées par la nouvelle Constitution. Ensuite, il agit selon ce qui a été convenu dans le programme gouvernemental. Peut-on dire que le Chef de l’Exécutif n’exerce pas ses prérogatives à l’heure où le gouvernement a entamé plusieurs chantiers de réforme sans précédent ? Je parle des chantiers de la lutte contre l’économie de rente et la corruption, l’adoption de mesures claires pour renforcer les principes de la transparence et de la bonne gouvernance…

 

On vous accuse de prendre des mesures “poudre aux yeux” comme les listes des agréments des carrières… sans que rien de concret ne suive. Qu’en pensez-vous ?

La publication des listes des bénéficiaires des agréments du transport et des carrières s’inscrit dans le cadre de la consécration de la transparence et de la bonne gouvernance. Parallèlement à cette publication, le gouvernement a prévu des projets de réforme de ces régimes à travers des cahiers de charges bien définis. Contrairement à ce que vous dites, les réalisations du gouvernement depuis sa nomination sont visibles à tous les niveaux. Les exemples sont nombreux : le fonds de solidarité alimenté d’une enveloppe de 2,5 milliards de dirhams, la baisse du prix de 300 médicaments d’environ 50%, le programme Tayssir avec ses 783 000 élèves bénéficiaires, l’augmentation des bourses d’étude des étudiants… Et pour ce qui est de la législation, en plus de la mise en place d’un agenda législatif, le gouvernement a présenté 83 projets de textes législatifs, dont 45 nouveaux et 3200 arrêtés ministériels ont été élaborés cette année, soit 15 arrêtés chaque jour.

 

On vous reproche également votre incapacité à agir face à l’impunité…

Pas moins de 44 dossiers émanant de la Cour des comptes -dont cinq relevant de l’année 2012- ont été soumis à la justice. En plus, on a agi pour la consécration du principe de reddition des comptes. On a aussi entamé le chantier de la réforme de la justice. Mieux encore, des décisions courageuses ont été prises concernant le non-cumul des fonctions au niveau de la Santé et de l’Education, en plus de l’interdiction de l’accès direct à la fonction publique.

 

Au PJD, ne craignez-vous pas de perdre de votre popularité, au bout de cinq ans au pouvoir ?

La direction du parti l’a répété à plusieurs reprises : ce n’est pas la popularité qui compte, mais le développement du pays, la mise en œuvre optimale de la Constitution et du programme gouvernemental en vertu duquel les citoyens nous ont confié la mission de la gestion de la chose publique. Le jour où le gouvernement a pris la décision de l’augmentation du prix du carburant, nous étions conscients qu’il s’agissait d’une décision impopulaire certes, mais obligatoire pour sauver l’économie du pays dans un contexte marqué par la hausse du prix du pétrole et l’épuisement des réserves de la Caisse de compensation. Nous contribuons à la gestion de la chose publique pour atteindre un développement socio-économique, des réformes politiques et structurelles qui soient à la hauteur des attentes de nos concitoyens.

 

 

Loi de finances. Bis repetita

Le projet de budget 2013, le premier à avoir été élaboré de bout en bout par l’équipe Benkirane, fait l’unanimité chez nos intervenants. “Décevant !”, c’est le qualificatif qui revient, le plus souvent, dans leurs propos. “Le gouvernement actuel ne semble pas vouloir opérer une rupture mais s’inscrit dans la continuité”, estime Khadija Ryadi. Mohamed Daidaâ abonde dans le même  sens. “On nous a promis monts et vallées, mais nous nous sommes retrouvés face à une Loi de Finances sans la moindre audace. Ce budget ne reflète même pas les engagements sociaux du gouvernement : aussi bien les investissements publics que les postes budgétaires s’inscrivent en recul”. Un des principaux griefs retenus contre cette Loi de Finances concerne la taxe sur les hauts revenus. “Il ne sert à rien d’imposer davantage un salarié et lui pomper 700 ou 800 DH de plus. C’est porter un coup dur à la classe moyenne, explique Mehdi Bensaïd. Mais il existe d’autres niches fiscales à explorer. Je connais des gens, des artistes et des travailleurs indépendants, qui gagnent bien leur vie et qui aimeraient contribuer. Sauf qu’ils n’ont aucune base légale pour le faire”. Ce qui fait dire à Larbi El Hilali : “Le gouvernement se trompe de cible. Il aurait pu avoir le courage d’instaurer un début d’équité fiscale. Pourquoi l’agriculture et l’immobilier sont-ils les principaux bénéficiaires des exonérations ?” Et de conclure : “C’est là qu’on découvre toute l’incompétence de ce gouvernement”.

 

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