Mohammed VI a relifté sa communication pour l’adapter à l’arrivée des islamistes au pouvoir. Il s’est doté d’un porte-parole après avoir engagé un conseiller à l’image pour mieux se vendre. Décryptage.
« Le roi ne communique pas !” Ce constat revient dans la bouche des professionnels des médias depuis l’accession au trône de Mohammed VI. Les dernières critiques en date ont été formulées lors de la cérémonie de la bey’a qui n’a pas eu lieu le 31 juillet comme le veut la tradition. Etait-elle annulée ou simplement reportée ? Les journaux, se perdant en conjectures, ont reproché au Palais de ne plus avoir de porte-parole depuis que Hassan Aourid a été gentiment remercié en juin 2005. L’annonce du report de la cérémonie à cause du ramadan et de la commémoration du décés de Mohammed V tombe quelques jours plus tard. Mais le communiqué du Palais ne calme pas les frustrations. Le poste de porte-parole est toujours en jachère, cela fait donc plus de 7 ans que Mohammed VI n’a pas d’interface avec les médias. Et le 30 octobre dernier, prenant de court tout le monde, un communiqué annonce que le roi a nommé à cette fonction l’ancien directeur du protocole, Abdelhak Lamrini.
Pub à la rescousse
Au vu du CV de ce dernier, cette manière de faire du neuf avec du vieux pourrait laisser penser que c’est un non-évènement dans la communication royale. Lamrini est un homme du sérail, connu pour son mutisme, de surcroît âgé de 78 ans alors qu’on pouvait espérer un quadra. Pas la meilleure pub si le Palais a eu dans l’idée de montrer une certaine ouverture aux médias. “C’est la marque d’une lutte permanente au sein de l’institution monarchique entre l’immuable et la nécessaire adaptation aux besoins pressants de l’époque”, analyse un spécialiste de la communication politique. Et l’immuable gagne souvent. “Un porte-parole du Palais doit se contenter de répéter fidèlement le message royal et ne faire preuve d’aucune initiative. Lamrini avait toutes les qualités nécessaires pour remplir ce cahier des charges”, surenchérit-il.
Rien de nouveau sous le soleil donc ? Pas si sûr. La nomination de Abdelhak Lamrini est le résultat d’un changement notable survenu dans la communication royale quelques mois plus tôt. Un fils de pub est arrivé au courant de l’été dernier comme chargé de mission au Palais avec pour objectif de mieux vendre l’image de Mohammed VI. Ce spin doctor n’est autre que Karim Bouzida, un ancien de l’agence Klem. Présenté comme un des hommes de Fouad Ali El Himma dans le monde de la communication, il tient depuis 2008 les rênes de Mena Médias, l’agence de com’ du conseiller royal.
Lamrini n’est donc là que comme front-office, simple complément d’un dispositif où tout se passe en back-office, sous la houlette d’El Himma épaulé par Bouzida pour son expertise. Ce dernier n’a d’ailleurs pas débarqué en territoire inconnu. Karim Bouzida était rodé au produit Mohammed VI pour avoir déjà travaillé sur la perception de l’image du roi. “Au sein de Mena Médias, El Himma lui confiait des missions ponctuelles sur l’image de Mohammed VI dans les nouveaux médias et les réseaux sociaux. Le rôle qu’on lui a attribué dans la communication royale est juste la formalisation d’activités qu’il menait déjà”, confie un ancien de Mena Médias.
Benkirane comme benchmark
En effet, l’idée qu’il fallait communiquer différemment autour de Mohammed VI ne date pas d’hier. La nomination de Karim Bouzida est le fruit d’un constat : le Mouvement du 20 février est passé par là. Le roi était certes sorti victorieux du référendum sur la Constitution, véritable plébiscite, mais son image avait été tout de même écornée par la rue. Il fallait repolir l’image de Mohammed VI en la dépoussiérant, une tâche ménagère dont débattaient depuis un moment les conseillers royaux, Yassir Zenagui confiant même à des journalistes en off que le roi était prêt à sauter le pas… “Tous les jours sur les médias sociaux, on fissurait la sacralité entourant Mohammed VI. En face, en guise de réponse, on continuait à jouer la carte des activités royales sur les chaînes publiques qui impactent peu de Marocains. Réagir était nécessaire”, analyse un professionnel de la communication politique.
D’autant que Abdelilah Benkirane, sorti vainqueur des urnes, concurrence désormais
Mohammed VI dans les médias. Un Chef de gouvernement avait droit au feu des projecteurs pour la première fois dans l’histoire politique du Maroc. Showman avéré, il était devenu une star dont on rapporte les faits et gestes, les bons mots et les déclarations fracassantes. Et quand il passe sur les télévisions publiques, Abdelilah Benkirane pulvérise l’audimat : près de 7 millions de Marocains ont ainsi suivi ses explications sur la hausse des prix du carburant. “Nous avons un Chef de gouvernement qui communique, après des décennies de Premiers ministres sourds et muets. Même si la popularité de Mohammed VI est largement supérieure à celle du Premier ministre, cette prise de parole par Benkirane a titillé l’institution royale”, constate le conseiller en communication d’un homme politique de la place.
Guerre de l’image
Le temps de la riposte était clairement venu. La première salve de la nouvelle cellule communication a été tirée au cœur de l’été dernier via un communiqué du Palais. Mohammed VI y annonçait l’ouverture d’une enquête sur les comportements frauduleux de douaniers et de policiers des frontières. Le roi avait déjà tapé du poing sur la table et diligenté des enquêtes de ce type, mais le contexte avait changé. Le thème de la corruption était le sujet préféré de Benkirane et un slogan du M20 qui avait imprégné les Marocains. La médiatisation de l’action royale soulignait que le roi était au diapason des exigences de ses “sujets”. Le timing est parfait. Mohammed VI s’arroge ainsi le rôle de Zorro moins de deux semaines après que Benkirane a déclaré à Al Jazeera être impuissant face au fléau.
Côté image, les premières retouches à la com’ royale ont pu être constatées lors du récent périple de Mohammed VI dans les pays du Golfe. “On a filmé Mohammed VI différemment. Les plans sont de meilleure qualité tout comme le montage. On a privilégié les sons d’ambiance en évitant la voix off laudatrice à laquelle on a habitué les téléspectateurs marocains”, constate un professionnel de la télévision.
Ces quelques modifications dans la forme n’ont cependant pas altéré le fond, qui n’a pas bougé d’un iota. “Mohammed VI jouit d’une grande popularité. On a juste retouché, réajusté le packaging sans révolutionner la recette. C’est la règle quand on a un produit leader sur le marché”, poursuit notre homme de médias. L’ingrédient de base de cette recette au goût des Marocains reste la vieille corde d’Amir Al Mouminine. Mais, désormais, elle est distillée avec une touche humaine, un halo d’humilité. Lors de la Omra du roi, les caméras de 2M et TVM ont filmé Mohammed VI en s’attardant pour la première fois sur son torse et ses pieds nus, comme avec un musulman lambda accomplissant son devoir religieux. Juste derrière le roi, la conseillère royale, Zoulikha Nasri, le suivait pas à pas autour de la Kaâba. “Elle faisait partie de la délégation royale, sa présence était donc normale. Mais montrer une femme dans un espace sacré si proche du roi était une première dans la communication royale. On actualisait l’image du souverain défenseur des femmes depuis qu’il a réformé la Moudawana”, lit entre les lignes un expert en communication politique.
Zorro ne meurt jamais
Mohammed VI a aussi profité de son voyage dans le Golfe pour booster sa dimension internationale. “Sa visite au camp de réfugiés de Zaâtari (en Jordanie) a été marquante. Il se positionnait clairement par un geste fort”, poursuit notre expert. En filigrane, il s’agissait pour Mohammed VI de s’affirmer par un acte symbolique alors qu’on lui a reproché longtemps d’être absent de la scène internationale, contrairement à son père qui était omniprésent. Les images montraient un roi s’adressant à l’étranger avec l’avantage de jouer à domicile. Mohammed VI prenait des nouvelles de réfugiés pris en charge entièrement par le Maroc, portant une coiffe amazighe comme lors d’une visite à des populations démunies du royaume.
Le reste du temps, il a vendu l’exception marocaine aux pays du Golfe. Affublé de ses conseillers royaux, il a montré à ses interlocuteurs qu’il était un exemple de gestion du Printemps arabe. Un modèle plus que jamais dépositaire du pouvoir, gouvernement islamiste ou pas. Alors que les ministres se disputaient les strapontins, les conseillers se voyaient confier les rôles principaux. Une stratégie résumée ainsi par un expert des pays du golfe : “Une visite dans ces monarchies a ses particularités. Ces dernières veulent traiter des dossiers de cabinet à cabinet car c’est inscrit dans leur patrimoine politique. Ils ont besoin d’une continuité”. La tactique des conseillers royaux a consisté à parler abondamment dans les médias des avantages d’investir au Maroc. Muets devant les Marocains, ils ont été diserts quand il s’est s’agi d’aller pêcher des milliards et servir l’image d’un roi sauveur de l’économie marocaine en crise.
Mohammed VI, quant à lui, est resté silencieux avec les médias comme à son accoutumée. Il a laissé le micro à sa garde rapprochée, prêt à adapter sa communication aux circonstances, sans pour autant qu’on entende sa voix. “C’est tout son intérêt. Le plus grand danger en communication, c’est l’improvisation. Prendre la parole en public, c’est risquer le grain de sable”, soupèse un professeur de communication politique. Nouvelle com’ ou pas, Mohammed VI risque donc de rester imperméable aux conférences de presse et interviews. Il tient déjà la formule gagnante : un roi du Maroc ne s’explique pas, il discoure.
Abdelhak lamrini. Berrah de Sa majesté Le nouveau porte-parole de Mohammed VI est historien et écrivain. Mais ce n’est pas pour sa culture que le roi a tiré l’historiographe du royaume de sa préretraite. Abdelhak Lamrini a été choisi car il connaît la maison par cœur. Il hante les couloirs du palais depuis 1965, année où il a été casté par le ministre de la Maison Royale de l’époque, Moulay Hafid Alaoui. Vieilli sous le harnais du Makhzen, il en connaît les us et coutumes en tant qu’ancien directeur du protocole. Une fonction où il a colorié plus d’une ligne en rouge vif, la déclarant infranchissable par les médias. En mai 2005, il adresse notamment une mémorable lettre de menaces à Al Jarida Al Oukhra (aujourd’hui disparu) après la publication d’un dossier sur la vie privée de Lalla Salma. Dans cette missive, il signifie à la presse que toute information ou photo concernant la famille royale ne sauraient être diffusées sans l’aval du protocole. Après ce petit taquet aux journalistes, Abdelhak Lamrini est passé en mode mute, fidèle à sa culture du sérail qui lui impose vœu de silence. Juste après sa nomination, il a expliqué “attendre les directives” pour s’exprimer sur la nature de sa nouvelle mission de porte-parole. Discret, le doigt sur la couture, fidèle à sa réputation. La recrue idéale pour lire des communiqués. |
Khalil hachimi idrissi . Sur le fil sacré Ses anciens collaborateurs à Maroc Hebdo et Aujourd’hui Le Maroc (quotidien qu’il a lancé) se rappellent d’un boss qui brandit un contrat non écrit tenant en deux lignes rouges : la monarchie et le Sahara. Arrivé à la tête de la MAP en plein Printemps arabe, Khalil Hachimi Idrissi va prendre naturellement part à toute la propagande officielle autour de la Constitution du 1er juillet. Puis apporter sa touche, plus tard, à la couverture de la campagne des législatives du 25 novembre 2011. Sa proximité avec Fouad Ali El Himma lui a valu son poste, le conseiller royal l’ayant choisi notamment pour son style offensif. Car, contrairement aux anciens directeurs de la MAP, Khalil Hachimi Idrissi monte au front le premier quand il s’agit de sniper les détracteurs de la monarchie. Il prend ainsi sa plus belle plume pour défendre la bey’a, remettant à leur place les réfractaires à la cérémonie d’allégeance. Khalil Hachimi Idrissi participe à de nombreux évènements à l’étranger où sont conviés des journalistes marocains suite au Printemps arabe. Il y est reçu comme un ministre de la Communication pour vendre l’exception marocaine. Ayant mis son expertise des médias au service du roi, il a dans le pipe trois nouveaux produits estampillés MAP : une télévision, de l’audio et une photothèque. Pour une meilleure exposition de Mohammed VI. |
Karim bouzida. Spin doctor de M6 Né dans le quartier CIL de Casablanca il y a une quarantaine d’années, Karim Bouzida fait ses études dans une des nombreuses facultés de la ville blanche. Pure produit de l’enseignement public et bidaoui bon teint, il arrive cependant à intégrer le sérail rbati grâce à Fouad Ali El Himma. Les deux hommes se sont rencontrés à l’époque où Karim Bouzida travaillait sur la campagne de sensibilisation aux élections législatives de 2007 au sein de l’agence de communication Klem. Séduit par le parcours et les compétences de Bouzida, El Himma lui confie la direction de son agence de communication Mena Médias en 2008. Karim Bouzida a une mission à remplir en priorité : utiliser l’agence comme boîte à outils et support logistique des projets politiques de son patron. C’est ainsi qu’il collabore activement à la création et à l’accompagnement du PAM. “Il avait la vue la plus complète sur l’agenda d’El Himma étant au cœur de la matrice”, témoigne un ancien de Ména Medias. Bras droit d’El Himma, Karim Bouzida donne son avis sur tout et a un œil sur tout. Il travaille beaucoup, enchaîne les réunions, est réactif, loyal et à la pleine confiance de son boss. Ses qualités lui vaudront d’être coopté par El Himma en tant que chargé de mission au palais avec comme objectif d’améliorer la communication royale. |
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