Etats-Unis. “Obama et Romney ne sont pas si différents”

Le nom du nouveau président américain sera connu mardi 6 novembre. A cette occasion, TelQuel a interviewé Barah Mikail, spécialiste du Moyen-Orient, sur la façon dont les deux challengers envisagent leur place à la tête de la première puissance mondiale.

 

Comment juger le bilan diplomatique de Barack Obama ?

L’habilité d’Obama a été d’apporter un emballage vertueux aux orientations diplomatiques des Etats-Unis. On l’a vu avec le fameux discours du Caire de 2009 et la position, prudente, d’accompagnement du Printemps arabe qu’il a adoptée. C’est, d’un certain point de vue, une nouveauté. L’électorat le lui rend bien puisqu’il est à la fois satisfait de son bilan et en phase avec ses positions actuelles sur le refus de nouvelles interventions militaires directes.

Mais le corollaire à cela est que, sur le fond, ses positions ne diffèrent pas vraiment de celles de son prédécesseur. Le retrait d’Irak et la sortie de crise en Afghanistan figurent parmi ses réussites, mais ils avaient été annoncés et initiés par George W. Bush. Sur l’Iran, il avait initialement adopté une rhétorique de la conciliation. Mais sur le fond, l’intransigeance demeure de rigueur. Dans la lutte contre le terrorisme, Obama a tué Ben Laden, alors que Bush n’avait pas réussi ne serait-ce qu’à l’affaiblir. Sauf qu’il a retenu un traitement sécuritaire du terrorisme plutôt qu’un remède politique des “racines du mal”.

J’ajouterai pour finir que l’impératif de la résolution du conflit israélo-palestinien demeure. Rien n’a véritablement été accompli en la matière. Et c’est bien l’administration Obama qui a rendu impossible la reconnaissance symbolique d’un Etat palestinien à l’Assemblée générale de l’ONU l’année dernière.

 

En cas de réélection, quels seront les prochains défis diplomatiques d’Obama ?

Pour l’essentiel, ce sera une poursuite des dossiers en cours. Le Secrétariat d’Etat mettra sans aucun doute le paquet sur le dossier iranien, même si on peine encore à voir comment. La situation est aussi très inquiétante en Syrie et les Etats-Unis devront clarifier leur positionnement et leur stratégie. Jusqu’ici, on est dans une sorte d’attentisme : le soutien à la rébellion contre Bachar Al Assad, mais la mise en garde contre toute intervention qui pourrait provoquer une catastrophe régionale. Le positionnement précis des Etats-Unis est pourtant l’une des clés essentielles vers une sortie de crise.

Enfin, les Printemps arabes ont ouvert la voie à un nouvel impératif moral pour les Etats-Unis : celui de se positionner clairement vis-à-vis de l’ouverture politique et des questions des droits de l’homme. Aujourd’hui, si les Etats-Unis ont accompagné les ouvertures en cours, ils s’accommodent des autoritarismes qui demeurent dans le Golfe et en Afrique du Nord. La morale ne va certainement pas devenir le nouveau moteur de la diplomatie américaine, mais les Printemps arabes ont exacerbé la visibilité de ce deux poids deux mesures.

 

Quelle est la vision internationale du candidat républicain Mitt Romney ?

Depuis le début de la campagne, Mitt Romney a montré qu’il était un candidat très versé dans les affaires intérieures mais qu’il n’était absolument pas rodé aux affaires internationales. De par son parcours certes, mais aussi par ses positionnements. Son instrumentalisation de l’attentat de Benghazi a été une démonstration flagrante de son manque de sens diplomatique. Ses conclusions étaient les suivantes : l’administration Obama est responsable de la mort de l’ambassadeur Chris Stevens, et c’est la preuve qu’il ne faut pas plier devant les demandes des pays arabo-musulmans. Lors du débat du 22 octobre, il a aussi montré qu’il avait une vision assez grossière des enjeux internationaux au Moyen-Orient, et une tendance à mettre les mondes arabe et musulman dans un même sac. Rien à voir avec Obama qui, au-delà de sa position actuelle, assez pragmatique, jouit d’un certain feeling en matière de politique étrangère.

Cela prouve aussi que Romney est mal conseillé sur ces questions. Comme tout candidat, il est préparé par une équipe avant chaque déclaration. Cela nous apprend que s’il est élu, il n’adoptera pas forcément des positions “stupides”, mais que cela pourra dépendre de ce que lui suggèreront ses conseillers.

 

Quelle est l’idéologie dominante au sein du staff républicain ?

Si un vent néoconservateur semble souffler dans ses équipes, il ne faut pas s’attendre à voir l’exact clone de George W. Bush à la Maison Blanche. Pas plus qu’il ne faut s’attendre à une attaque imminente de l’Iran ou à un revirement inconditionnellement pro-israélien. Romney devra forcément modérer ses positions et maintenir des relations cordiales avec les pays arabes, ne serait-ce que pour sécuriser les intérêts, énergétiques entre autres, des Etats-Unis dans la région. Ce à quoi l’on peut raisonnablement s’attendre, c’est qu’il adopte une position pragmatique d’accompagnement des crises, tout en maintenant une rhétorique plus ferme sur certains dossiers.

 

N’est-ce pas justement ce pragmatisme que Romney reproche à Obama ?

S’il y a bien une chose que nous apprend l’histoire diplomatique des Etats-Unis, c’est que quelle que soit la coloration politique de la Maison Blanche, les intérêts stratégiques des Etats-Unis l’emportent toujours. On a pu le voir dans le dernier débat. Les deux candidats ne sont pas si différents en ce qui concerne les positions internationales, sauf en termes rhétoriques. En outre, ils partagent l’idée de la “destinée manifeste”, selon laquelle les Etats-Unis doivent être le phare du monde.

 

Romney n’adopte-t-il pas tout de même un discours plus dur, parfois plus interventionniste, vis-à-vis de la crise syrienne et du dossier nucléaire iranien ?

Je crois qu’il s’agit d’un effet d’annonce qui lui permet de se différencier d’Obama. C’est la situation facile du challenger qui n’est pas en poste. Quelles que soient ses déterminations, je ne crois pas que Romney souhaite ou puisse passer outre des réalités géopolitiques. Quand certains conseillers militaires du département d’Etat ne cessent d’alerter que l’Irak a été une partie facile par rapport à ce qui attendrait les Etats-Unis en Syrie, cela fait réfléchir. D’autant qu’il n’y aurait pas de véritable retour sur investissement en Syrie, contrairement à l’Irak, et qu’une nouvelle intervention serait un fort facteur d’instabilité régionale. La seule chose raisonnable à laquelle on puisse s’attendre est un accompagnement et une tentative de contrôle d’une éventuelle chute de Bachar Al Assad. Ces conclusions s’appliquent aussi à l’Iran. Romney sera peut-être plus intransigeant mais il ne négociera pas moins. Il ne pourra pas traduire la dureté qu’il affiche dans son discours de campagne en actes.

 

Le processus de paix entre Israël et la Palestine est au point mort. Doit-on s’attendre à voir bouger les lignes après l’élection ?

Obama insiste sur la nécessité de résolution du conflit, mais cela se limite à la rhétorique. Pour moi, dans les faits, l’actuel président a montré moins de détermination dans ce dossier que certains de ses prédécesseurs, Bush y compris. Mitt Romney, malgré les accusations qu’il porte à Obama, ne sera pas forcément plus volontariste. Il est certain que le futur président ne laissera pas pourrir le dossier. Mais il est peu probable que les Etats-Unis exerceront plus de pressions sur d’Israël. Surtout que les derniers sondages annoncent la réélection de Benyamin Netanyahu en Israël, ce qui lui conférera une nouvelle légitimité. Donc l’élection présidentielle américaine a son importance pour l’évolution de la situation au Proche-Orient, mais le dossier israélo-palestinien ne prime plus. Ce qui se dessine pour les années à venir est plus une stratégie de contrôle des conflits du Moyen-Orient autour d’Israël que la résolution du conflit israélo-palestinien lui-même. Quel que soit le président élu, ce n’est pas en quatre ans que l’on verra une solution au conflit.

 

L’élection de Mitt Romney risque-t-elle de donner une nouvelle tournure aux relations avec le Maroc ?

Je ne pense pas. Le Maroc est un allié historique des Etats-Unis, et un partenaire clé dans le contrôle des menaces régionales, c’est-à-dire l’instabilité du Sahel, qui comprend à la fois la lutte antiterroriste contre AQMI et le contrôle des fragmentations des territoires comme au Nord-Mali. Même si la gestion régionale de l’anti-terrorisme est plutôt chapeautée par l’Algérie, un succès à terme de la stabilisation de la région passe par une association de tous les pays. Les Etats-Unis n’ont pas intérêt à troquer le partenariat avec le Maroc pour un saut dans le vide. Surtout que les autorités marocaines sont en phase avec les Etats-Unis sur ces questions.

 

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