Turquie-Syrie. Avis de tempête

Erdogan
Le président turc Recep Tayyip Erdogan. Crédit : DR

Alors que le conflit syrien entre dans son 19ème mois, les risques de contagion régionale s’accroissent. La tension est à son comble à la frontière turque, où les incidents se multiplient. Etat des lieux d’une situation pour le moins électrique.

C’est autour de l’interception d’un avion de la compagnie Syrian Air qu’a eu lieu le dernier épisode de l’escalade entre Ankara et Damas. Un airbus A320, qui effectuait la liaison Moscou-Damas, a été invité par les chasseurs de l’armée turque à une escale forcée à Ankara, les autorités soupçonnant la présence à bord d’équipements militaires adressés par la Russie à l’armée syrienne.

La Turquie a finalement confisqué une douzaine de colis, dont la  Russie nie le nature illégale. Pour ces derniers, le matériel confisqué ne comprendrait que des pièces électroniques destinées à un système de radars. Le gouvernement Erdogan a pleinement assumé cette intervention, affirmant ainsi sa volonté d’accroître son contrôle sur les armes transitant vers son voisin du sud. Du côté de Damas, c’est une réaction sans détours qui s’est fait entendre, dénonçant un “acte de piraterie” qui démontrerait l’“attitude hostile” d’Ankara.

 

La goutte d’eau qui…

Cet incident n’est pas le premier. La tension ne cesse de monter depuis quelques temps le long des quelque 900 km de frontière turco-syrienne. Le dernier événement en date avait eu lieu une semaine auparavant, lorsque cinq civils turcs avaient été tués par un obus de mortier dans le village frontalier d’Akçakale. L’attaque, forcément perpétrée par l’armée loyaliste – les insurgés ne disposant pas d’un tel arsenal –, avait déclenché la première riposte militaire turque contre les positions syriennes durant une semaine. Ankara avait alors qualifié le tir meurtrier syrien de “goutte d’eau” de trop. Les “gouttes” s’accumulent en effet depuis plusieurs mois. C’est dans le même village d’Akçakale que plusieurs personnes avaient été blessées en septembre par des balles perdues lors de combats pour le contrôle d’un poste frontalier. En avril, des tirs des forces syriennes avaient atteint le camp de réfugiés syriens de Kilis, situé en territoire turc. Last but not least, un avion F-4 turc volant dans l’espace aérien international au large de la Syrie, avait été abattu en juin dernier par un missile de la défense antiaérienne syrienne, provoquant les premières inquiétudes internationales. Le vase n’a certes pas encore débordé, puisque les ripostes turques n’ont été jusque-là que symboliques et n’ont pas fait de victimes. Mais Ankara mobilise désormais tous les moyens de pression dont elle dispose pour faire en sorte que Damas respecte l’intégrité de son territoire : extension de la capacité d’intervention de ses forces transfrontalières à la frontière syrienne, convocation en urgence des membres de l’OTAN et lettre au Conseil de sécurité pour dénoncer l’“acte d’agression” de la Syrie. En attendant, l’espace aérien turc est désormais fermé à tout avion civil syrien et les vols commerciaux turcs sont appelés à éviter le survol de la Syrie.

 

Meilleurs ennemis

Ancien allié de Damas, la Turquie a pris ses distances vis-à-vis du régime baasiste depuis les premiers jours du mouvement de contestation. Depuis, Ankara n’a eu de cesse de dénoncer la répression sanglante du soulèvement, d’appeler à la chute de celui que le Premier ministre, Recep Erdogan, appelait il y a encore quelques années “mon frère”, et de soutenir l’opposition. Le Conseil national syrien, qui prépare la transition depuis l’étranger, est né à Istanbul l’année dernière, tandis que les provinces du sud-est de la Turquie accueillaient jusqu’en septembre une partie du commandement de l’Armée syrienne libre (ASL). Si les autorités turques se sont dites prêtes à des représailles directes contre Damas en cas de nouvel incident, on peut raisonnablement douter qu’Ankara laissera éclater l’orage. Le gouvernement fait face à une opposition et une opinion publique de plus en plus critiques vis-à-vis de la présence de l’ASL et des quelques 100 000 réfugiés syriens désormais enregistrés dans les 13 camps installés en territoire turc. De plus, le conflit syrien ouvre la voie à de nombreux bouleversements : renforcement des indépendants Kurdes, armement de jihadistes etc. Bref, un ouragan régional…

 

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