L’ouverture à Marrakech du procès de Patrick Finet, hôtelier de luxe accusé de pédophilie, suscite l’émoi. L’affaire oscille entre détournement de mineurs, business et impunité. Eclairage.
Entouré d’un jardin de 2 hectares, le riad est planté à l’extrémité d’un palace qui ouvrira ses portes début novembre 2012 à de riches clients internationaux. La petite villa, entourée de bougainvilliers et encadrée par deux divans extérieurs, est agrémentée côté cour par un bassin à nénuphars où s’ébattent grenouilles et tortues, et côté jardin par une piscine où flottent quelques feuilles mortes. C’est dans ce petit paradis, où se croisent paons et poules, que le directeur de l’hôtel en construction, Patrick Finet, accueillait des mineurs pour des après-midi baignades, selon plusieurs témoins entendus par la justice.
Omerta
“Je l’ai vu bronzer nu sur le divan alors que des garçons de différents âges se baignaient nus, eux aussi, dans la piscine”, nous raconte Abderrazak, le gardien. “Il avait aussi une ânesse dans le jardin, que montaient certains jeunes qu’il invitait”, confie pour sa part Brahim le jardinier, qui avait interdiction de chasser l’animal du pré carré de Finet.
Selon les premiers éléments de l’enquête, les deux chauffeurs de l’hôtelier de luxe, Anas L. et Brahim K., allaient chercher, devant le Café de La Poste, des mineurs qu’ils embarquaient dans un 4×4 Hyundai blanc aux vitres fumées, à destination du riad de Finet. Ils revenaient souvent lestés de préservatifs et d’alcool qu’il leur avait demandé de ramener avec eux. “Finet s’enfermait ensuite dans sa villa avec les garçons”, raconte le gardien. Après, personne ne sait ce qu’il se passait. Mais ça causait tout de même à tout-va. La villa n’ayant aucun mur d’enceinte pour se protéger des regards extérieurs, très vite les baignades de Patrick Finet sont devenues un sujet de discussion entre les ouvriers du chantier.
“Tous les employés parlaient de son amour pour les hommes et soupçonnaient qu’il se passait des choses avec les mineurs présents”, confie le gardien. Les salariés de l’hôtel s’interrogeaient aussi sur la discrétion de Patrick Finet, qui demandait à sa femme de ménage de ne pas venir le week-end. “On en parlait entre nous, mais c’était tout. On avait peur pour notre boulot”, raconte le jardinier. “C’était le moudir (ndlr : directeur), un homme fort contre lequel les employés ne voulaient pas se rebeller. C’est pour ça que personne n’a jamais parlé à la police de ce qu’il se passait”, soutient un cadre de l’hôtel.
Bien sous tous rapports
L’homme impressionnait ses employés, à en croire le témoignage de plusieurs d’entre eux. Patrick Finet porte bien ses 53 ans, il s’entretient physiquement, accueillant régulièrement des coachs sportifs pour des cours de musculation. Il sort tard la nuit dans les adresses les plus prestigieuses de la ville ocre : La Mamounia, le Royal Mansour… Au point que ses chauffeurs se plaignent de travailler à pas d’heure et de faire le pied de grue à n’en plus finir aux portes de lieux de sortie de leur patron.
Son agréable train de vie s’explique aussi par son salaire : 22 000 euros par mois (230 000 dirhams), un salaire courant dans le secteur du tourisme de luxe. Son curriculum vitae est, quant à lui, éloquent. Professionnel aguerri de l’hôtellerie de luxe, Patrick Finet a bourlingué une trentaine d’années du Mexique à Paris en passant par la Thaïlande. Quand il pose ses bagages à Marrakech, il travaille depuis une dizaine d’années pour le Mandarin Oriental, une chaîne d’hôtellerie de luxe qui est le nec plus ultra dans le secteur. Finet a été envoyé au Maroc par Mandarin Oriental pour prendre en charge le palace construit par le milliardaire marocain Jaouad Kadiri. Ce dernier a en effet signé un contrat de gestion clés en main avec la célèbre enseigne.
Au beau fixe au départ, les rapports professionnels se dégradent entre Patrick Finet et Jaouad Kadiri au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Un clash a notamment lieu le jour où Finet essaye d’embrasser la femme de Kadiri. “Il l’a poussée, elle est tombée”, nous raconte une femme de ménage de l’hôtel, témoin de la scène. Pour Jaouad Kadiri, en plus de ces couacs personnels avec Finet, vient s’ajouter un autre grief : les dépenses somptuaires et les rallonges de budget exigées par Mandarin Oriental. Kadiri soupçonne l’escroquerie. Il porte plainte devant la Chambre de commerce international.
Silence, on détourne ?
C’est ainsi que l’omerta autour des après-midi piscine de Finet est brisée presque fortuitement, à la suite d’un prosaïque litige commercial. Mi-février 2011, les huissiers débarquent dans le bureau de Patrick Finet pour saisir des pièces concernant le différend entre Kadiri et le Mandarin Oriental. Finet, qui a quitté le Maroc dans la foulée de la plainte de Kadiri, a oublié son ordinateur derrière lui. Il contacte donc l’informaticien de l’hôtel pour qu’il en efface toutes les données. Il essuie un refus. Imprudent, Finet n’a installé aucun code pour verrouiller l’accès de son ordinateur. En cliquant simplement sur le bouton ON, on peut découvrir, au milieu des documents administratifs, plus de 15 000 photos et une trentaine de vidéos à caractère pornographique, ainsi que l’historique de sites pornographiques visités sous le pseudonyme de “Louis 14”. Alerté, Jaouad Kadiri contacte la police judiciaire de Marrakech. Les autorités décident d’entendre plusieurs employés du palace qui défilent devant les policiers et la justice pour raconter les baignades de Patrick Finet avec des adolescents.
Le directeur d’hôtel est bientôt poursuivi pour « prostitution » et « participation à l’exploitation d’enfants pour du matériel pornographique ». Après enquête du juge d’instruction, Jaouad Kadiri se porte partie civile pour préjudice concernant l’utilisation des ressources de son hôtel (le riad mis à la disposition de Finet, le réseau Internent et un véhicule de l’établissement) « à des fins illégales et atteinte à la réputation de son établissement ».
Il est rejoint par l’association « Touche pas à mon enfant » qui s’est également constitué partie civile, suivie par la section locale de l’AMDH, versée dans ce type de dossiers à cause des nombreux cas de pédophilie constatés à Marrakech. “Nous nous sommes joints à la plainte pour faire toute la lumière sur cette affaire, explique ainsi Omar Arbib, le président de l’AMDH Marrakech-Ménara. Nous avons cru à une certaine accalmie après les nombreuses affaires concernant des pédophiles étrangers entre 2004 et 2007. On ne veut pas que cela reprenne de plus belle”, rajoute-t-il.
Victimes absentes
Ayant quitté le Maroc en février 2011, Patrick Finet est absent à l’ouverture de son procès le 28 septembre dernier. Un sujet d’interrogations pour l’avocat de Jaouad Kadiri et “Touche pas à mon enfant”. Les plaignants se demandent comment Patrick Finet a pu quitter le Maroc alors qu’il était sous le coup de la plainte de Jaouad Kadiri, dans le cadre du litige commercial opposant ce dernier et Mandarin Oriental. Finet a ainsi récupéré son passeport quelques heures à peine après qu’il lui a été confisqué et, qui plus est, a pu quitter le royaume sans être inquiété à la frontière. Sur le banc des accusés, n’ont donc comparu que les deux chauffeurs poursuivis pour “complicité”, libres après avoir passé plusieurs mois en prison. Aujourd’hui, ils se cloîtrent chez eux et refusent tout contact avec la presse. “Ils sont les seuls à payer dans cette affaire, alors que Patrick Finet s’en sort indemne pour l’instant”, se scandalise un avocat au fait du dossier.
L’enquête piétine car on n’a rien fait pour identifier les victimes”, constate Mustapha Errachdi, le conseiller juridique de “Touche pas à mon enfant”. Il reproche à la police de n’avoir cherché les habitués des après-midi baignade de Finet que pendant une journée : lors de la reconstitution au Café de la Poste, lieu où s’opérait le rabattage par les chauffeurs de l’hôtelier. Après quelques heures d’attente, aucune identification par ces derniers, chou blanc sur toute la ligne.
Cette absence de victimes est la ligne de défense des avocats français de Patrick Finet, qui insistent sur ce point dans leur communiqué. Ils y voient un dossier mal ficelé, nourri de témoignages sujets à caution et sans véritables preuves à charge. C’est ainsi que selon les avocats de Patrick Finet, “l’examen du PC (…) par la police scientifique n’a établi l’existence d’aucun acte de pédophilie, mais des actes qui concernent des adultes consentants uniquement”, soutiennent-ils. Ils envisagent du coup de déposer une plainte pour “dénonciation calomnieuse”.
Procès par contumace
La prochaine audience aura lieu le 19 octobre et risque, presque à coup sûr, de se tenir sans Patrick Finet. L’avocat de Jaouad Kadiri, Khalid El Fatoui, bataille pour obtenir un mandat d’arrêt international de la part de la justice marocaine afin de contraindre l’hôtelier à assister à son procès. Il n’a pas encore réussi à le décrocher, bien qu’il ait déposé la demande il y a cinq mois de cela. Exigeant la vérité au plus tôt, les associations, elles aussi, tiennent à voir Finet comparaître. Najat Anwar, présidente de “Touche pas à mon enfant” nous dit avoir déposé à son tour une demande de mandat d’arrêt international auprès d’un procureur le 8 octobre 2012. Aujourd’hui, Patrick Finet vit à Milan, libre comme l’air. Toujours pour le compte de Mandarin Oriental, il chapeaute l’ouverture d’un hôtel de luxe. La turbulente Najat Anwar ne compte pas en rester là et n’écarte pas l’option d’organiser un rassemblement devant l’établissement italien pour exiger du Français qu’il se présente devant les juges marocains.
Marrakech. Destination pédophile
“Des touristes viennent à Marrakech commettre des péchés”. C’est peu ou prou les mots qu’employaient le ministre de la Justice, Mustafa Ramid, en mars 2012. Des propos qui avaient soulevé un tollé. Les faits sont pourtant têtus. En 2006, Jacques-Henri Soumère, une figure du monde culturel français, se retrouve dans le box des accusés à Marrakech. L’ex-directeur du théâtre Mogador doit répondre à de graves accusations dont l’incitation à la débauche sur mineur. En juin 2011, l’ancien ministre français Luc Ferry raconte, sur un plateau télé, comment un ancien homme du gouvernement français s’était “fait poisser à Marrakech dans une partouze avec des petits garçons”, se tirant d’affaire à grands renforts de pressions et de négociations. La sortie de Luc Ferry a braqué, y compris au Maroc, les projecteurs sur le tourisme sexuel dans la ville ocre (qui accueille chaque année entre 600 000 et 1 million de touristes). En 2011 toujours, la chaîne française M6 filme à l’aide de caméras cachées comment des nuits avec des enfants de huit ans se négocient à quelques centaines d’euros sur la place Jamaâ El Fna. Les journalistes Ali Amar et Jean-Pierre Tuquoi publient en janvier 2012 un ouvrage, Paris-Marrakech, où un vieux riche d’origine suisse leur raconte comment, au cours d’un dîner organisé par un Français, dans un restaurant couru de la ville, un adolescent nu est apporté aux convives dans un palanquin au moment du dessert. Marrakech n’est pas la seule ville touchée : en 2010, un Espagnol installé à Kénitra est condamné à 30 ans de prison pour avoir abusé de mineurs. Une peine lourde qui fait exception. En effet, les associations spécialisées dans la lutte contre la pédophilie ou le tourisme sexuel soulignent que de très nombreux étrangers jouissent d’une certaine impunité, de réseaux bien rodés et achètent, d’une manière ou d’une autre, le silence de la population et des autorités. Les mêmes associations pointent du doigt les peines requises contre les adultes jouissant de mineurs, jugées trop maigres : en 2007, un rapport sur le tourisme sexuel au Maroc de la Coalition contre les abus sexuels sur les enfants a ainsi dévoilé que les prédateurs sexuels étrangers sont punis en moyenne de 10 000 DH d’amende et de deux années de prison.
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Trois questions à Mustapha Errachdi
“Nous butons sur un mur très solide bâti sur la honte”
Rodé aux cas de pédophilie, l’avocat de “Touche pas à mon enfant” fait le point sur l’ampleur, la nature du fléau et son traitement par la justice. Quel rôle joue la société civile dans les affaires de pédophilie ? Les associations, en braquant les projecteurs sur les affaires de pédophilie et en faisant pression sur la justice, ont permis une prise de conscience de l’ampleur du fléau. Nous sommes cependant encore loin d’avoir éradiqué ce mal. Faute de moyens, il nous est impossible de savoir tout ce qu’il se passe dans l’intimité des hôtels et des riads de Marrakech. Or, pendant ce temps, les cas s’amoncellent. C’est ainsi que de 2004 à aujourd’hui, nous avons vu défiler 600 dossiers de pédophilie dont une vingtaine concernait des prédateurs sexuels étrangers. Il faut préciser qu’après le tsunami de 2004 en Thaïlande, les pédophiles se sont rabattus sur Marrakech.
Aujourd’hui, la justice traite-t-elle de manière plus sévère les cas de pédophilie ? Les télévisions étrangères ont joué un rôle important en montrant combien il était facile de s’offrir des mineurs à Marrakech. La ligne de défense des autorités qui expliquait que nous étions en face de cas isolés ne tenait plus. Si bien qu’aujourd’hui, nous ne sommes plus dans l’impunité totale ni l’immunité touristique qui prévalait dans la ville ocre. Les juges condamnent à des peines plus lourdes, comme le montre le cas de ce ressortissant espagnol qui a écopé de 30 ans de prison. Nous espérons d’ailleurs que cette peine fera jurisprudence.
Pourquoi est-il si difficile de faire témoigner les victimes de pédophilie ? Les familles des victimes préfèrent que ces dernières gardent le silence afin d’éviter la chouma. Nous butons sur un mur très solide bâti sur la honte, l’hypocrisie sociale et la misère. Cette misère est une donnée primordiale pour comprendre l’ampleur du phénomène. En effet, la très grande majorité des jeunes qui se prostituent sont issus de milieux défavorisés et vendent leur corps pour aider financièrement leurs familles. Ces dernières sont d’ailleurs le plus souvent au courant. |
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