Si nos partis n’obéissent à aucune déontologie politique, il en est de même avec l’argent…
Le constat est sur toutes les lèvres : les partis politiques, c’est fini, c’est mort, ruiné par l’argent, les ambitions personnelles, la corruption, la déliquescence morale, etc. Mais ce premier degré en cache un autre, nettement plus nuancé. Si les partis politiques sont devenus, pour beaucoup, des coquilles vides ou des fonds de commerce, il importe d’en connaître les raisons, et de quantifier autant que possible le phénomène. Le rapport des partis à l’argent est à ce titre le plus éloquent. Où comment les uns et les autres font pour tenir la route, et comment leur organisation financière (quand elle existe) est liée, d’une façon ou l’autre, à leur représentativité, à leur crédibilité, à leur avenir aussi. Au moment où, justement, l’État prépare l’avenir des partis politiques à la lumière d’un avant-projet de réforme, découvrons ensemble, d’aussi près que possible et par l’anecdote quand il le faut, la santé financière de nos partis. À la question « comment font-ils ? », nous avons choisi de répondre à travers un échantillon de dix partis (les incontournables USFP, Istiqlal et PJD, les classiques PPS et GSU, les singuliers PML et ADL, les symptomatiques RNI et UC, et le bizarre FFD), en plus du bloc de la mouvance populaire, et d’une association épouvantail qui fait de la politique : Al Adl Wal Ihsane. Lisez pour goûter toute la misère commune aux uns et aux autres, mais aussi les mille et une nuances qui expliquent bien des différences.
USFP. Parti riche en zones d’ombres
PPS. L’ouverture rapporte gros
FFD. Gérer l’après Driss
PI. Le patrimoine des sages
« Le parti de l’Istiqlal a un lourd patrimoine, mais pas suffisamment de transparence et de volonté pour le faire fructifier ». Cet avis de militant du parti en dit long sur ses paradoxes. Pour comprendre comment l’héritage s’est contitué, il faut remonter à ses débuts, au temps d’Allal El Fassi, où les bailleurs de fonds, capitalistes nationalistes, ont permis de financer des projets sociaux et fait don de plusieurs locaux. Cette richesse ne déteint pas sur le parti, puisque ces locaux sont au nom de personnes et non de l’Istiqlal. « Depuis que l’État a commencé à subventionner les partis, déplore ce dirigeant, nous avons perdu des sources de financement plus généreuses ». Et lorsque le roi défunt Hassan II a couvert les frais logistiques du congrès de 1996, s’élevant à 2 millions de dirhams, M’hammed Boucetta l’a remercié publiquement sur les colonnes d’Al Alam. Ce sont d’ailleurs les journaux, Al Alam (32.000 ventes/jour) et L’Opinion (28.000), réunis dans la société, Arrissala, nom de l’imprimerie, qui constituent la source de financement permanente du parti. À ce titre, cette institution constitue une pomme de discorde. Le directeur, Mohamed Hilali, est un proche d’Abbes El Fassi, mais il est flanqué par Abdelhaq Tazi, en tant qu’administrateur délégué, plutôt proche d’un « sage » du parti, M’hamed Douiri. L’autre sage, Boucetta, autrefois aux commandes, à travers son bras droit, Mohamed El Ouafa, a également eu sa part. L’architecture du nouveau local, flambant neuf, a été confiée à son fils, M’hammed Khalil, aujourd’hui député. Le terrain avait fait l’objet d’un don par le wali de Rabat-Salé, Omar Benchemsi, dans la zone industrielle, mais aucun compte n’a été révélé à ce sujet. Seul chiffre disponible, le crédit de 20 millions de dirhams remboursé grâce aux entrées des journaux et de l’imprimerie. À son accession à la tête du parti, Abbes El Fassi a voulu recenser les biens et notorier les titres fonciers pour les transférer à des partisans. Au bout de 2 mois, M. Guennoun, désigné pour cette mission, a dû plier bagages, à force de résistances internes. Du moment que ses dons se faisaient traditionnellement aux noms des sages actuels, El Fassi n’en avait pas tout le contrôle. Saad El Alami, élu trésorier général en 1997, non plus. Dernier sujet de bataille, le local des journaux de l’avenue Allal Benabdellah, le parti ne peut le vendre, puisque « chacun des sages voudrait en acquérir un étage », apprend-on de source interne. En attendant, sa richesse, il l’utilise pour quadriller le territoire. Il a un inspecteur-moqaddem, par préfecture (60 au total), qu’il dote d’une voiture UNO, de l’essence et d’une indemnité fluctuante de 1500 de dirhams. Et peu importe s’ils sont corrompus.
UC. Recherche députés désespérément
Au lendemain des législatives de septembre 2002, l’UC s’est retrouvé avec 18 élus et donc, pour la première fois incapable de constituer son propre groupe parlementaire, la barre étant désormais fixée à 20 élus. « Après avoir étudié toutes les possibilités, se souvient un dirigeant du parti, j’ai appelé un ami : le chef d’un parti de la mouvance populaire. Je l’ai pratiquement supplié de nous prêter deux de ses élus, avec la promesse de les lui rendre le temps que notre groupe soit validé par le Parlement ! ». Cette anecdote est vraie, les deux députés pèlerins n’ont pas atterri à l’UC, mais ailleurs. Et on ne sait pas si la transaction a échoué pour des questions d’argent ou pour une autre raison… Mais cela en dit long sur l’esprit de la maison UC. « Jusqu’en 1995 (Ndlr : date où Maâti Bouabid, le fondateur du parti, est décédé), nous explique Abdelaziz Messioui un des ténors de l’UC, le parti n’avait pas de compte, personne ne savait où et comment l’argent était dépensé ». Mais depuis cette date, et grâce au nombre remarquable de ses élus par le passé, l’UC a continué à engranger diverses subventions. Le patrimoine du parti est pourtant, aujourd’hui, bien faible : en tout, une imprimerie au matériel vétuste, pratiquement hors d’usage. L’UC demande à ses députés une cotisation mensuelle de 1000 DH, rarement versée. Il a reçu 4,5 millions de dirhams pour la dernière campagne électorale. Une cotisation annuelle de 30 DH est fixée aux aDHérents mais, fort symbolique, et loin d’être respectée. « On n’est pas riches mais on survit, soutient un dirigeant. Dans le passé, le système nous donnait, comme à d’autres, des sacs d’argent. Mais c’était pour contrecarrer les socialistes qui recevaient, eux, des valises d’argent de l’extérieur. Cette époque est révolue… ». Les ambitions de l’UC, aussi ?
RNI. La mafia des barons locaux
Le Rassemblement national des indépendants a eu deux vies. La première est celle d’un parti de l’administration inauguré en 1977 (année de sa création par Ahmed Osman, alors Premier ministre). En amont, « les caisses noires de l’ensemble des préfectures ont servi à aller dénicher les SAPn que le roi voulait voir aux législatives de 1977 », raconte l’un des fondateurs. Des commis d’État comme Zahidi, Ghezouani, Bencheikh, Laski sont nés de là. Depuis, en 1977, 1984 puis 1992, « ces mêmes caisses ont servi allègrement à financer leurs campagnes électorales », raconte un ancien haut fonctionnaire. « Osman était toujours prêt à couvrir les déficits et signer les chèques », raconte M. Aujjar. D’où lui venait l’argent ? « Du Palais – il était le beau frère de Hassan II – jusqu’au jour où le roi défunt a décidé de fermer le robinet et lui a suggéré, par compensation, de faire un projet commun avec Driss Senoussi à Marinasmir », apprend-on de source interne. Quelles traces y a-t-il de l’argent accumulé ? Aucun local, aucune structure. Les journaux, Al Maghrib et Al Mitaq, qui ne vendaient pas plus de 200 copies, ont dû être fermés avec un déficit de 57 millions de dirhams et des journalistes grévistes, qui exigeaient 2 mois de salaires par an et n’en ont eu qu’un seul. Le premier congrès tenu, après 20 ans d’existence, n’a pas convaincu Osman à établir une transparence des comptes. Depuis, a commencé la deuxième vie du parti, avec « les barons locaux (qui) ont pris le relais des walis et des gouverneurs », explique un membre influent. Comment ? Chacun s’occupe personnellement à louer un local, à payer des gens, à financer un congrès local et, au moment voulu (élections), à se présenter personnellement ou à présenter les siens pour une tazkia (accréditation). Avec une structure creuse, un fonctionnement mafieux et une tradition de parti gagnant, les candidats-cadres affluent et les places se monnaient avec le baron, parfois au prix fort. La preuve, comme le dit Aujar, que « c’est un parti pauvre peuplé de milliardaires ». Ils ne crachent pas dans la soupe pour autant. Lorsque Osman a décidé, en 2002, de distribuer les 14 millions de dirhams reçus de l’État pour les législatives sur les têtes de listes, la plupart les ont empochés sans donner leurs parts aux autres candidats. Résultat, le chèque perçu pour les communales, le chef du parti l’a gardé pour lui. Entre temps, un autre journal, Attajamoua, est né. Il ne vend pas mieux que ses prédécesseurs et lui coûte 600.000 DH par mois. C’est le cercle vicieux d’un parti vicié.
ADL. Argent des amis
Créé il y a deux ans, l’ADL se veut un parti à part, géré selon un modèle d’entreprise moderne. Le « président », Ali Belhaj, est d’ailleurs un riche entrepreneur. « Mais l’argent, précise Belhaj, c’est ce qu’on en fait ». Parti de riches, l’ADL n’est pas vraiment riche. Il n’a aucun patrimoine propre, même son siège central à Casablanca est en location. Le parti compte pour le moment sur une faible subvention annuelle, une campagne électorale qui lui a valu 2,5 millions de dirhams de l’État, et sur les dons et autres aides ponctuelles de ses militants et amis. Son assemblée constitutive, à titre d’exemple, a été financée par le « système D »,c’est-à-dire le recours aux amis et aux amis des amis. Avec un pari sur l’esprit entrepreunarial. Ce n’est pas pour rien que le prochain congrès du parti est prévu en mars 2004, soit à la fin de l’actuel exercice fiscal. Pour le reste, l’état des finances du parti sont disponibles sur un site (www.adl.ma) en cours de finalisation. Ses dirigeants expliquent la faible représentativité de l’ADL au Parlement (4 députés seulement) par leur non-recours à l’argent. « Faux, rétorquent les adversaires du parti. Si les caisses de l’ADL sont vides, les poches de ses dirigeants sont pleines. Ils ont échoué aux législatives parce qu’autres ont fait de meilleures offres qu’eux, c’est tout ».
PJD. Tous pour un : Le parti
Question : à quoi peut ressembler une séance du Conseil national, équivalent de comité central, au PJD ? Réponse : à un exercice sérieux, où les militants, au moment de s’inscrire, doivent régler tous les arriérés qu’ils doivent encore au parti. Au PJD, on ne badine pas avec la discipline. Avec l’argent, non plus. Tous les élus versent obligatoirement un minimum de 6000 DH, répartis entre 4000 DH pour le siège central et 2000 DH pour la section locale, dont relève le député. Sans parler du bonus que les élus, comme les militants, peuvent verser à n’importe quel moment, principalement pour financer les activités du parti à toutes les échelles. En plus du droit que les adhérents doivent régler, et qui peut aller jusqu’à 150 DH. Et gare aux retardataires ! Quant un dirigeant n’a pas honoré ses arriérés, il est tout simplement éloigné des centres de décision. Ces « méthodes » expliquent en bonne partie l’excellente santé du PJD, parti jeune mais très bien « assis ». Par ailleurs, le parti est adossé à une association très active, politiquement mais aussi financièrement : Attawhid Wal Islah (ou le MUR). Le MUR, base arrière du PJD, fonctionne, selon plusieurs témoignages, sur le mode classique de l’association à caractère islamique : un réceptacle de « tabarrouâte » (dons de mécènes), assimilés parfois à de la Zakat. Reste une question : le PJD, comme on l’en accuse, reçoit-il des financements extérieurs ? La réponse est non, en tous les cas, pas d’une manière directe. « Nous nous savons suivis et épiés, nos comptes sont ouverts, chacun peut vérifier. Notre richesse, nous la devons à notre sérieux, rien de plus ». Ce slogan n’est pas loin de la réalité, reste à savoir dans quelle mesure et à quel niveau le MUR, ou d’autres associations dont il n’est pas aisé de remonter l’origine de toutes les ressources, peuvent collaborer avec le parti de Khatib. Pour l’anecdote, notons que les salariés du PJD sont recrutés après avis public (via la presse du parti) et bénéficient d’une couverture sociale en bonne et due forme… Le PJD a reçu, au titre de la campagne électorale, une aide publique de 15 millions de dirhams, proportionnelle aux suffrages qu’il a recueillis. De l’intérieur, c’est un parti à la mécanique financière bien huilée. Contrôles réguliers, acquisitions de biens matériels et techniques, « aucun centime, comme nous l’a déclaré une source interne, n’est jeté par la fenêtre ». La preuve, le parti a acquis son siège actuel, à l’équipement et aux installations quasi parfaites, grâce à la manne récoltée suite aux législatives 2002. Sur un autre plan, la rigueur du contrôle et du règlement interne (les élus sont appelés à faire une déclaration détaillée sur leurs biens) donne au parti une quasi immunité (il est bien le seul) contre le symptôme le plus manifeste de la dépravation du champ politique marocain: la transhumance. Et oui, les islamistes ne s’appuient pas que sur le seul discours religieux pour gagner du terrain et séduire les foules.
MPS. La confiance a ses limites
Les MP, MNP, UD, MDS sont les produits de la même famille: la haraka, initialement fondée par Mahjoubi Aherdane et Abdelkrim Khatib, reconverti depuis en islamiste. Aherdane, qui dirige le MNP après avoir été éjecté du MP, dirige son parti comme son domaine privé. L’un de ses lieutenants, député, avoue: « Je ne connais ni celui qui signe les chèques, ni celui qui les reçoit, ni comment ni pourquoi. Au MNP, nous fonctionnons tous à la confiance accordée à monsieur Aherdane… ». Et quand cette confiance vient à manquer, on part fonder une nouvelle haraka. C’est ce qu’a fait un Bouazza Ikken, ancien procureur à Casablanca, qui s’est fâché avec son mentor pour monter un parti : l’UD. Son score électoral déjà bon pour un parti surgi de nulle part (10 sièges) est passé à 28 par le miracle de la migration, le long des couloirs du Parlement. Pratiquement tous les autres partis expliquent cette performance proprement extraordinaire par « le recours à l’argent ». Même s’il s’en défend, l’UD est pointé pratiquement par tous ses pairs comme étant « le parti de l’argent par excellence ». Comparé aux turbulences financières ou autres qui agitent l’UD, voire le MNP, le MP de Mohand Laenser passe presque pour un parti transparent. Mais aussi pour un fournisseur-repreneur de députés migrateurs. Avec ses 27 élus, il a de quoi voir venir. Quant au MDS de Mahmoud Archane, le parti de l’ancien commissaire n’attire plus personne. Faute de programme, ou d’argent ? Un vieil ami du policier tranche la question, avec une pointe d’humour: « Dès le début, j’ai dit à Mahmoud (Archane), que l’on peut fabriquer un parti après avoir été militaire, ou procureur du Roi, mais pas après avoir été flic… ».
PML. Une boutique en déconfiture
Au delà des accusations croisées entre le chef du parti, Mohamed Ziane, et le trésorier général adjoint en fuite, comment un parti aussi jeune, né en 2002, a-t-il fait pour enregistrer si rapidement un trou financier de 1,42 million de dirhams ? Serait-ce grâce aux cotisations, obligatoires, allant de 10 à 1000 DH ? Même si Ziane le prétend, le secrétariat du parti précise que juste 12.000 cartes d’aDHésion ont été distribués. Serait-ce dû aux dons, que les mauvaises langues disent provenir de la drogue ? « Le Rif ne nous a jamais rien donné. À Nador, où nous avons tenu notre congrès constitutif, nous avons à peine récolté 20.000 DH et puis, pourquoi cette suspicion, pourquoi pas un congrès à Kétama ? », vocifère Ziane, dont la légitimité est contestée par la commission ad hoc préparant le congrès extraordinaire. Seule certitude, les 1,5 million de DH et les 708.000 DH reçus de l’État, pour les législatives puis les communales. Cette situation délétère aboutit à la suspension des cotisations des parlementaires. Et la vie du parti, avec !
Al Adl Wal Ihsane. Comment vivre sans la perfusion des finances publiques.
Tous les militants d’Al Adl Wal Ihsane la se de Cheikh Yassine: « Il faut de l’argent pour mener à bien notre action ». La Jamaâ reçoit classiquement son financement par trois sources différentes : les dons des mécènes, la Zakat (10 % des biens de la personne) stipulé par l’islam et un prélèvement de 2,5 % sur le salaire des militants actifs. Al Adl s’appuie en outre sur une excellente organisation à l’étranger qui en fait, et de loin, la première force « politique »marocaine… en Europe. C’est d’abord dans le vieux continent (Espagne et France, notamment) que le « parti » de Yassine recrute à tour de bras auprès des MRE.« Mettez-vous à la place d’un MRE, souligne le chercheur Mohamed Darif. Ce qui le rattache à son pays, c’est souvent l’Islam. Quand il veut faire un geste, un don, il ne sait vers où se tourner… ». De là à aller vers les représentations externes de la Jamaâ, il n’y a qu’un pas. Al Adl entretient également, comme l’ensemble des mouvements d’inspiration religieuse, de bons rapports avec le Golfe arabe. Jusqu’où peuvent aller ces bons rapports? Si l’on en croit certaines sources, qui restent à confirmer, « la Jamaâ peut recevoir des aides détournées via l’édition de livres religieux par exemple, d’abord bradés à bas prix avant d’être revendus sur place, la différence étant récupérée par les caisses de l’association ». À l’intérieur du territoire marocain, Al Adl se prévaut d’une large couverture populaire ratissant l’ensemble des provinces. Cette présence lui permet de décliner une autre source de revenus : le retour sur investissement. « La Jamaâ, nous explique ce chercheur, joue sur un double terrain social et économique. Elle prend en charge les démunis, sensibilise et aide à la création de petits projets de développement. Ce n’est pas du racket, mais il est normal qu’une ristourne sur les petits commerces, aussi modeste soit-elle, finissse dans les escarcelles de la Jamaâ ». Les campings d’été, fermés à partir de 2000, entraient déjà dans le cadre de ces actions à caractère social mais dont le bénéfice économique, par ristourne, est immédiat. Vous avez dit Justice et bienfaisance ?
L’état libéral, dirigiste, puis laxiste.
La loi des libertés publiques de 1958 interdisait le financement des partis. La lettre royale de 1986 l’a rendu licite. Le projet de loi sur les partis, devant atterrir au Parlement en avril 2004, compte les inciter à mieux se structurer ? Mais est-ce vraiment le but du Makhzen ?
Depuis que Driss Jettou l’a prévu dans son agenda politique, tout le monde ne cesse d’en parler. En effet, le projet de loi sur les partis, celui-là même dont une première mouture provenait du ministère des Droits de l’homme en juin 2002 et une seconde, plus polémique, du ministère de l’Intérieur en août 2002, est sur le point d’être relancé. À l’époque, les conditions drastiques de constitution de partis, prévoyant 1000 signataires, dont 250 conseillers communaux, paraissaient comme le meilleur moyen de verrouiller l’accès au panthéon de la vie partisane. Aujourd’hui, que l’on annonce le dépôt du projet au Parlement pour la session du printemps, M. Aujjar estime que « la liberté d’association doit être préservée ». Est-il en phase avec les sécuritaires ? Rien n’est moins sûr (l’une des idées avancées pour tuer les refuzniks est la suspension d’un parti qui ne se présente pas aux élections deux fois de suite). Par contre, il y a visiblement consensus au gouvernement sur « la nécessité d’imposer une transparence financière et des congrès réguliers tous les deux ans ». Encore faut-il que les partis soient dotés des moyens nécessaires pour lever des fonds, au lieu de devoir recourir à des formes de corruption à peine voilées. Or, telle que prévue, la loi maintient l’interdiction de créer des entreprises ou de se faire financer, à la régulière, par des fonds privés. Pour avoir des ressources, des partis qui veulent exister en tant que tels, comme l’USFP, le PI ou le PJD, sont obligés de mettre leurs biens au nom de personnes, au risque de devoir affronter, comme ce fut le cas, à la mort d’Ali Yata (PPS),
l’avidité des héritiers. « Nous préférons défendre que l’aide de l’État devienne un droit et non une prime, plutôt que de favoriser le financement privé, pour que l’intérêt public soit préservé », estime Saad El Alami, le ministre des Relations avec le Parlement.
Le cheminement sinueux de la politique de Hassan II
Le ministre istiqlalien veut donner du sens à la logique poursuivie par feu Hassan II et consacrer, par la loi, la normalisation des relations État-partis. Quel a été le chemin parcouru ? La loi sur les libertés publiques de 1958, mise en place contre le parti unique était résolument libérale et interdisait le financement des partis. Après 1963, Hassan II, voulant diviser pour régner et briser l’élan de l’UNFP, a dû contourner la loi pour créer de toutes pièces le FDIC de Réda Guédira. La manne secrète du Palais et du ministère de l’Intérieur a continué à fonctionner pour créer d’autres partis fantoches, ni socialistes, ni conservateurs, mais dotés de « cadres ayant une mentalité populaire », destinés à jouer les trouble-fête (RNI en 1977, UC en 1983 …). En 1986, le roi, réalisant que la gauche commençait à s’émousser, a envoyé une lettre à D. Basri l’enjoignant de généraliser l’aide publique aux partis politiques, syndicats et journaux de partis (voir chiffres ci-dessous). Autant pour les journaux et les syndicats, cela servait à museler une force d’expression et de mobilisation populaire, autant pour les partis, cela permettait de les niveler, pour mieux les maîtriser. Basri, lui, n’a accordé cette aide qu’aux partis participant aux élections. Me Abderrahman Benameur (PADS) s’est alors offusqué de voir une loi libérale amendée par une lettre dirigiste et a porté plainte, puisque la lettre ne précisait pas qu’il fallait prendre part aux élections pour avoir droit à la somme octroyée. Celle-ci a été officialisée par une loi datant de 1992, en vertu de quoi 120 millions de dirhams sont inscrits dans la ligne budgétaire du Palais royal et non soumis à discussion au Parlement. Entre temps, le roi continuait de prodiguer des dons officieux. De plus en plus envers les partis créés de toutes pièces, comme le PND, le RNI, l’UC… Aujourd’hui, leurs dirigeants en parlent avec une fierté teintée de nostalgie. Hassan II commençait à oser faire de même avec des partis, plus enracinés sur le plan populaire, comme le PI, l’USFP, les aidant discrètement à couvrir les frais de leurs congrès. Mais l’aide qui a le plus pourri la classe politique est celle donnée publiquement pour les campagnes électorales. Avec 30% forfaitaire et 20% sur le nombre de candidats, en amont, plusieurs partis en ont abusé. « Un parti avait réuni 15.000 candidats, juste pour que chacun empoche 5000 DH et lui en laisse 10.000 », raconte Abdelaziz Messioui (UC). Aujourd’hui, ce modèle n’est plus adopté. Les subventions s’octroient dorénavant sur la base des voix (50%) et des sièges (50%) obtenus après coup. Mieux, à l’occasion des dernières élections, il s’est avéré que l’État pouvait, sans même y toucher, orienter les résultats des scrutins, la corruption banalisée s’en occupant à merveille. Mais cela devient inquiétant, quand on réalise que les notables prennent le relais du Makhzen, commencent à choisir, grâce à l’argent sale, le parti qui leur sied le mieux et que cela fait l’affaire de l’administration, puisque cet état de fait consacre ainsi le désengagement de l’État. « L’enjeu aujourd’hui est de réhabiliter les partis comme structures viables et crédibles », estime Mohamed Benyahya (USFP). Successivement ligotés, piégés, banalisés, avant d’être livrés aux pratiques mafieuses, les partis auront-ils demain, via la réforme en préparation, une quelconque issue pour se réhabiliter ?
Journaux partisans.
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