Ils sont Marocains et soupçonnés dans les attentats de Madrid. On les retrouve aussi à Hambourg, à Milan, à Londres… Qui sont-ils ? Comment travaillent-ils ? Enquête
On connaissait le Maroc pour ses cités impériales, ses athlètes de haut niveau, son cannabis. Depuis le 11 mars dernier, on le connaît aussi pour ses terroristes. Dans les 24 heures qui ont suivi les sanglants attentats du 11 mars 2004 contre des trains de Madrid (200 morts, plus de 1000 blessés), le monde a appris que presque tous les exécutants étaient Marocains. Les médias internationaux ont même parlé de « filière marocaine ». Mais que s’est-il donc passé pour que notre brave royaume s’illustre soudain de manière aussi funeste ?
La « filière marocaine »
D’abord, les faits (enfin ce qu’on en sait… la source exclusive restant les services secrets, on ne peut jurer de rien). Les 3 premiers Marocains arrêtés, Mohamed Chaoui 31 ans, Mohammed Bekkali 34 ans, et Jamal Zougam, 30 ans, ont été identifiés grâce à la puce du téléphone portable retrouvé dans un sac d’explosifs qui n’avait pas explosé. Tous trois sont natifs du Nord du Maroc, et installés légalement en Espagne. Le dernier est le plus suspect des trois : il aurait été formellement identifié – ainsi que 5 autres Marocains – par des passagers des « trains de la mort » du 11 mars. Ce Zougam n’est pas un inconnu. Le juge espagnol Baltasar Garzon l’avait cité (mais sans l’inculper) comme étant en relation avec le Syrien Abou Dahdah, chef d’une cellule espagnole d’Al Qaïda ayant travaillé à la préparation du 11 septembre 2001 (on avait même retrouvé une cassette vidéo où un de ses affidés effectuait un repérage à New York en short, tout sourire). C’est en fréquentant cette cellule d’Abou Dahdah que Zougam aurait connu un autre Marocain (arrêté sur ordre de Garzon, depuis), Abdelaziz Benyaïch. Le même Benyaïch dont nos autorités demandaient l’extradition à l’Espagne, en vain, depuis plusieurs mois. Dès que le lien a été fait entre Benyaïch et Zougam, le nouvel ennemi public n°1 des Espagnols, nos rancuniers sécuritaires y sont allés d’un « on vous l’avait dit » bien sonné. Mieux : « une source proche du gouvernement marocain ayant requis l’anonymat » a opportunément déclaré à l’AFP que « Rabat avait alerté Madrid en juin 2003 du retour en Espagne, après une visite au Maroc, de Jamal Zougam, un élément signalé comme particulièrement dangereux, mettant en garde sur son appartenance au réseau Al Qaïda « .
Briefés par leurs services secrets qui ont, c’est une première, déclassifié leurs informations, la plupart des journaux espagnols estimaient, jeudi dernier, que le commanditaire (et le financier ?) des attentats de Madrid était Abou Moussâb al-Zarqaoui, 37 ans, chef du groupe Ansar al Islam, dont la tête est mise à prix 10 millions de dollars par Washington (il est le suspect n°1 dans les attentats d’août 2003 à Najaf et à Bagdad contre le siège de l’ONU). Al-Zarqaoui est Jordanien, alors qu’Abou Dahdah, de son vrai nom Imad Eddine Barakat Yarkas, est Syrien. Et ce sont eux les penseurs. Autrement dit : les Marocains, même fort bien représentés, ne seraient que des exécutants. Le spécialiste des mouvements islamistes Mohamed Darif donne même un nom à cette fameuse « filière marocaine » comprenant Zougam et ses complices en cours d’interrogatoire (ou recherchés) par les Espagnols : Al jamaâ l’maghribia l’mouqatila (le Groupe marocain combattant), également appelé groupe des « Marocains afghans » – puisque ses membres auraient tous été entraînés en Afghanistan -, où ils ont été plus ou moins en contact avec Ben Laden. Chef de ce groupe ? Le Marocain « afghan » Mohamed Guerbouzi, alias Abou Aïssa. Le Maroc, qui l’a condamné à 20 ans de prison par contumace en décembre dernier, se heurte toujours à un refus d’extradition de la Grande-Bretagne, pays où Guerbouzi est réfugié actuellement. Depuis sa création en 1998, continue Darif avec une troublante assurance, la mission du groupe de Guerbouzi a été de fournir une aide logistique aux cadres étrangers d’Al Qaïda de passage au Maroc : faux papiers, logements, épouses marocaines… Ce sont eux, par exemple, qui avaient installé et marié les trois Saoudiens de la célèbre « cellule dormante » qui projetaient de couler un navire américain dans le détroit de Gibraltar, en 2002.
Un tel degré d’interpénétration entre groupes rend tout cela quasi-inextricable. Pourquoi ? Parce que, avance le chercheur et islamologue Mohamed Tozy, « ces nébuleuses terroristes sont des organismes invertébrés, sans structure. Les contacts entre activistes ne sont ni continus, ni réguliers. On arrive, on adhère et on s’en va… puis on se réimplante très facilement ailleurs. Quand on est suffisamment pénétré par la propagande extrémiste, et qu’on a bénéficié d’un entraînement en Afghanistan ou au Pakistan, il suffit d’être sur place quand une opération se monte pour en être ». Et d’ajouter : « Cette façon de s’organiser n’est pas encore conceptualisée. Du coup, la manière de lutter contre le terrorisme non plus ». Le grand avantage des nébuleuses terroristes, c’est qu’elles n’ont pas de frontières. Alors que les services secrets censés les traquer en ont. Malgré toute la bonne volonté de coopération internationale, c’est un processus lourd, que de partager de l’information entre justice et sécurité de plusieurs pays. Ne serait-ce que parce qu’il s’agit, dans chaque affaire instruite, de milliers de pages à assimiler, à résumer, à synthétiser… puis à recouper. Un travail de titan dont tout le monde, même les Européens, n’a pas forcément les moyens. Ni le temps : une opération terroriste peut être exécutée beaucoup plus vite que ne seront réalisés les recoupements nécessaires pour l’empêcher.
Marocains du monde…
Mais il n’y a pas qu’en Espagne où les terroristes marocains se sont illustrés. La veille du 11 septembre 2001, le dernier grand résistant afghan contre les talibans, Ahmad Shah Massoud, était assassiné par deux faux journalistes… marocains. Ceux-là venaient de Belgique. Depuis le 11 septembre, on les retrouve un peu partout en Europe. Arrêté à Milan, en Italie, notre compatriote Yassine Chekkouri avait été condamné le 2 février dernier à 4 ans de prison pour appartenance à un groupe lié à Al Qaïda, détention d’explosifs et fabrication de faux documents. Il a été extradé vers le Maroc, une semaine avant les attentats de Madrid. Il est aussi notable que la seule personne au monde condamnée pour préparation du 11 septembre soit un Marocain : Mounir el Motassadeq, en prison en Allemagne pour 15 ans – son procès est en cours de révision. Un autre Marocain, Abdelghani Mzoudi, avait été jugé pour le même motif qu’el Motassadeq : appartenance à la « cellule de Hambourg », qui aurait planifié le 11 septembre sous le commandement de l’Égyptien Mohamed Atta. Mais lui, Mzoudi, a finalement été acquitté par la justice allemande, faute de preuves. Mohamed Guerbouzi, on l’a vu, n’a même pas été inquiété par la justice de la Grande-Bretagne, où il réside librement. Il se préparerait même, à l’heure où nous mettons sous presse, à tenir une conférence de presse (!) pour clamer son innocence dans les attentats de Madrid. Beaucoup d’autres Marocains, moins connus, mais tout aussi suspects d’appartenance à des groupes terroristes, évoluent en Europe, libres, recherchés ou incarcérés. Comment l’expliquer ?
Tout simplement par les statistiques, répond Tozy. 2 à 4 millions de Marocains vivent à l’étranger, dont la très grande majorité en Europe. En Espagne en particulier, c’est de loin la communauté musulmane la plus importante, la plus soluble, la mieux intégrée. Pas étonnant que les Abou Dahdah et autres al-Zarqaoui recrutent parmi elle. Idem pour l’Italie, dont la plus forte communauté musulmane est formée de Marocains. Les attentats d’Istanbul ont été menés par des Turcs. Ceux de Ryad, par des Saoudiens et des Yéménites. Autrement dit : les exécutants d’attentats terroristes sont toujours des habitants du pays visé, ou des proches voisins pourvoyeurs d’une importante diaspora. Dans cette logique, si, à Dieu ne plaise, des attentats devaient secouer l’Allemagne, il est plus que probable que des Turcs en seront les auteurs. Si cela arrivait en Grande-Bretagne (Tony Blair a déclaré que c’était « inévitable »), il y a de sérieuses chances pour que les criminels soient originaires du sous-continent indien, d’où vient une grande patrie de la communauté musulmane immigrée.
Ahmed Réda Benchemsi
Casa-Madrid : Du 11 mars au 16 mai Un « lien » entre les attentats du 16 mai et ceux du 11 mars a été avancé un peu partout dans la presse, mais rien ne l’atteste clairement. Thèse officielle des Marocains : Abdelaziz Benyaïch, camarade de « cellule terroriste » de Jamal Zougam, le principal suspect des Espagnols, est le chaînon manquant entre Casablanca et Madrid. Autrement dit, les attentats du 16 mai étaient commandités par Al Qaïda, dont Benyaïch est membre (c’est le juge Garzon qui le dit). Ahmed Réda Benchemsi |
Marocains et terroristes internationaux : Les plus célèbres. Jamal Zougam Abdelaziz Benyaïch Mounir el Motassadeq Yassine Chekkouri Saïd Cheddadi Mohamed Guerbouzi Abdelghani Mzoudi |
Où en est l’enquête ?
Les enquêtes menées depuis Madrid mènent au Maroc, mais aussi à des pistes en Irak, avec le concours des services de sécurité marocains, égyptiens et saoudiens.
Les autorités espagnoles ont établi deux listes de suspects. La première, la plus sérieuse, est le fruit de la brigade anti-terroriste. Elle conclut, d’après des données objectives (nombre de trains endommagés, de valises, etc.) à l’implication, au moins, de vingt personnes qui auraient participé directement aux attentats. La deuxième liste correspond aux interpellations en cours. Vingt personnes ont déjà été interpellées, dont la majorité sont d’origine marocaine. Les aveux arrachés aux personnes interpellées conduisent à des ramifications (contacts, intermédiaires…) dont la plupart conduisent au Maroc, principalement à Tanger. Voilà pourquoi les services de sécurité espagnols ont dépêché, en début de semaine, une délégation d’enquêteurs qui a élu domicile à Tanger, avec des allers et retours express à Casablanca. Dans le même temps, le Maroc a expédié une délégation formée de représentants des services de renseignements de la DST et de la DGED, mais aussi de la DGSN. La partie marocaine aurait été conduite, d’après des sources espagnoles, par Ahmed Harari, le nouveau patron de la DST. Ces derniers, dont la plupart sont hispanophones, ont ouvert leurs fichiers aux services espagnols. Ces fichiers avaient conduit, il y a plusieurs mois déjà, à l’arrestation de plusieurs individus, dont Abdelaziz Benyaïch, en relation avec des individus condamnés au Maroc. Le Maroc qui avait déjà émis deux demandes d’extradition aux autorités espagnoles. La première, au sujet d’un certain Temsamani, effectivement extradé vers le royaume en début 2004. La deuxième, au sujet de Benyaïch, n’a jamais connu de suite. Le Maroc avait aussi émis une demande d’extradition aux autorités britanniques, au sujet de Mohamed Guerbouzi, autre personne impliquée dans les attentats de Casablanca et que les autorités espagnoles soupçonnent, pour le moment, d’être parmi les commanditaires des attentats du 11 mars. Guerbouzi n’a pas été extradé, parce que la Grande-Bretagne n’est pas liée au Maroc par des accords d’extradition (il y a 22 ans pourtant, les Anglais avaient bien livré un militaire putschiste, Amokrane, aux autorités marocaines). Guerbouzi n’a même pas été arrêté. Il est aujourd’hui un citoyen libre et vit à Londres…
Bien que l’implication des Marocains soit déjà établie, les services espagnols n’ont pas totalement écarté toutes les pistes collatérales, notamment celles menant vers des pays du Proche-Orient. Les Espagnols ont ainsi fait appel à la collaboration étroite des services égyptiens et saoudiens. À la différence des Marocains, Égyptiens et Saoudiens se sont contentés de collaborer, comme nous l’explique une source espagnole, « par courrier », sans dépêcher de délégation à Madrid. Parmi les résultats les plus probants, auxquels toutes ces investigations parallèles ont mené, il existe une piste, déjà reprise par certains journaux espagnols : celle d’une liaison plus probable entre les exécutants marocains et un certain « colonel », infiltré dans la résistance irakienne. Ce mystérieux personnage, qui pourrait être Abou Moussâb al-Zarqaoui, a effectué, selon des sources fiables, un séjour-éclair au Maroc, il y a trois semaines. Pisté par les services de renseignement israéliens et italiens, il a finalement atterri en Espagne. Les services italiens ont envoyé une note en ce sens aux autorités de Madrid. Une note que les Espagnols ont rangé dans les affaires « à suivre », loin de se douter que cet obscur personnage était de passage à Madrid pour l’exécution d’une série d’attentats meurtriers dirigés contre les civils espagnols…
Karim Boukhari
Pour rassurer l’Espagne… : « c’est Al-Qaïda qui a frappé, pas le maroc » Avant les attentats de Madrid, les relations entre les ministères de l’Intérieur marocain et espagnol étaient pratiquement au niveau zéro. « Les deux ministres ne se parlaient plus depuis le déclenchement de la crise entre les deux pays, nous révèle une source espagnole. Les services de sécurité continuaient de collaborer, mais avec très peu de fluidité et, surtout, peu de confiance mutuelle ». Les choses ont évolué depuis, et plutôt dans le bon sens. Deux jours après les attentats de Madrid, le ministre de l’Intérieur espagnol a annoncé l’arrestation de trois Marocains. Avec le recul, cette déclaration est aujourd’hui perçue comme une fausse note, la seule qui a obscurci le ciel maroco-espagnol. Elle a donné lieu à un vent de panique chez la communauté marocaine en Espagne et à de nombreuses scènes de rue. C’est là que les gouvernements des deux pays ont décidé de réagir en prenant une décision hautement politique : celle d’échanger, mutuellement, des délégations de sécuritaires. Le reste a suivi. Malgré la chute du gouvernement Aznar (et l’arrivée au pouvoir d’un Zapatero qui fait déjà de la normalisation avec le Maroc l’une de ses priorités), Ana Palacio a fait le déplacement jusqu’à Rabat pour assister à une cérémonie œcuménique en hommage aux victimes du 11 mars. Ce n’est pas rien. « Curieusement, note un journaliste espagnol, les attentats de Madrid ont réchauffé les relations entre l’Espagne et le Maroc. La nationalité des suspects a été rapidement reléguée au second plan aux yeux de l’opinion espagnole. Pour l’homme de la rue, ce n’est pas le Maroc qui a frappé, mais l’intégrisme et Al Qaïda ». Karim Boukhari |
L’Europe a peur.
Depuis le 11 mars, les quinze craignent un effet de dominos.
« C’est un 11 septembre européen ». Les dirigeants des quinze, réunis le vendredi 19 mars à Bruxelles, l’ont quasiment tous baptisé ainsi. Manière de prévenir, comme l’a clairement affirmé le président Jacques Chirac, que « personne n’est à l’abri ». Et ce n’est pas nouveau. Les attaques contre les Européens ont d’abord été perpétrées hors du vieux continent. Les 11 Français assassinés à Karachi le 8 mai 2002, puis les 4 Ibériques à Casa de Espana, le 16 mai 2003, ont été des alertes à distance. Depuis octobre 2003, une liste des « croisés européens », impliqués avec les États-Unis dans la colonisation de l’Irak, a été mise à l’index dans une cassette audio estampillée Al Qaïda. Parmi les cibles figuraient « l’Italie, la Grande-Bretagne, l’Espagne et la Pologne ». L’attentat à Istanbul intervenu le 20 novembre 2003 a rendu la menace imminente. Après l’attentat de Madrid, un effet de dominos n’est pas exclu. À l’Élysée, la piste du groupe de poseurs de bombes AZF, qui menace également de s’attaquer au réseau ferroviaire, ainsi que la lettre anonyme parvenue à Jean-Pierre Raffarin, le prévenant que la loi anti-voile replace son pays dans la ligne de mire, a créé un branle-bas de combat. L’effectif vigipirate a été doublé. Même à Londres, que plusieurs observateurs considèrent classiquement hors d’atteinte, vu son statut de terre d’accueil des islamistes radicaux, Tony Blair a dit qu’une « attaque était inévitable ». Là aussi, à l’instar de Madrid et comme le prouve un sondage effectué cette semaine par l’institut YouGov, 20% des électeurs se disent prêts à désavouer le locataire du 10 Downing street en cas de frappe terroriste. Quant au Portugal, qui s’apprête à accueillir un grand festival de rock en mai et le championnat d’Europe de football en juin, il a déclaré ne plus être concerné par les frontières Schengen. En prenant peur, les Européens ne savent plus quelle voie emprunter. Mais, comme le révèle une étude du Pew Research Center, « ils souhaitent majoritairement gagner en indépendance vis-à-vis des Américains ». Mais suffit-il de se démarquer de Washington pour ne plus être menacé ? Un expert, interrogé par Le nouvel observateur, estime que peu importe les politiques suivies, les Européens font dorénavant partie du monde mécréant, ce qui en fait « le ventre mou du terrorisme ».
Driss Ksikes
Bush en difficulté.
Sa guerre contre l’axe du mal s’enlise en Irak. Son axe du bien se fissure. Et Kerry compte les points.
Pour Bush, il y a eu deux actes à Madrid. Le premier concernait un allié, José Maria Aznar, qui l’a suivi de bout en bout dans sa guerre de croisés, jusqu’en Irak, à ses risques et périls, et qui l’a payé cher. Et le second concernait son successeur, Jose Luis Rodriguez Zapatero, qui ne joue plus le jeu, s’apprête à retirer les 1300 soldats stationnés en Irak d’ici juin et cherche à impliquer l’ONU dans le contrôle des troupes. Le Premier ministre socialiste déstabilise ainsi toute la coalition créée par Big Brother Bush dans sa sacro-sainte guerre. Aussi, plusieurs messages sont adressés à Madrid pour l’apaiser. De Londres, qui voudrait la convaincre de ne pas rompre le pacte et du gouvernement danois qui refuse de se retirer à son tour « car ce serait une victoire pour les terroristes et un signal lourd de conséquences selon lequel le terrorisme paie », estime le Premier ministre, A.F Rasmussen. Mais Zapatero reste « ferme » et son attitude permet à Kofi Annan de rentrer en scène pour s’en prendre à Aznar qui a soutenu la guerre en Irak, et par là même, narguer Bush. Ce dernier n’est pas au bout de ses peines. Avec un total de 660 victimes d’opérations kamikazes menées en Irak, depuis le début de la guerre, il prête le flanc à des critiques fondées de la part du candidat démocrate, J.F Kerry qui, « face aux pertes de vies et de dollars sans fin », propose « que l’on s’en remette à la communauté internationale et qu’on partage le fardeau avec les autres nations ». Il rejoint en cela l’éditorialiste du Los Angeles Times, selon lequel le vote-sanction espagnol montre que « la plupart ne conçoivent pas la campagne irakienne comme faisant partie de la guerre contre le terrorisme ». Seul baume au cœur, la Maison blanche a reçu, via le quotidien Al Qods al Arabi, un message prétendument signé par le groupe Abou Hafs al Masri, faisant savoir à Bush « que l’on sait qu’une opération d’envergure pourrait détruire ton administration. Mais nous avons besoin de ta stupidité et de ton chauvinisme pour que notre nation se réveille ». Autrement dit, c’est loin d’être fini. Même si, au moment où nous passons sous presse, l’étau semble se resserrer sur probablement le deuxième homme d’Al Qaïda, Aïman Al-Zawahiri, au Pakistan, Bush n’est pas tiré d’affaire.
Driss Ksikes
Terrorisme : L’échec d’une « guerre »
Les attentats de Madrid démontrent que les seuls moyens militaires et sécuritaires sont insuffisants à endiguer le terrorisme. Pourtant, Bush et Blair semblent décidés à maintenir le cap.
« Il y a une arme plus terrible que la calomnie, c’est la vérité », disait Talleyrand. José Maria Aznar vient d’en faire l’âpre découverte. Car, après le terrible drame madrilène, c’est bien par le soupçon d’une manipulation dans la gestion de l’enquête sur les attentats et les accusations de mensonge, que s’est opéré le divorce avec l’opinion espagnole. Et ce, alors même que le parcours et l’action politique d’Aznar étaient fondés sur le respect de la parole donnée. Il reste que l’erreur de jugement sur l’origine des attentats s’est transformée en faute politique fatale. Une faute politique qui donne à réfléchir sur la stratégie anti-terroriste mise en place au lendemain du 11 septembre aux États-Unis, mais aussi en Europe et partout dans le monde (n’oublions pas qu’après les attentats de Casablanca, c’est Istanbul qui était frappée les 15 et 20 novembre dernier et qu’auparavant il y avait eu Ryad et Bali).
Aujourd’hui, comme hier – à la nuance près, qu’il tient aujourd’hui les rênes du pouvoir exécutif – le tout nouvel élu à la Primature espagnole, José Luis Rodriguez Zapatero ne cesse de rappeler que « combattre le terrorisme avec des bombes et des missiles Tomahawk n’est pas la bonne méthode pour gagner, mais pour provoquer plus d’extrémisme ». Pour lui, « le terrorisme se combat avec l’état de droit, le droit international et les services de renseignements ».
D’évidence, la lutte antiterroriste est une nécessité immédiate. Mais – et c’est cela qui fait la différence, du moins dans les discours, entre l’Europe et les États-Unis après le 11 septembre – le terrorisme ne se combat pas seulement militairement. Pour les démocraties, et notamment pour la première d’entre elles, les États-Unis, le 11 mars 2004 apporte la tragique confirmation de la gravité de la menace terroriste et de l’échec de la stratégie américaine, uniquement ciblée sur l’Irak. Avec pour résultat d’en faire le nouveau cœur de la galaxie d’Al Qaïda. Dans le même temps, les États-Unis ont illustré les risques que le terrorisme fait peser sur les sociétés démocratiques, en désarmant le jeu des contrôles et des contre-pouvoirs, en justifiant la généralisation de mesures d’exception et en légitimant la dangereuse notion de guerre préventive (TelQuel n°93).
Or, si la tragédie espagnole semble devoir accoucher d’une remise en cause politique interne et peut-être européenne, il semble en revanche qu’elle n’aura guère déstabilisé les certitudes de l’Américain Bush et du Britannique Blair, décidés à maintenir leur stratégie ultra-sécuritaire. Le premier exhortait, cinq jours après Madrid, « le monde libre à rester ferme, résolu et déterminé ». Le lendemain, c’était au tour du second d’affirmer devant les députés de la chambre des Communes, qu’ »il n’y a aucun moyen d’apaiser les terroristes, c’est pourquoi, nous devons les vaincre ». Sauf que trois ans se sont écoulés depuis le 11 septembre et qu’ils devront aujourd’hui chercher à convaincre leurs opinions publiques. Qui, le moins que l’on puisse dire, semblent lassées de tous ces mensonges et du climat de peur qui s’instaure peu à peu. C’est du moins ce que nous apprend – presqu’un an jour pour jour après l’intervention anglo-américaine en Irak – le rapport annuel du Pew Research Center, chargé de mesurer le sentiment anti-américain dans le monde. Ses résultats laissent apparaître un très large discrédit de nos deux indéfectibles acolytes, dus en grande partie aux nombreux doutes quant aux motivations réelles de la politique américaine. Ainsi, une majorité d’Allemands, de Français et de Turcs – mais aussi la moitié des Britanniques et des Russes – estiment que le conflit en Irak a miné la guerre contre le terrorisme. Tandis qu’une majorité de Jordaniens, de Marocains et de Pakistanais estiment qu’elle vise, en fait, à contrôler les réserves pétrolières du Moyen-Orient et à dominer le monde.
Depuis le 11 mars, la déclaration de guerre à l’Union européenne suscite d’inévitables effets de manche sur les arsenaux de mesures qu’il faudrait en catastrophe mobiliser pour mieux se défendre. Les uns plaident pour un super-commissaire européen dédié à la lutte contre le terrorisme, d’autres pour la constitution d’une « CIA européenne ». Manière de montrer que ce fut le cas au lendemain du 11 septembre, que la coordination et l’intelligence sont défaillants, d’autant que leur adversaire, le terrorisme, est une menace mortelle pour la démocratie, précisément parce qu’il ne prend pas la forme d’un conflit entre États, mais se cache et se diffuse au sein même des sociétés démocratiques. C’est la raison pour laquelle il ne peut être combattu qu’avec les armes de la liberté. Mais cela suppose un double pari : sur la vérité et sur la raison.
Laetitia Grotti
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