Enquête. Les fantasmes chez les Marocains

Par

Amour à plusieurs, sur Internet, avec une femme voilée, un homme enturbanné, dans un endroit à risque, avec une star ou un(e) inconnu(e) en uniforme, etc. TelQuel décrypte la nature et la signification des fantasmes propres aux Marocains. 

Allez, avouez, vous en avez forcément un, voire plusieurs. Et ne culpabilisez surtout pas. Les fantasmes concernent tout le monde, femmes et hommes, citadins et campagnards, supermen ou simples mortels. Mais avant d’aller plus loin, qu’est-ce qu’un fantasme ? Aboubakr Harakat, sexologue à Casablanca, nous livre sa définition : “C’est un flash, qui peut se prolonger et durer quelques minutes, un rêve éveillé qui captive notre attention et nos émotions. Les fantasmes n’ont pas de limites, ils sont le moteur du désir sexuel. Cela va de la lubie aux situations les plus irréalistes”. 
Un fantasme, donc, est une production imaginaire, proche de la rêverie, une expression psychique des désirs érotiques inconscients ou refoulés, tirés de l’expérience personnelle. En bref, une sorte de film dont vous êtes à la fois le héros, le scénariste et le réalisateur. Mais alors, c’est grave docteur ? D’où nous viennent nos fantasmes ? Faut-il en parler ? Que faire quand ils deviennent obsédants ? Le passage à l’acte est-il dangereux ? 

Les classiques, mesdames et messieurs
Qui ne s’est jamais imaginé faisant l’amour à une star ou à un(e) inconnu(e) dans son bureau, dans une cabine d’essayage ? Il y a le Rocco Siffredi du derb, celui qui les veut toutes pour lui, la Cendrillon de 50 berges qui attend le prince charmant, le mégalo qui veut devenir calife pour disposer d’un harem des mille et une nuits, le coursier qui rêve de la mokhazniya, la coiffeuse doukkaliya partante pour une séance sadomaso avec un fonctionnaire fassi, etc. 
“C’est sûr, il y a autant de fantasmes que d’hommes et de femmes”, résume Mohamed Hachem Tyal, l’homme aux trois casquettes (il est psychiatre, psychothérapeute et sexologue). Selon les individus, donc, les fantasmes varient, sont plus réalisables que d’autres, moins avouables, davantage obsédants. Il y aussi ceux qui vivent leurs fantasmes comme Monsieur Jourdain sa prose : sans en avoir conscience. C’est le cas de ce couple, pour qui la dispute est une figure imposée avant tout rapport sexuel, prélude à une réconciliation sur l’oreiller : “Pour ce couple précisément, le conflit constitue une sorte de préliminaire. C’est un cas de sadomasochisme classique, où la violence alimente le plaisir”, décrypte le sexologue Aboubakr Harakat. Dans un registre plus peace mais tout aussi love, Saâd nous fait partager son expérience : “Je me trouvais avec ma copine chez une de ses amies, se souvient cet ingénieur informaticien de 28 ans. A un moment, sa copine sort acheter du pain dans une boulangerie située à 100 mètres de la maison. A son retour, elle nous a trouvés sur la table de la salle à manger en train de faire l’amour”. Les deux tourtereaux auraient voulu se faire surprendre qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement… Mais que dire de ce couple casablancais, qui a convaincu un chauffeur de taxi de les laisser faire l’amour sur la banquette arrière de son véhicule, pour la modique somme de 300 dirhams ? 

Les hommes préfèrent les blondes
Les fantasmes made in Morocco, cela existe. Car tout fantasme a un ancrage culturel, social, familial (lire encadré). “Le fantasme s’écrit dans une langue, un référentiel”, explique Selma Idrissi, psychothérapeute. Ça n’étonne presque personne d’entendre un Marocain fantasmer sur une blonde, une rousse, une Asiatique, une “black”. Parce que moins accessible, ou plus rare, mais toujours plus désirable. “Ce qui n’empêche pas les Marocains de fantasmer sur les chikhate bien de chez nous. C’est un grand classique”, souligne Nadia Kadiri, psychiatre au Centre hospitalier Ibn Rochd à Casablanca. 
Les fantasmes du terroir, ceux qui puisent dans les traditions du pays, apparaissent parfois plus troubles. A en croire le sexologue Harakat, le fantasme de la femme voilée, qui consiste à vouloir “posséder la madone, braver l’interdit”, est souvent évoqué. Il faudrait également y voir la (con)quête de l’inconnu, du mystère sous le voile, selon le spécialiste. 

Une pratique mi-halal mi-haram… 
La sodomie est également un fantasme masculin récurrent, en partie parce que cette pratique reste taboue, culturellement et religieusement. “C’est commun à tous les Marocains, barbus ou pas”, explique Aboubakr Harakat. “Fréquemment, on entend des femmes dire que leur mari, bien que porté sur la religion, ne voit pas le haram lorsqu’il leur demande de se retourner”, ajoute le sexologue. Selon Mohamed Hachem Tyal, les hommes font une fixation sur la sodomie, car elle leur permet d’assouvir un désir de toute-puissance. Soit. Vient ensuite le rêve de dépuceler une femme. “Ôter la virginité à une femme fait partie des fantasmes universels, toutes civilisations confondues”, précise Selma Idrissi. Pour les spécialistes, c’est la relation à la mère, le fantasme infantile et son soubassement incestueux qui entrent ici en jeu : pour un homme, dépuceler une femme signifie symboliquement être le premier et le dernier homme qu’elle connaîtra. Pour Aboubakr Harakat, la spécificité marocaine de ce fantasme renferme plusieurs désirs : avoir la primeur, (se) prouver sa virilité et faire couler le sang. 
“C’est notre côté anthropophage : égorger la femme par le bas”, commente le sexologue. L’image est crue et parlante. Les Marocains prendraient leur revanche sur les femmes, qui, traditionnellement, assument la “logistique” de la circoncision, tandis que les mâles de la famille sont généralement en retrait. Supporter inconditionnel de la cause palestinienne, Anas a, lui, traîné une lubie pendant des années : coucher avec une femme de confession juive. Il témoigne : “J’ai rencontré une Israélienne à l’université. Nous sommes mêmes sortis ensemble. Mais je n’avais pas de sentiments pour elle, notre relation était uniquement basée sur le sexe. A chaque fois qu’on couchait ensemble, je me disais dans ma tête : tiens, prends ça, c’est tout ce que tu mérites !”. Faites l’amour et pas la guerre, qu’ils disaient… 

Vous les femmes…
Parmi celles qui avouent leurs fantasmes, beaucoup se réfèrent au rêve du parfait inconnu, amant d’une nuit à jamais disparu. D’autres, comme Jihane, rêvent de faire l’amour dans une villa, avec un médecin de bonne famille, un architecte diplômé, alors que le plombier ou le pompier la laissent de marbre. Quant à Nabila, 23 ans, elle se joue intérieurement des scènes de violence sexuelle, les provoquant parfois dans la vraie vie pour assouvir son désir. “Il n’y a rien de mieux, pour moi en tout cas, que de faire l’amour après une bonne dispute”, confie-t-elle dans un sourire. Toutes des cochonnes pour autant ? Loin de là. 
Amina, 45 ans, divorcée, fantasme sur l’image du prince charmant au pieu : l’homme qui embrasse tendrement, allume des bougies, fait l’amour avec douceur, sourit et caresse… “Ça ne veut pas dire que ça ne m’est jamais arrivé, mais c’est toujours meilleur à imaginer. Je dessine les traits de mon amant fantasmé, tablettes de chocolat et couleur des yeux”, confie la dame. Quitte à déplaire à ces messieurs, non, elle ne trippe pas sur la taille de son engin. “Les femmes ne rêvent pas toutes d’un gros calibre”, s’exclame Karima. D’après Aboubakr Harakat, “Beaucoup de femmes nourrissent leurs fantasmes de cunnilingus, d’hommes avec qui elles pourraient partager des jeux érotiques. En gros, quelque chose que le Marocain lambda aura du mal à leur apporter. Du moins, c’est comme ça qu’elles le conçoivent”, conclut le sexologue. 

De l’oreiller au divan
“De toute ma carrière, seuls trois patients sont venus me voir pour parler spontanément de leur fantasme”, nous confie Aboubakr Harakat, qui affiche vingt ans de consultations au compteur. “Même les couples n’en parlent pas forcément entre eux. Tout dépend de la nature du fantasme, du degré de complicité des partenaires, précise le sexologue. J’ai eu beaucoup de patientes qui rêvaient de toucher le sexe de leur conjoint. Mais la plupart du temps, elles préfèrent garder ça pour elles, de peur de se faire traiter de prostituées par leur mari”. Et la réciproque est vraie. Aboubakr Harakat affirme recevoir des patients mâles qui rêvent simplement de faire l’amour avec la lumière allumée, sans oser s’en ouvrir à leur moitié. Parfois, c’est plus compliqué, quand les “fantasmeurs” culpabilisent. “Il arrive souvent qu’on fasse l’amour par procuration, en s’imaginant le partenaire idéal. Il arrive aussi qu’on se masturbe en pensant à quelqu’un d’autre, raconte Aboubakr Harakat. Les protagonistes se sentent alors coupables, ou ont l’impression d’avoir commis un péché, en trompant l’autre”. Ce qui n’est évidemment pas le cas.

Mon fantasme, ma peur
Du fantasme à l’expérimentation il y a un pas, que certains ne souhaitent franchir pour rien au monde. Etudes brillantes à l’étranger, physique agréable, vie de famille ultra-stable, travail épanouissant et très bien payé, Amine est un quadra bien dans sa peau : “Oui, j’ai des fantasmes comme tout le monde je suppose”. Exemple ? “Il m’arrive souvent de m’imaginer en train de faire l’amour avec la cousine de ma femme. Pourtant, c’est quelque chose qui me répugne et que je ne ferai jamais, parce que c’est immoral”, confesse-t-il. Parfois, il peut exister un écart colossal entre nos désirs conscients, acceptés, et ceux qui apparaissent dans nos fantasmes. D’après les spécialistes consultés, si l’on arrive à percevoir ces fantasmes, c’est justement parce qu’ils constituent une barrière nécessaire et suffisante, permettant de les contenir, de les cantonner au monde imaginaire. “Cela devient pathologique quand le sujet se retrouve envahi de désirs infantiles qu’il doit gérer consciemment, lorsque le refoulement ne le protège plus, qu’il est poussé à agir. Parce que le fantasme permet de soutenir un rapport équilibré entre l’interdit de la culture et le désir infantile”, note la psychothérapeute Selma Idrissi. Le névrosé se bat entre la réalisation de son désir et l’intégration sociale. Il négocie au travers de symptômes tels que la phobie et les angoisses, tout en gardant à l’esprit que ce désir-là ne peut être le seul moteur. Le pervers, lui, croit détenir la loi. Il croit pouvoir, et même devoir, réaliser le moindre de ses fantasmes. C’est le cas du pédophile, du zoophile ou de l’inceste par exemple. Enfin, le psychotique rompt tout lien avec la réalité, nageant dans le délire et les hallucinations. 

La Toile des fantasmes 
Pour les Marocains de la génération ADSL, le Net est La Mecque du fantasme. Parce qu’on peut avoir un fantasme sans avoir de partenaire à qui en parler, parce qu’on voudrait trouver des personnes sur la même longueur d’ondes, parce que l’anonymat est plus simple à conserver pour converser… Sanaa, 24 ans, ne considère pas le sexe comme un tabou. Elle n’est pas entreprenante pour autant, sa timidité innée lui jouant des tours. C’est donc sur le Web qu’elle drague, traîne sur des forums érotiques, et rejoint même, sur Facebook, les groupes enclins aux échanges coquins. Sur “érotisme cérébral anonyme pour femmes libertines (Maroc)”, 341 membres se racontent leurs fantasmes, en public ou en privé. La description prône un “jeu cérébral interactif anonyme ouvert à tous”, suggère le dialogue érotique et l’échange de fantasmes, exemples à la clé. Sur le mur du groupe, tandis que certains chauds lapins donnent leurs numéros, plaisantent ou créent de faux profils pour attirer les proies, d’autres se prêtent au jeu et évoquent leurs fantasmes : “esclave soumis cherche maîtresse”, “mon chéri et moi avons envie d’une partie à trois avec une autre fille, douce, ouverte et sensuelle”, publient même des poèmes érotiques… “Faire l’amour sur Internet est aussi un fantasme moderne”, assure Farid, trente ans. Depuis peu, c’est via webcam que ce jeune homme prend son pied. De chats en sessions vidéo, Farid (dont l’email se compose de ses initiales et du nom d’un acteur X) se lâche avec de parfaites inconnues. Pour lui, en plus de l’excitation du moment, ses échanges sur le Net lui fournissent de la matière pour construire d’autres rêveries érotiques. “C’est tout de même bizarre. Je me sens plus moi-même derrière un écran que dans la vraie vie”, s’étonne-t-il, en avouant tout de même que ses fantasmes virtuels biaisent ses relations dans la vie réelle. “A l’heure où je suis censé tisser des connaissances avec de vraies demoiselles, je préfère être sur le Net en train d’écouter et de combler à l’écrit les fantasmes de femmes aux quatre coins du monde”. Des femmes qu’il ne verra probablement jamais.

 

Du classique au trash. Nos fantasmes
• L’amour à plusieurs
• Le sexe via Internet (webcam)
• Femmes voilées, hommes enturbannés
• Les blonde(e)s, de préférence aux yeux bleus ou verts
• Les étrangers, surtout de confession religieuse différente
• L’uniforme (de policier ou de militaire, voire la blouse de l’infirmière)
• Dans les endroits à risque (toilettes, cabines d’essayage, salle d’attente, taxi, etc.)
• Dans le noir total, avec des hommes et des femmes sans tête

 

L’avis du psy.“Il n’y a pas de sexe sans fantasme”

A chacun sa notion, sa définition, son goût du fantasme. Mais pour mieux le décortiquer, il faut revenir à son fondement. Mohamed Hachem Tyal, psychiatre, psychothérapeute et sexologue, nous livre les clés de la compréhension universelle du fantasme. 

Comment se définit le fantasme ?
Les fantasmes s’imposent à tous. Ils sont l’élaboration d’un compromis entre désir et interdit. Le fantasme est à la sexualité ce que le vent est à la braise, autrement dit, la sexualité n’existerait pas sans fantasme. Notons également qu’il est intéressant de rechercher le fantasme, pas forcément de le réaliser. A titre d’exemple, beaucoup de personnes viendront vous dire : “J’ai essayé le triolisme une fois, bon, ben, c’était sans plus…”.

D’où proviennent nos fantasmes, comment se construisent-ils ?
Dès notre plus jeune âge, notre cerveau travaille et fixe des situations de vie vécues ou illusoires, qu’il enregistrera ou pas, en fonction de la charge émotionnelle qu’elles véhiculent. Finalement, quand on est enfant, tout n’est que fantasme.
Ce n’est que plus tard que le réel prend le dessus, mais les fantasmes réapparaissent par intervalles plus ou moins réguliers. Enfin, les fantasmes ont une dimension culturelle. Toutes les sociétés ont des fantasmes spécifiques, mais les mécanisme qui les régissent sont les mêmes. 

A partir de quand fantasmer devient-il problématique ?
Il y a plusieurs types de fantasmes : les conscients et les inconscients, les petits et les grands, ceux que l’on cherche à réaliser, ceux que l’on craint, ceux que l’on considère comme possibles, ceux qui nous obsèdent et ceux qu’on considère comme dangereux… Les fantasmes peuvent devenir obsédants. Ils deviennent gênants quand ils impactent sur notre qualité de vie.

 

Portrait. Moi, au-delà de toute Hchouma 
Nouhad n’est pas vraiment de celles qu’on pourrait traiter de vierges effarouchées. Loin d’elle l’idée que le sexe, et plus particulièrement sa sexualité, soit un tabou. C’est même son dada. “C’est tellement naturel que lorsque j’en parle, je ne change pas de ton”, assure-t-elle. De quoi en troubler plus d’un, à commencer par son entourage et son milieu professionnel. Les fantasmes, Nouhad en a à revendre, qu’ils soient assouvis ou impossibles à assumer. Elle voulait essayer les femmes, et elle l’a fait. “Ça ne me dit plus rien, ou alors, je n’ai pas encore trouvé le juste milieu : une femme qui ne soit ni trop garçonne ni trop féminine”. C’est que ses conquêtes puisaient leur imagination sexuelle dans la pornographie, or Nouhad a besoin de “plus de créativité”. L’idée de l’amour à plusieurs l’excite, mais elle sait que sa mise en pratique lui déplairait. En somme, Nouhad aime le sexe théâtralisé, avec les hommes ou les femmes. Très influencée par le sadomasochisme – sa lecture vers l’âge de 15 ans d’Histoire d’O, le roman érotique à succès de Pauline Réage, a définitivement marqué sa sexualité –, Nouhad aime se faire insulter. En darija aussi, oui, oui. “C’est peut-être ma manière de compenser mon côté agressif dans mes relations avec les hommes”, explique-t-elle. Nouhad aime aussi la contrainte : se faire ligoter, que son partenaire bloque ses mouvements, qu’il l’empêche ou lui ordonne de jouir… Cependant, elle n’a toujours pas réalisé comme elle le voulait ce fantasme : “J’aimerais pouvoir jouer la chienne en laisse, ramener des choses dans ma bouche, ne pas parler. Sauf que les partenaires marocains auxquels je l’ai dit n’étaient pas emballés par l’idée”, déplore-t-elle. Peut-être avec son “aristo parisien”, qui la fait “jouir depuis deux mois au téléphone” ? Côté transgressions, Nouhad explique qu’elle a “déjà eu des propositions en pleine journée, pendant ramadan”. Des propositions qu’elle a déclinées, ne trouvant pas ça excitant. Parmi la liste des fantasmes assouvis qui sont plus pratiques à expérimenter dans l’imaginaire, celui de faire l’amour dans l’eau : “Sauf que la cyprine (sécrétion vaginale, ndlr) est hydrosoluble, et que pour faire une fellation sous l’eau, il faut être championne d’apnée !”.

 

Tranche de vie. Confession sur l’oreiller
Une ruelle sombre du très bobo quartier Gauthier de Casablanca. Il est 21 heures. Réda, cadre de l’industrie pharmaceutique, stationne sa berline à l’entrée d’un immeuble cossu. Tiré à quatre épingles, le trentenaire célibataire sort du véhicule pour rejoindre le meublé prêté par un ami en déplacement. Ce soir, Réda reçoit Kawtar et Hanane. Deux “amies”, comme il les qualifie, attendues pour une soirée “olé olé” à trois. Assis sur le lit de la chambre d’amis, le jeune homme, pendu à son mobile, commande à manger, tout en déballant ses affaires. D’un geste appliqué, il recouvre le canapé de draps propres, puis se rend dans la salle de bains pour y disposer des serviettes. Selon un immuable rituel, il dispose placidement sur la table basse boîte à mouchoirs et préservatifs par lots de 6, en vrac. Pendant que la chaîne hi-fi alterne châabi et rap américain, Réda range deux packs de bière dans le frigo… “A chaque fois c’est pareil, j’ai les yeux plus gros que le ventre, j’en prends plus qu’il n’en faut. Je ne sais pas si c’est de la boulimie, mais je préfère qu’il y en ait trop que pas assez. Rien ne doit manquer, je n’ai pas envie d’avoir à sortir…”, justifie Réda. On sonne à l’interphone. “Oui, montez, c’est au quatrième”. 3h du matin, passablement ivre, Réda demande à ses deux amies de se rhabiller : “Yallah, j’ai appelé moul taxi, il arrive dans dix minutes”. Kawtar et Hanane s’éclipsent. Les deux “amies” de Réda travaillent souvent ensemble. En fait, elles monnayent leur intimité entre 200 et 1000 dirhams la soirée, selon le client, la nature de la prestation, la durée… Réda nous explique pourquoi et comment il a décidé de concrétiser son fantasme de triolisme avec des prostituées : “Dans l’absolu, j’aurais bien aimé réaliser ce fantasme avec l’ une de mes ex-copines. D’ailleurs, un jour, en discutant, j’ai tâté le terrain… mais elle s’est vite braquée”. Fin de non-recevoir, donc. Du coup, notre libertin a dû se rabattre sur un plan B : “J’ai fait appel à des prostituées. Je les rencontre deux à trois fois par an”. Car avec elles, “on peut parler de tout”. Et puis, “je n’ai pas eu besoin de leur faire un dessin, ça c’est fait tout seul, dans le feu de l’action”, apprécie Réda. “Reste que, systématiquement, en plus de la gueule de bois, je me réveille avec une sorte de malaise”.

 

Témoignages 

Salim, 40 ans, publicitaire
“Voile, domination,soumission”
“J’ai assouvi mon fantasme de domination avec une fille qui voulait de son côté assouvir son fantasme de soumission. Nos premiers jeux étaient virtuels, sur le Net et au téléphone, avant de nous voir pour sauter le pas. Notre relation n’aurait dû être que cela, la rencontre de deux désirs à étancher. Sauf qu’elle portait le voile. Après chaque séance sadomasochiste, ponctuée de brutalités physiques et verbales en darija, elle était prise d’une crise de larmes. Elle avait honte de ces actes contraires à ses convictions religieuses. En désespoir de cause, je lui ai conseillé un psychologue que je connaissais, pensant qu’elle vivrait mieux ses penchants sexuels si un professionnel l’écoutait et lui expliquait. Là encore, échec sur toute la ligne. Elle avait tellement honte qu’elle lui a parlé de tout sauf de son problème. Au bout de quatre séances avec ce psy, elle n’allait pas mieux, n’assumait toujours pas son ambivalence, mais n’arrivait pas à mettre fin à nos rencontres. J’ai pris les devants en stoppant notre relation : autant la voir pleurer pendant nos jeux m’excitait, autant l’écouter sangloter après me ruinait le moral.” 

Hind, 27 ans, prostituée
“Je n’assouvis pas tous leurs fantasmes”
“Je suis prostituée depuis quelques années. Ma clientèle compte beaucoup d’hommes mariés. Il y a ceux qui font l’amour « normalement » et ceux qui sont un peu originaux, qui demandent à faire des choses qu’ils ne font pas avec leur femme. Ils me disent que c’est hchouma. Par contre avec moi, il n’y a pas de hchouma. Certains sont fétichistes, ils veulent que je porte un string de telle ou telle couleur sans quoi ils n’ont pas d’érection, d’autres ne veulent que des strip-teases, sans même consommer. D’autres encore réclament juste une fellation. Parfois, ils exigent de pouvoir jouir, ce que je refuse systématiquement, je n’aime pas ça. Enfin, il y a ceux qui sont portés sur la sodomie. En règle générale, je fais tout pour satisfaire mes clients, pour qu’ils reviennent. Mais là, je refuse, je ne peux pas, c’est haram”.

 

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer