Enquête. Les audaces du nouveau cinéma marocain

Plus libre, mieux outillé, le cinéma brise les tabous et s’invite à tous les débats de société. L’Etat y est pour beaucoup. Décryptage d’un phénomène naissant mais déjà passionnant, au croisement de la culture et de la politique. 

Il suffit de s’en tenir à l’essentiel pour monter un film : un propos, des idées de mise en scène, un scénario. Le reste peut parfaitement reposer sur les bricolages du système D. C’est fort de cette conviction que Mohamed Achaour a attaqué son premier long-métrage, après le court et remarqué “Percussion kid”. L’argent ? Pas grand chose, juste de quoi boucler un tournage de 12 jours en mettant à contribution salariés et prestataires de service (paiements en différé, cachets indexés et reportés sur les futures recettes liées à l’exploitation du film). L’histoire ? Personnelle, sans aller chercher loin : celle d’un cinéaste en panne d’écriture. Les décors ? Quelques appartements d’amis, un bistro au patron sympa, des extérieurs (rues, parcs, plages) accessibles. Et le tour est joué.

Films de cul, vie de merde
Un film, titre provisoire du premier film de Mohamed Achaour, repose sur un nouveau modèle économique, puisque tourné sans subvention publique. Son contenu artistique est tout aussi surprenant. On y voit un couple s’aimer et se repousser avec des mots et des gestes de tous les jours. On y voit deux amis deviser sur les choses de la vie en vidant plusieurs bouteilles de bière. Alcool, sexe et cinéma. Les trois ingrédients sont parfois mélangés à l’intérieur d’un même plan. Exemple : quand lui, en pleine déprime, rentre d’une soirée arrosée, il se fait éjecter du lit parce que sa compagne le juge incapable… d’assurer une érection.
Culotté, voilà qui définit bien ce film actuellement en post-production (montage, mixage). Les saillies verbales pointent pratiquement sur chaque ligne de dialogue. Comme dans la vraie vie, entre une femme et un homme au bord de la crise de nerfs. Lui : “Films de cul, parabole de merde, vie de merde”. Elle : “Putain, tla3ti liya f’karri”. Lui : “Wa siri tqawdi”. 
Inutile de traduire, cela fait mal aux oreilles. Mais c’est à cela que ressemble le quotidien de monsieur tout le monde et, de plus en plus, son cinéma aussi. 

Blues à Tanger
En attendant de découvrir Un Film en salles, nous vous invitons à aller voir Fissures, sorti cette semaine, pour constater l’état d’avancement des audaces à la marocaine. Tout y est. La forme et le fond. C’est une ode à la liberté et un film à trois. Deux hommes, une femme : cela fait plusieurs possibilités, que le film exploite à fond. Au-delà des scènes d’amour, parfois très violentes, au-delà de la somme d’interdits (gros mots, alcool, Tanger côté nuit), Fissures colle aux errances des uns et des autres comme une sangsue. C’est la noirceur, au fond, qui surprend et décontenance le plus. Le film gratte sous le vernis d’une société à la vitrine nickel chrome. Ce qui explique pourquoi il a été si mal réceptionné dans les cercles de la bien-pensance.
Pour faire exister cet OVNI, Hicham Ayouch s’est reposé sur le modèle économique décrit avec Mohamed Achaour. En un mot : le bricolage. Tourné à la va-vite, avec une petite équipe d’amis, le film n’a bénéficié d’aucune subvention publique avant d’être tourné. Son audace lui a même valu d’attendre longtemps avant de trouver un distributeur sur le marché. 

Harash ou bikheer
S’il y avait à établir un hit-parade des meilleurs films marocains réalisés depuis deux, trois ans, le court métrage Harash y figurerait en bonne place. C’est un film hip-hop, sautillant, sur les déboires d’un jeune voyou casablancais. Rayon audaces, le client est royalement servi. Goûtez cet échange improbable entre deux copains qui s’apprêtent à partager une bouteille de vin : “Qu’Allah me pardonne – Moi, Allah m’a oublié”. Goûtez encore à cette voix off perverse : “Les Sahraouis vivent sur le dos de l’Etat (…) Lui, mon copain, je sais que quand il est trop bourré pour trouver sa bite dans sa gandoura, je le trouverais dans un terrain de foot”. Ou encore ce petit dernier, une phrase ahurissante lancée par le loubard à l’islamiste : “Hey, tu fais partie de ces gens qui n’arrêtent pas de s’exploser, c’est ça ? Mais, avant de baiser ta femme, tu dis : au nom de Dieu ?”
Méchamment impertinent, irrévérencieux en diable, Harash se prend par moments pour un Scarface à la marocaine. On y voit un policier racketter un pickpocket avec des phrases étonnamment crues : “Tu trouves que j’ai un beau cul ? C’est ça, hein, tu veux me baiser ? Mais…t’as oublié un détail : ici c’est moi qui baise le monde !”. Du pur Tony Montana, à des années-lumières des dialogues aseptisés, distillés en pur arabe classique, longtemps servis comme de la soupe par la télévision et le cinéma marocains.

Bled schizo
Conçu comme un petit film d’étudiant (le réalisateur ismael El Iraki est lauréat de la Femis, anciennement Idhec), Harash a eu un vrai destin de cinéma. Prix “Attention talent” et mention spéciale du jury à Clermont-Ferrand, référence absolue du court-métrage, il a rapidement attiré l’attention des cinéphiles et officiels marocains. Depuis, sa trajectoire est un parfait condensé de schizophrénie. Le festival de Tétouan a commencé par le programmer avant de se décommander en invoquant une vague histoire de bobines mal acheminées. Le CCM (Centre cinématographique marocain) a refusé de le présenter au festival national du film. Motif officiel, comme nous l’a confirmé le cinéaste : “Propos haineux sur le Sahara”. Alors, serait-on tenté de croire, le film est-il resté inédit au Maroc ? Eh bien non. Projeté à la Cinémathèque de Tanger en lever de rideau de Casanegra, il a aussi été programmé par l’Institut français de Rabat. Mieux encore, le film a représenté le Maroc dans plusieurs festivals à l’international. Parce qu’il est bon, tout simplement.
Résultat de la course : inédit sans être interdit, acclamé en privé mais ignoré en public, représentant le Maroc partout dans le monde sauf au Maroc, le cas Harash nous offre un joyeux capharnaüm. Tant mieux. Pour l’anecdote, le prometteur El Iraki planche déjà sur deux projets de long-métrage. Le premier est dédié au haschich, le deuxième à ce qu’il appelle “le mélange de femmes et de rock à Casablanca”. Nous voilà prévenus.

A nos amours dévoilées
Au cinéma, l’audace peut prendre toutes les formes possibles. Visuelles, thématiques, verbales, narratives, etc. C’est ce qu’on peut résumer par des questions de forme et de fond. Des films comme Casanegra (2009) et Marock (2006) en sont les parfaits prototypes. Le premier raconte les bas-fonds casablancais en se prenant pour un croisement de Tarantino et Scorsese. Le deuxième décrit les heurs et malheurs de la jeunesse dorée, filmée comme dans un gigantesque clip aux normes occidentales. Les deux ont fait des cartons au box-office. Ils ont aussi déclenché la foudre des islamistes. Parce qu’ils sont mauvais ? Non. Casanegra a rompu avec le cliché que le public familial ne peut accepter que des dialogues et des images édulcorés. Marock a filmé sans démagogie, plutôt désinvolte, les amours d’une musulmane et d’un juif. 
La sanction “succès et polémique” a aussi couronné la carrière d’un film comme Amours voilées (2009). Audacieux et populaire, le concept est articulé autour de la personnalité d’une jeune femme qui décide de porter le voile. Et qui s’amourache d’un homme à femmes et va jusqu’à tomber enceinte. Que peut-elle bien faire, alors ? Avorter ? Forcer la main de l’amant volage ? Abandonner le voile ? Epouser le premier venu pour protéger sa grossesse illégitime ? Le premier film de Aziz Salmy, un ancien du théâtre, a l’intelligence de poser les bonnes questions sans y apporter de réponses. Ce n’est pas son boulot mais le nôtre. Il est résolument moderne dans le sens où il évite le happy end et le dénouement moralisateur. Il est tout à fait heureux qu’un tel film ait plu aux masses, à commencer par le bon public familial. 

L’avenir est femme
Débattre des vrais problèmes de société (rapport à la religion, au sexe, à la famille, à l’autre), en découdre avec l’establishment conservateur, adopter des points de vue modernes où le “moi” prime sur le “nous” : voilà le nouveau credo dans lequel s’inscrivent plusieurs cinéastes en herbe. Pour son film en préparation, au titre provisoire de Malak, Abdeslam Kelai a choisi de raconter l’histoire d’une fille-mère. Elle tombe enceinte et elle choisit de “le garder”. Il y a encore quelques années, un tel parti-pris n’aurait jamais reçu le soutien de la Commission de l’Avance sur recettes, anciennement Fonds d’aide, instauré depuis 1980 pour venir en aide à la production de films. 
Le vent d’audace souffle aussi sur les pépinières qui forment aux métiers du film. A l’ESAV, première école de cinéma au Maroc avec celle de Ouarzazate, les étudiants s’essaient déjà à l’exercice du court-métrage. Ils filment vrai, moderne, ils gagnent des prix. Et les plus audacieux sont, comme nous l’explique le directeur de l’école, “les étudiantes, les femmes, prêtes à prendre des risques pour adapter le ‘moi’ au féminin et en faire des œuvres de cinéma”. Rendez-vous est pris, mesdames.

Des tabous et des hommes
Bien entendu, si cela foisonne autant aujourd’hui, c’est qu’il y a eu une longue lutte et beaucoup d’accumulations. Plusieurs cinéastes intéressants ont creusé des brèches dans le mur. Avec un bonheur inégal et des fortunes diverses. 
Daoud Aoulad Syad, ancien photographe, s’est appuyé sur le talent conjugué de Youssef Fadel et du grand Ahmed Bouanani pour filmer au moins deux histoires fortes. Bye bye souirti (Adieu forain, 1998) sur un danseur travesti, avec un étonnant Abdellah Didane. Et En attendant Pasolini (2007) sur un petit village dans le sud, habité par le souvenir du célèbre cinéaste italien. Dans les deux films, l’homosexualité est un sujet latent, bouillonnant comme le feu sous la glace. 
Nabyl Ayouch a fait débat en évoquant l’enfance des rues (Ali Zaoua) et la drogue (Mektoub), en attendant son film en préparation sur le terrorisme (Les Etoiles de Sidi Moumen). Ahmed Boulane a revisité nos folles sixties-seventies dans Ali, Rabia et les autres et le traumatisant procès des satanistes dans Les Anges de Satan. L’iconoclaste Nabyl Lahlou y est allée de son Tabit or not Tabit pour convoquer le fantôme du commissaire dont l’affaire a tenu en émoi tout le Maroc des années 1990. Narjiss Nejjar a filmé un village de prostituées avec Les Yeux secs. Mohamed Ismaïl s’est penché sur le Hrig (Et après) et l’exode des juifs marocains (Adieu mères). Latif Lahlou a traqué les tourments d’un homme incapable de satisfaire sexuellement sa femme (Les Jardins de Samira). Hassan Benjelloun a raconté Derb Moulay Chérif (La Chambre noire) et la traite des blanches (Les Oubliés de l’histoire). Zakia Tahiri a filmé la Moudawana comme une histoire grand public (Number one). Saâd Chraïbi a été l’un des tout premiers à filmer un vrai parloir de prison (Femmes et femmes). Hakim Noury s’est intéressé aux petites bonnes (Enfance volée). Fatima Jebli Ouazzani a eu le courage de tuer le père (Dans la maison de mon père). Ismaïl Ferroukhi a été l’un des rares cinéastes à tourner à La Mecque (Le Grand voyage, très beau film réalisé en 2004, qui sera enfin visible au Maroc en août prochain). Mohamed Zineddaine a suggéré, tout en ellipses, terrorisme et homosexualité (Tu te souviens d’Adil ?). Jilali Ferhati a filmé le viol (Tresses) et le dilemme de la mémoire collective face aux années de plomb (Mémoire en détention). Driss Chouika a évoqué l’homosexualité féminine et les tromperies extra-conjugales (Destins croisés).

Le label qualité
Et comment, au moment de distribuer des lauriers, ne pas citer les expérimentations des frères Noury (The Man who sold the world) et la liberté de Faouzi Bensaïdi (Mille mois, WWW. What a wonderful world) dont le cinéma s’affranchit de la fameuse “spécificité marocaine” pour prétendre à l’universel. On n’oubliera pas, non plus, ceux dont la meilleure audace aura été de faire des films tout simplement de qualité : Mohamed Asli (A Casablanca les anges ne volent pas) ou, plus loin dans le temps, Hamid Bennani (Wechma), Moumen Smihi (Chergui), Ahmed Bouanani (Assarab), Ahmed Maânouni (Transes et Alyam Alyam). Rideau.

 

Censure. Qui fait quoi ?
Pour bien comprendre l’évolution du cinéma marocain, voire au Maroc, il est nécessaire de s’arrêter sur la commission dite de visionnage cinématographique. On l’appellera, pour faire court, la commission de censure. C’est une instance qui visionne les films, tous les films (Marocains ou internationaux) avant leur sortie en salles. Elle peut demander aux distributeurs, voire aux producteurs, de supprimer une scène donnée. Elle peut aussi imposer des restrictions à l’exploitation du film (les fameuses étiquettes “interdit aux moins de…“). La commission, qui joue le rôle de gardien du temple, siège à l’intérieur du CCM à Rabat. Elle se réunit régulièrement, au besoin quotidiennement, pour coller les visas d’exploitation aux stocks de films en attente.
Pour simplifier, c’est cette commission qui détermine ce qui est bon à voir pour le public marocain.
Maintenant, il est important de relever que la commission a subi deux importants changements sous le nouveau règne, plus exactement en 2001. L’étiquette “interdit aux moins de 18 ans” a été modifiée en “moins de 16 ans”, ce qui revient à dire que l’âge adulte pour un spectateur a été ramené à 16 ans, au lieu de 18. Le deuxième changement important, qui va aussi dans le sens de la détente, concerne la composition de la commission. Avant 2001, les “juges” du cinéma étaient généralement au nombre de sept. Ils représentaient respectivement le CCM, le ministère de tutelle (Communication), celui de la Culture, deux chambres professionnelles (exploitants et distributeurs), en plus, tenez-vous bien, du ministère de l’Education nationale… et de la police. Le représentant de l’Education était censé veiller sur la bonne teneur pédagogique des films. Il lui est d’ailleurs arrivé d’interdire ou de demander la suppression de séquences sensibles, comme sur le film La Porte close (1998) accusé de nuire à l’image de l’instituteur. Le délégué de la Sûreté nationale devait, quant à lui, s’assurer que le film à viser ne comportait aucun risque pour la sécurité publique (émeutes) et n’offensait pas le corps de la police marocaine. Depuis 2001, donc, année où la politique cinéma du pays a réellement basculé, la commission de censure a été délestée des représentants de l’Education nationale et de la police. N’y siègent plus que les professionnels de la culture et du cinéma. Ce n’est donc pas le hasard mais un choix politique délibéré qui permet, aujourd’hui, au public de goûter au plaisir de l’interdit.

 

Codes. Traduire, trahir, pervertir
Plus que par l’image, c’est par le verbe que les audaces s’expriment. Logique pour un pays à la cinématographie très “parlante”, à la limite bavarde. L’histoire de ce qu’on peut appeler les dialogues à la marocaine est à la fois amusante et riche en enseignements. Elle est pleine de heurts, de quiproquos et de petits calculs pour contourner la censure. Longtemps écrits en français (cinéastes majoritairement francophones) mais parlés en arabe, les “mots” ont parfois souffert d’une traduction hasardeuse. Volontairement hasardeuse, devrait-on ajouter. En passant d’une langue à l’autre, les mots peuvent perdre leur charge (pour ne pas brusquer les acteurs appelés à les “parler”) ou, bien au contraire, gagner en puissance (une fois validés par la Commission de l’avance sur recettes). C’est selon. Mais le procédé a ses limites et l’astuce ne fonctionne pas à tous les coups. Plusieurs films ont été privés de leur 4ème et dernière tranche de l’aide publique pour ne pas avoir respecté le scénario et les dialogues originels. Et plusieurs acteurs ont refusé de tourner des films écrits sur mesure pour eux.

 

Cinéma et politique. Le cas Lagtaâ
Historiquement, il est admis que la fin de règne de Hassan II correspond à une certaine détente politique. C’est à partir de là que le royaume a commencé à s’ouvrir à la démocratie et à son corollaire, la liberté. Et c’était tout sauf évident. La preuve par le cinéma. Bidaoua (Les Casablancais) illustre cette période folle, faite d’avancées et de sérieuses reculades. En 1997, Abdelkader Lagtaâ, cinéaste engagé, nettement marqué à gauche, écrit un scénario entièrement dédiée à Dar Beida. A travers le destin parallèle de trois familles, il glisse une série de réflexions acerbes sur la société marocaine. Le film pointe clairement la montée de l’islamisme, une nouveauté à l’époque. Il évoque les années de plomb en citant directement Tazmamart (ce n’est qu’en 2000, avec l’autorisation du pèlerinage de Tazmamart, que l’évocation du bagne a intégré le lexique commun). Le scénario soulève un autre lièvre en évoquant la peur bleue qui s’emparait des citoyens aux prises avec la police : le personnage central est un Monsieur tout le monde dont la vie bascule (crises de panique, insomnie) depuis le jour où il a reçu…une simple convocation de police. 
A la surprise générale, le téméraire Lagtaâ a reçu son autorisation de tournage, bénéficiant même de la subvention du Fonds d’aide publique, preuve que quelque chose avait changé dans le Maroc de Hassan II. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Pendant le tournage, qui a lieu en pleine campagne électorale (législatives 1997), le cinéaste pousse le luxe jusqu’à imaginer de filmer Said Aouita, icône nationale, qui préparait sa députation au nom de l’USFP à Casablanca. Les autorités locales s’en mêlent, intimant au cinéaste l’ordre d’en référer “à Rabat”, c’est-à-dire au ministère de l’Intérieur, à l’époque encore sous Driss Basri. Craignant un refus pur et dur, voire d’autres ennuis possibles, Lagtaâ joue au plus malin et s’adresse plutôt au ministère de tutelle (la Communication)…qui le renvoie à l’Intérieur. “J’ai été comme une balle que se renvoyaient les deux départements, alors j’ai fini par renoncer. Ce qui n’a pas empêché l’Intérieur de me coller, depuis, un fonctionnaire qui m’a surveillé nuit et jour pendant tout le tournage”, se rappelle le cinéaste. Le plus surprenant c’est que, pendant que “Dakhiliya” de Driss Basri étouffait Lagtaâ, la police de Hafid Benhachem se montrait parfaitement coopérante, mettant à la disposition du film (pourtant peu amène avec les policiers !) estafettes et services d’ordre. Une période folle, on vous dit.

 

Plus loin. Casting royal
Le cinéma est évidemment une affaire de cinéastes. Mais il est aussi le produit d’institutions et d’Etats. C’est une affaire sérieuse, donc, éminemment politique. Depuis l’avènement de Mohammed VI, l’Etat a transformé le champ du cinéma. En le dopant carrément. Il a augmenté les fonds publics alloués à l’aide à la production, ce qui a multiplié la quantité et créé des vocations. Il a ouvert l’exposition de la spécificité marocaine sur le monde en mettant sur pied le très international festival de Marrakech. Il a surtout allégé considérablement le système de censure, ce qui a libéré la parole et l’image pour le résultat que l’on peut voir aujourd’hui. Des produits films de plus en plus affranchis où le meilleur côtoie le pire, comme dans toute société de consommation. Pareille entreprise ne peut pas être le fruit d’un caprice de chef d’Etat. C’est un acte réfléchi et responsable qui tend à nous rapprocher d’une adéquation “cinéma miroir de la société” de laquelle nous étions si éloignés sous Hassan II. C’est bien l’Etat, dans sa représentation la plus irréductible, celle du roi, qui a “casté” un personnage comme Noureddine Saïl pour accompagner toutes ces mutations de son fauteuil de directeur du CCM. Après, au vu d’aujourd’hui, tout n’est pas parfait. Le cinéma est en transition. Comme la société ou la démocratie. On ose plus, on tourne plus, on apprend plus, on se trompe plus. Cela enflamme le débat du cinéma et le transporte dans le terrain de la société. Pourquoi s’en plaindrait-on après tout ? Les voix qui s’élèvent pour dénoncer la “débauche” dans le cinéma sont les mêmes qui interdisent la mixité à la plage et à l’école. Elles se feront plus violentes à mesure que l’image régnera en maître sur les foyers. Il va falloir s’en accommoder. Et renforcer la coque de protection qui entoure les plus audacieux parmi les artistes de ce pays. L’enjeu est important et le fait est là : dans le choix de ses thématiques, dans ses parti-pris privilégiant le “je” et le “moi”, dans l’apprentissage de la rigueur formelle, le cinéma est en passe d’offrir à la société ce miroir qui lui a tant manqué.
 

 

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