Le 20 février est un phénomène contestataire impactant dans la vie de nombreux Marocains qui se sont investis corps et âme pour le changement. Une date de naissance pour un militantisme new-age.
Le 20 février, vague massive au sein de la société marocaine, a mis fin aux petits sit-in entre vieux gauchistes pour réclamer la démocratie, l’abolition de la peine de mort, ou plus de droits pour les femmes. Même les initiateurs du premier rendez-vous protestataire n’en revenaient pas : à Rabat, Casablanca, Marrakech, des dizaines de milliers de personnes ont afflué. Le slogan “Dignité, liberté, justice sociale !” a été scandé dans près de quarante villes et villages du royaume lors de la première journée de mobilisation. Du jamais vu auparavant, le nombre de Marocains présents a réussi à convaincre même des militants abonnés aux sit-in récurrents des associations de droits de l’homme. “Je n’ai pas cru au 20 février. J’avais l’habitude de manifester avec les militants de l’AMDH. Nous étions esseulés entre des membres de la famille et des amis proches. Si on avait un quelconque pouvoir sur les choses, il aurait déjà fait son effet”, confie Sabra, qui a participé à quasiment tous les sit-in concernant les droits de l’homme. “C’est la variété des slogans et la diversité sociale qui m’ont convaincue qu’il se passait un truc spécial ce jour-là”, poursuit Sabra. “Le désir de changement était porté par d’autres personnes que les habitués de l’AMDH”, abonde sa sœur, Khaoula.
Melting-pot social, le grand mot est lâché. “En 30 ans de militantisme, je n’avais jamais été aussi proche de la population. Là, je retrouvais toutes les composantes de la société marocaine. La glace a été brisée même avec les femmes d’Al Adl Wal Ihsane, particulièrement le 20 mars. Elles m’ont fait une place auprès d’elles pour que je puisse me reposer. On a discuté, ri ensemble, je ne voyais plus leurs voiles et elles ne remarquaient plus ma tête dénudée. Nous avons oublié nos différences”, s’enthousiasme Dounia Benqassem, sexagénaire et ancienne militante de l’USFP. Elle s’est pourtant faite discrète lors des assemblées générales du M20. “Je ne m’immisçais pas dans les discussions car je ne voulais pas plomber tous ces jeunes avec mes déceptions de militante. Je me suis pleinement investie après avoir entendu le discours d’un membre du mouvement affirmant que le 20 février n’était pas l’apanage des jeunes. Il était selon lui transgénérationnel”, se souvient Dounia Benqassem.
Nouveaux amis, nouvelles solidarités
Il faisait bon se sentir marocain le 20 mars, confirme Abouammar Tafnout, 22 ans, membre aujourd’hui du PSU : “L’émotion m’a pris à la gorge ce jour-là en particulier. Alors que le slogan “sma3 sawt chaâb” ponctuait la marche, je croisais des filles voilées réunies avec d’autres en jupes courtes, des rastas à côté de barbus”, égrène-t-il. Découvrir l’autre, développer de l’empathie avec lui, être unis par le désir de vivre dans un pays avec les mêmes droits pour tous, a aussi imprégné Siham, 22 ans, novice en politique : “Je vivais dans ma petite bulle avant le 20 février. C’est grâce à la marche du 24 avril à Rabat que j’ai mis les pieds pour la première fois de ma vie dans les quartiers populaires de Rabat : Douar Guér3a, Douar Kora et Yacoub El Mansour. Je m’appropriais la rue sans peur d’être harcelée, j’y étais enfin libre”, s’enthousiasme Siham, qui avait jusque-là peur de l’autre, issu des classes défavorisées.
Le “rafiq” qui ponctue les assemblées générales du M20 est d’ailleurs plus qu’un signe de politesse hérité de la gauche radicale pour beaucoup de militants, qui ont développé de nouvelles amitiés en s’investissant corps et âme dans le mouvement. “Beaucoup d’entre eux m’ont confié qu’ils pensaient être seuls à ressentir un désir impérieux de changement. Ils ont été heureux de découvrir qu’ils n’étaient pas seuls”, explique Dounia Benqassem, qui prépare un livre de témoignage sur les acteurs du 20 février. Le lien qui lie les membres du mouvement s’est forgée dans l’adversité, créant un esprit de corps propre aux combattants de n’importe quelle guerre. En l’occurrence, le combat commun contre les vieilles structures du Maroc qui le plombent depuis trop longtemps. Parole à un éclaireur, Hosni Al Mokhliss, membre de la coordination casablancaise du M20, qui a été l’un des premiers embarqués par la police, une semaine à peine après la marche du 20 février : “J’étais ému en voyant le comité de soutien en sit-in devant la préfecture de police de Casablanca. A l’époque, on était en droit de croire que ce nouveau militantisme n’était qu’un phénomène de mode. Eh bien non, ils étaient bien là, prêts à faire pression pour obtenir ma libération et celle des autres militants arrêtés avec moi”, se souvient Hosni.
You’ll never walk alone
L’émotion de ne pas se savoir seul a aussi envahi Abouammar Tafnout. Il a été arrêté pour avoir distribué des tracts appelant au boycott des élections législatives. Coincé entre plusieurs policiers qui l’interrogeaient, il s’est senti seul au monde. A sa grande surprise, en ressortant du commissariat, il a trouvé un comité d’accueil réuni en urgence grâce à des sms envoyés aux membres du M20 et autres sympathisants du mouvement. “J’ai enlacé mon père avec qui j’étais fâché et à qui je n’adressais plus la parole depuis 3 semaines. Il était là, présent pour moi comme d’autres camarades du mouvement”, confie-t-il, encore ému plusieurs mois après l’évènement.
Et pour les camarades de lutte, on est prêt à beaucoup de sacrifices. Brahim Gdim, 35 ans, membre de la coordination casablancaise du M20, ne voit plus sa famille depuis qu’il s’est investi dans le mouvement. “Je croise ma mère le matin au petit-déjeuner. Militer au sein du M20 est un métier à plein temps, on fait même des heures sup non rémunérées”, plaisante-t-il. Vivant à Attacharouk, à Casablanca, il lui arrive régulièrement d’être sur le chemin de son domicile à 1 h du matin et de recevoir un coup de fil l’expédiant de l’autre côté de la ville pour régler un problème de tracts. Il n’est pas un cas isolé. Beaucoup ont, comme lui, mis leur vie privée entre parenthèses pour défendre leurs idées. “Il circule beaucoup d’histoires sur des militants ayant trouvé l’âme sœur au sein du M20. On oublie que d’autres se sont séparés car le conjoint, la copine ou le copain n’ont pas accepté d’être délaissés à cause d’un investissement politique qui vous bouffe tout votre temps libre”, tient à signaler Abdallah Abaâkil, soutien actif du M20 qui, lui-même, a vu sa compagne le fuir car elle refusait de passer après l’engagement de son homme.
L’art de la manif’
C’est en forgeant qu’on devient forgeron, dit l’adage. Il est applicable à la protestation. “Le 20 février, ma mère m’a vu arriver à la marche de Rabat avec des boucles d’oreille, un collier et plusieurs bagues. Elle m’a demandé de les retirer immédiatement pour éviter les blessures. Sur ses conseils, j’ai ôté aussi mes gants noirs pour ne pas me distinguer au milieu des mains levées”, raconte Sabra, 25 ans, qui, ce jour-là, a profité de l’expérience de sa mère, habituée à l’exercice de la manif’ en tant que militante de gauche depuis les années 70. La mère de Sabra avait aussi acheté des kilos de lentilles à cuisiner pour les marcheurs au cas où la manifestation tourne au sit-in prolongé. Les impétrants du 20 février ont dû aussi apprendre à communiquer avec les forces de l’ordre. “On s’est fait arrêter avec d’autres militants pour avoir distribué des tracts du mouvement. Deux jeunes de 18 ans à peine riaient dans l’estafette de police, inconscients devant la gravité de la situation, mais heureux d’avoir décroché en quelque sorte une petite médaille en se faisant embarquer. On a dû les calmer, c’était sérieux cette histoire”, raconte Hosni Al Mokhliss.
Quand l’Etat a commencé à réprimer durement les rassemblements, les manifestants ont chacun à leur manière inventé des techniques pour éviter les coups. Le 13 mars devant le siège du PSU, Mohamed Boudaâoua faisait partie de la première chaîne humaine s’interposant entre les brigades antiémeutes et les manifestants. Bousculé par la première vague d’assaut, il ne bouge plus et joue au passant éberlué pour éviter les coups de la deuxième vague. “Je suis ensuite entré dans un magasin où j’ai acheté des oranges et de la menthe pour faire croire que j’habitais le quartier”, confie-t-il, le sourire aux lèvres. “Abdellah Zaâzaâ (célèbre militant associatif) m’a appelé pour prendre des mes nouvelles. Il était arrivé mieux préparé que nous, équipé de lunettes de soudeur et d’un masque pour se protéger des éventuels bombes lacrymogènes”, témoigne, un soupçon admiratif, Mohammed Boudaaoua. D’autres ayant moins de bouteille que Zaâzaâ ont improvisé dans l’urgence : “Le 22 mai à Sbata, un policier a levé sa matraque pour me tabasser. Je lui ai demandé de ne pas frapper trop fort. Il a été surpris par ma requête. J’ai profité de son moment de réflexion pour prendre la tangente”, raconte Oussama Tilfani de la Chabiba Ittihadia.
Non-violence vs répression
La répression de la première marche à Sbata, le 22 mai, a créé un climat de peur chez les militants, qui ont dû pourtant remonter au front la semaine suivante dans le même quartier, sachant qu’ils allaient à nouveau affronter les coups. “J’étais inquiet comme tout le monde. Mais l’enthousiasme et la hogra de la première répression m’ont aidé à surmonter ma peur”, confie Hosni Al Mokhliss. “Nous étions dans une logique de confrontation. En revenant à Sbata, nous tendions un piège à l’Etat, en rebondissant sur la stratégie d’Al Adl Wal Ihsane : Plus vous nous frapperez, plus vous nous donnerez raison”, résume un militant rodé aux théories de la résistance passive. “La deuxième marche de Sbata s’inscrivait clairement dans la guérilla urbaine pacifique. Nous avions des sifflets pour rameuter les manifestants, leur éviter d’être isolés, ou condamnés à prendre des coups ou à se faire embarquer”, poursuit notre théoricien. Garder l’attitude de Gandhi face à une matraque n’est cependant pas toujours facile. “Je vous avoue qu’on a dû ceinturer plusieurs militants énervés qui ont voulu frapper des membres des forces de l’ordre qui s’étaient retrouvés isolés au milieu des manifestants. On a dû même organiser un cordon de sécurité autour d’un motard de la police tombé par terre. Il était effrayé, nous expliquant qu’il ne nous voulait aucun mal, un de ses frères était d’ailleurs lui-même dans la manifestation, avait-il affirmé en signe de sa bonne foi”, conclut un autre militant.
Le dernier recours
Le Mouvement du 20 février est aujourd’hui devenu un Diwan Al Madalim informel pour une partie de la population. “Les gens font appel à nous pour régler des problèmes de tous les jours. Une dame, sachant que je faisais partie du mouvement, m’a demandé si j’avais un moyen d’aider son fils hospitalisé”, raconte un membre de la coordination de Casablanca. Les anecdotes semblables pullulent, le M20 étant devenu un bureau de doléances dans les quartiers populaires et ses membres un go-between entre les habitants et l’administration. Ceci pour toutes les catégories de la population : “En sortant d’une réunion du M2O, nous avons croisé des prostituées qui se faisaient embarquer par une estafette de police. On a bloqué le véhicule pour négocier leur libération immédiate. Les policiers nous ont demandé : ‘C’est quoi le rapport avec votre combat ? C’est juste des putes’. Nous leur avons répondu : ‘Elles se prostituent à cause de leur misère sociale’”. Les prostituées ont été immédiatement libérées car les forces de l’ordre, en tout cas en dehors des manifestations du mouvement, auraient reçu pour instruction de la jouer souple avec les membres du M20 quand ils s’occupent de régler les problèmes ponctuels de la population. “On est intervenus pour un garçon admis aux urgences et qu’on a laissé sans soin. Il a suffi que l’on se regroupe devant l’entrée de l’hôpital pour que l’administration réveille, au milieu de la nuit, le délégué provincial du ministère de la Santé”, raconte Brahim Gdim. Comme quoi le M20, au-delà de son rôle d’agitateur, est aussi une soupape de sécurité pour évacuer les frustrations sociales de manière pacifique…
Rapports de force. L’Etat lâche du lest Alors que beaucoup d’acteurs politiques hésitaient à se joindre à la protestation de la rue, et tandis que d’autres la sous-estimaient, la première reconnaissance de l’ampleur du mouvement est venue… du roi lui-même. Son discours du 9 mars annonçant une réforme de la Constitution est intervenu moins de 20 jours après la première marche de contestation. Le M20 avait réussi à arracher la réforme constitutionnelle réclamée en vain depuis plus de 10 ans par des partis politiques et certaines ONG. Parmi les autres “petites” victoires du M20, on notera la mise en place du Conseil économique social (CES) et le renflouement de la Caisse de compensation, toutes deux intervenues quelques jours avant la première marche du mouvement. “On est même partis dans les bidonvilles promettre des habitations aux gens, histoire de les calmer, et on a laissé les vendeurs ambulants en paix”, se rappellent les militants. Le dialogue social a été l’occasion pour l’Etat de calmer les ardeurs des syndicats, et éviter qu’ils ne se solidarisent activement avec les manifestants. L’Etat lâche du lest et, pourtant sans ressources, offre 600 dh d’augmentation aux fonctionnaires. La pression de la rue a aussi contribué à la création du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), “venu concrétiser l’engagement du Royaume du Maroc dans la protection des droits et libertés”, dixit la littérature officielle. Et last but not least, l’accent mis par le mouvement sur l’emprisonnement et la torture des salafistes a grandement aidé à la grâce de dizaines d’entre eux sur recommandation, justement, du CNDH. |
Partis politiques. L’effet M20 Le M20 a bousculé l’agenda des partis politiques, mais également leur équilibre interne. Le mouvement, qui a acquis une force et une crédibilité auprès du public, est devenu l’objet de convoitises pour les partis proches du 20 février, et un poil à gratter pour les formations du pouvoir. Le parti ayant encaissé le plus de coups de la rue est sans conteste le PAM de Fouad Ali El Himma. La formation de l’ami du roi préparait sereinement les législatives, prévues en 2012, mais les slogans “El Himma dégage ! PAM dégage !” l’ont plongée dans des luttes intestines entre les notables et les anciens gauchistes ayant rejoint le parti. Ces derniers ont eu gain de cause et la grogne de la rue a contribué au départ d’El Himma. L’USFP a pour sa part été en proie à des déchirures internes entre sa jeunesse pro-20 février et des dirigeants opposés au mouvement. Le PJD, quant à lui, est arrivé au pouvoir en reprenant, entre autres, le laïus anti-corruption du M20. Le PJD n’a pourtant jamais pris part au mouvement de protestation, même si la jeunesse du parti de la lampe a rejoint un temps le mouvement contre l’avis des caciques de la formation.“Nous n’avons pas participé aux manifestations, parce que ça aurait mis en danger la monarchie” ,expliquait Abdelilah Benkirane quelques semaines avant les législatives… L’autre grand gagnant est, sans conteste, le Parti socialiste unifié. Le PSU a digéré la thématique du M20 après l’avoir faite sienne. La répression du 13 mars devant ses locaux a été le déclencheur, et a poussé le PSU à se radicaliser en boycottant la commission Mennouni, le référendum et les législatives, alors que la formation participait jusque-là aux élections. Le PSU s’est ouvert à certains jeunes du M20 qui ont rejoint la formation de gauche et remis au goût du jour le combat pour la laïcité. Al Adl Wal Ihsane a fourni le gros des troupes lors des mainifestations du M20, avant de se retirer et d’affaiblir le mouvement qui ne peut plus jouer comme avant sur le nombre.?La jamaâ continue cependant de surfer sur la grogne sociale en participant aux manifestations de diplômés chômeurs et de bidonvillois. |
Ephéméride. L’année où tout a changé L’Histoire avec un grand H est faite de petites histoires. Anecdotes de militants. 20 février « Si je devais raconter un moment en particulier à mes futurs petits-enfants, ce serait ma nuit blanche au siège du PSU. Une nuit d’espoir où nous avons chanté et parlé jusqu’au petit matin. Nous ne savions pas ce qui nous attendait en se rendant au sit-in prévu place des Pigeons. Cela pouvait tout à fait mal finir pour nous, certains avaient d’ailleurs fait leurs adieux à leurs familles. Une vieille dame m’a demandé où nous allions. Je lui ai répondu défendre nos droits et les vôtres. Elle a poussé des youyous de joie. J’en ai eu la chair de poule. » Hamid, 32 ans 13 mars « Les membres d’Al Adl Wal Ihsane se sont réfugiés à l’intérieur du siège du PSU après la répression du sit-in. A l’heure de la prière, ils ont investi les toilettes pour leurs ablutions. Beaucoup d’entre eux m’ont demandé dans quelle direction était la Mecque. Je n’en savais strictement rien comme la majorité des militants de gauche présents. La situation était ubuesque, des gens priaient en groupe devant d’autres totalement perplexes face à cette cohabitation inhabituelle. » Ghizlane, 25 ans 20 mars « L’âme du 20 février à mon sens, c’est le 20 mars. Nous avons confectionné des milliers de pancartes pour les distribuer aux manifestants. J’ai senti une effervescence que je n’ai jamais retrouvée dans la préparation des marches suivantes. On a travaillé comme des malades pendant plusieurs jours, enchaînant les nuits blanches. J’étais tellement épuisé que je me suis endormi au siège de la CDT sur trois chaises d’écoliers alignés. » Abouammar, 22 ans 1er mai « J’assistais dépité aux discours de syndicalistes sur la Palestine, des propos vieillots qui m’ennuyaient. Il pleuvait des cordes, j’étais trempée jusqu’aux os et je me demandais ce que je foutais là. Un vieil homme m’a tapé sur l’épaule et m’a dit d’une voix fluette : « Ma fille, c’est vous les jeunes qui sortiez tous les dimanches? ». Il avait les larmes aux yeux, heureux de voir une nouvelle génération de militants. A son âge, il avait affronté la pluie pour être présent, cela m’a reboosté le moral et je suis finalement resté. » Fatima Zahra, 27 ans 15 mai « Rassemblés à Hay Ryad, nous devions partir en pique-nique à côté du centre de détention secret de Témara. Des policiers encagoulés et armés nous y attendaient et des centaines d’agents d’intervention traquaient les militants, les rouant de coups. Nous avons fui le quartier pour chercher refuge au siège de l’USFP. « Hors de question, je préfère me faire matraquer plutôt que me cacher chez ces alliés du Makhzen » a lancé une mère à sa fille, toutes deux militantes d’Annahj. De toute manière, l’USFP avait décidé de ne pas nous ouvrir ses portes. » Omar, 26 ans 22 mai « A Sbata, je me suis caché avec deux autres manifestants dans le jardinet d’une maison pour fuir la répression des forces de l’ordre. Les propriétaires des lieux nous ont servi du thé autour duquel nous avons improvisé un débat avec eux et leurs voisins. Ils voulaient savoir quelles étaient nos revendications. Nous leur avons expliqué que nous manifestions pour qu’ils recouvrent leur dignité, que leurs enfants aient un emploi, etc. Convaincus de la justesse de notre combat, ils ont décidé de sortir manifester avec nous ». Mohammed, 22 ans 29 mai « Lors de la deuxième marche de Sbata, une jeune fille m’a recueilli chez elle pour me protéger des forces auxiliaires qui me poursuivaient. Sa mère ne voulait pas pour ne pas s’attirer d’ennui. Je lui ai parlé de son fils, diplômé chômeur, qui ne trouvant pas de travail vivait encore avec elle et ne pouvait pas fonder de foyer. C’était pour lui aussi que l’on manifestait. Son attitude a changé du tout au tout, elle a accepté de nous cacher le temps et m’a même remercié pour ce que nous faisions. J’ai senti ce jour là que je ne manifestais pas pour rien.» Kahlid, 28 ans 1er juillet « J’accompagnais un journaliste de la télévision catalane venu faire un reportage sur le référendum dans un bureau de vote à Rabat. Inquiet, le superviseur a voulu être interviewé pour expliquer que les Marocains votaient en masse pour le oui. Tout en zoomant sur une urne vide, le journaliste l’a laissé déblatéré pendant que je traduisais le contraire de ses propos. Il était complice du stratagème, étant d’origine marocaine il comprenait en vérité parfaitement la darija. » Hosni, 33 ans |
Noces en marche. Sma3 sawt al 7ob
Mohamed et Mouna marchent à l’unisson pour la dignité et la justice sociale. Et aussi, beaucoup, par amour. Leur Saint-Valentin à eux, c’est le 20 février.
Alaa El Aswany, l’écrivain égyptien de L’Immeuble Yacoubian et soutien actif du soulèvement contre Hosni Moubarak, a comparé la révolution au fait de tomber amoureux. “Un homme vraiment amoureux devient une meilleure personne (…) Une révolution, c’est pareil”, pense-t-il. Ce n’est pas Mohamed Boudaâoua et Mouna Najah qui diront le contraire.
Le jeune homme de 22 ans et la jeune fille de 19 printemps sont tombés amoureux au fil des manifestations du M20. Et pourtant, ils n’auraient jamais pu se rencontrer s’ils avaient écouté leurs parents qui les dissuadaient de sortir protester dans la rue. Le père de Mohamed a même été jusqu’à organiser un voyage familial la veille du 20 février pour éloigner son fils de Casablanca. “J’ai quitté la maison discrètement. Ma sœur m’a jeté une couverture par la fenêtre pour passer la nuit au siège du PSU à Casablanca avant le sit-in du lendemain”, raconte Mohammed.
Le 20 février, Mohamed et Mouna se croisent sur la place des pigeons de Casablanca, sans se remarquer, perdus dans la foule. Ce n’est que quelques jours plus tard que Mohamed tombe sous le charme de Mouna et de ses grands yeux verts. Il lui parle le soir du sit-in du 13 mars, l’air de rien, avant d’enfourcher sa moto pour rentrer chez lui. “Je l’ai ajoutée sur Facebook le soir-même, on a commencé à discuter”. Le couple en cours de formation s’arrange pour faire partie de la commission de communication de la coordination casablancaise du M20. Ils couvrent les manifestations ensemble, Mohamed au guidon de sa moto, Mouna en passagère prenant les photos. Lors des marches, Mohamed protège Mouna comme la prunelle de ses yeux. “Lors de la deuxième manifestation à Sbata, je l’ai soulevée par son pantalon pour l’éloigner des forces de l’ordre qui chargeaient. Je savais que Rass’ha 9asse7, elle aime prendre des photos et reste trop près des forces de l’ordre quand ils chargent”, signale Mohamed, à qui l’amour a donné, ce jour-là, une force herculéenne. A Hay Mohammadi, le 15 mai, Mohamed est juché sur une Honda, scandant des slogans. Il remarque Mouna qui a grimpé à un arbre pour prendre des clichés. Il en profite pour lui faire une “spécial dédicace”, déclaration d’amour à la manière militante.
Leur histoire ne reste pas longtemps secrète pour la famille de Mouna. Son frère, membre d’Al Adl Wal Ihsane, remarque vite qu’elle est accompagnée d’un garçon lors des marches. Elle explique que c’est juste un ami qui fait partie, comme elle, de la commission de communication. Le frère de Mouna en rend compte à leur mère qui l’interroge sur la nature de la relation la liant à ce jeune homme. Lors d’une manifestation, Mohamed enlace les épaules de Mouna. Là, il n’y a plus de doute pour son frère : “C’est plus que de la communication”, lui signale-t-il.
Mohamed décide de sauter le pas et de demander Mouna en mariage. “Je viendrais parler avec tes parents après-demain”, la prévient-il. “Et pourquoi pas demain ?”, lui rétorque-t-elle. “Mais parce que demain on a une assemblée générale”, répond Mohamed. Mouna en rit encore. Mohamed annonce, lors d’un dîner familial, qu’il a l’intention de se marier. “Mes parents étaient heureux, ils se sont dit que le mariage allait m’éloigner du M20”, raconte, hilare, Mohamed, qui ne leur a pas dit que sa future femme était encore plus militante que lui.
Au cours de la cérémonie de mariage, Mohamed fait le signe de la victoire sur toutes les photos et lance des Ta7ia Nidalia devant des neggafates amusées par ce mariage inhabituel. Leur union a lieu un dimanche alors qu’une marche est prévue à Bernoussi. “Au milieu de la cérémonie, j’ai fait signe discrètement à Mouna pour qu’elle me rejoigne à l’extérieur. Je l’ai embarquée sur ma moto pour rejoindre la manifestation”. Mohammed et Mouna, encore vêtue de son jabador de cérémonie, sont accueillis par leurs amis militants avec du lait et des dattes. Et les youyous ont retenti au milieu de la marche. En lieu et place des habituels slogans plus prosaïque
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