Analyse. La fin du 20 ?

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Le mouvement du 20 février, qui représente aujourd’hui la première force d’opposition, se radicalise et perd de sa force de mobilisation. Il n’a ni leader ni idéologie, et il n’a pas pu se transformer en vraie force de proposition. Certains le voient disparaître après le référendum. Mais… 

Le Mouvement du 20 février fascine, inquiète, dérange. La déferlante contestataire a finalement pris tout le monde de court. Et ces jeunes, qu’on ne prenait pas au sérieux il y a tout juste quelques mois, se sont finalement imposés comme des acteurs incontournables de la scène politique et associative nationale. Mais le mouvement demeure insaisissable. Son organisation tentaculaire lui procure une force de frappe impressionnante, mais il ne dispose pas de leaders ou de porte-parole. Ses décisions, même les plus sensibles, sont prises lors d’assemblées générales où règne généralement un joyeux désordre. Certaines coordinations fonctionnent en totale indépendance et des désaccords flagrants (sur des questions pourtant essentielles) apparaissent au grand jour. Tout cela fait qu’aujourd’hui, de grandes questions taraudent les esprits. Le mouvement a-t-il (réellement) été récupéré par les extrémistes d’Al Adl Wal Ihsane, de la gauche radicale et de la mouvance salafiste ? Que penser des dispersions violentes des sit-in dans les quartiers populaires ? Les jeunes se sont-ils trop pris au sérieux, au point de tenter le diable en rêvassant de… renverser le régime ? Faut-il les brûler pour autant ? Que se passera-t-il après la tenue du référendum de juillet ? A toutes ces questions, nous ne pouvons apporter de réponses tranchées. La conjoncture reste imprévisible et ouverte à tous les scénarios.

Le mouvement s’est-il radicalisé ?
“Ila britou l’horiya, qalbouha jamhouriya”, “Ya Saddiss ya dictatour, waktach ijik Addour”, “Achaâb Yourid Isqat Annidam”… Plus durs, plus directs, ces slogans qui appellent à l’instauration d’une république, ou à la chute du régime, ont fait leur entrée dans les manifestations de dimanche dernier. Répétés en chœur par un petit groupe de manifestants à Rabat, ces appels à “en découdre avec la monarchie” font le buzz sur les forums sociaux et sont présentés, par certains, comme un signe avant-coureur de la radicalisation d’un mouvement que l’on croyait jusque-là modéré. C’est en tout cas la carte que joue l’Etat depuis quelques semaines pour contrer les manifestations, en mettant en évidence l’instrumentalisation des jeunes par des mouvements extrémistes comme Al Adl Wal Ihsane et certaines composantes de la gauche radicale. Khalid Naciri, porte-parole du gouvernement, l’avait d’ailleurs clairement affirmé au lendemain des manifestations réprimées du 22 mai : “Tant qu’on avait affaire à des jeunes qui réclamaient des réformes démocratiques, il n’y avait aucun problème. Mais là, nous sommes face à une autre configuration. Le mouvement a été infiltré par les gens d’Al Adl Wal Ihsane, de l’extrême gauche et de la Salafiya. Des courants que tout sépare…sauf leur volonté de déstabiliser le régime”. Depuis, cette thèse officielle a fait son petit bonhomme de chemin auprès d’une partie de l’opinion publique, érodant au passage le capital sympathie dont jouissait le mouvement à sa naissance. “C’est vrai, nous avons remarqué que la perception de l’opinion publique a changé à notre égard. Cela n’est nullement dû à une prétendue radicalisation du mouvement, mais surtout à la campagne de désinformation menée par les services de l’Etat”, répond Omar Radi, l’un des meneurs du mouvement. “Al Adl et Annahj ont accompagné le mouvement depuis sa naissance. Et leur position n’a pas changé depuis. Ils respectent à la lettre nos slogans et nos positions”, tranche le jeune militant. 
Quid des slogans républicains scandés ici et là par certains manifestants ? Là encore, Omar Radi désigne l’Etat comme responsable de la radicalisation d’une partie du mouvement. “Après les violences subies par les membres du mouvement, c’est normal que certains en veulent au chef de l’Etat. Mais ces slogans qui appellent à la chute du régime ne sont pas représentatifs, car ils ne sont pas récurrents. Ce sont des cas plutôt isolés”. Mustafa Miftah, membre dirigeant du Parti socialiste unifié (PSU) abonde dans le même sens. Il parle d’une “exaspération” du mouvement. “Depuis la libération des prisonniers politiques, il n’y a pas eu de signal positif de la part de l’Etat. On a eu droit, au contraire, à la violence, à la répression et à la propagande. Il était dès lors prévisible que les positions de certains se durcissent, sans que cela soit caractéristique de tout le mouvement”. 

Le mouvement a-t-il perdu de sa force de mobilisation ?
La grande marche nationale du dimanche 5 juin n’a finalement pas eu lieu. A Rabat, le Mouvement du 20 février a péniblement rassemblé 2000 manifestants et seule une poignée de leaders politiques et syndicaux ont répondu présent. Casablanca n’a pas fait mieux avec des estimations oscillant entre 3000 et 5000 marcheurs. Idem à Tanger. “Des chiffres à ne pas sous-estimer”, selon ce membre du mouvement, mais qui restent très loin des dizaines de milliers de Marocains qui ont battu le pavé le 20 février, le 20 mars ou encore le 24 avril dans différentes villes du pays. Le Mouvement du 20 s’essouffle-t-il pour autant ? Les Marocains seraient-ils devenus sourds à ses appels à manifester ? Difficile de trancher. “Il y a une dynamique de départ qui s’est perdue, analyse le sociologue Jamal Khalil. Entretenir cette dynamique supposait l’émergence de leaders charismatiques, la définition d’objectifs clairs et une organisation rigoureuse du mouvement. Or, ce dernier a choisi d’être populaire et de ne pas personnifier sa lutte pour des réformes politiques profondes”. 
Autre erreur stratégique du mouvement : le déplacement des manifestations dans les quartiers populaires. Cela a privé le “20 février” d’une catégorie de marcheurs appartenant aux classes moyennes supérieures. Ces dernières étaient parfaitement visibles lors des marches du 20 février puis du 20 mars, et participaient à contrebalancer (du moins au niveau de l’image) la prééminence de la présence islamiste lors de ces différentes marches de protestation. La migration des marcheurs vers les quartiers populaires a ensuite provoqué la colère des autorités publiques. “Au centre-ville, le terrain est balisé. Les autorités savent qu’elles peuvent tout contrôler. Ce n’est pas le cas dans les quartiers populaires et périphériques, où la police est sur les dents et où l’on déplore le plus de répressions brutales des forces de l’ordre”, avoue un militant actif de la coordination de Rabat. Cette violence policière aurait-elle dissuadé certains marcheurs de descendre dans la rue ? “Pas sûr, répond notre sociologue. Un excès ou un usage systématique de la violence peut encourager les gens à manifester davantage, à braver le danger pour crier leur indignation. Dans les interventions policières dont nous parlons, l’usage de la force est d’ailleurs aléatoire. Nos sécuritaires semblent donc être conscients de cette limite qui ferait basculer une partie de l’opinion publique”, conclut Khalil.
Il y a enfin la routine. Le Mouvement du 20 février s’est installé dans une sorte d’habitude contestataire. Ses membres ont en effet peu à peu abandonné leur démarche créative consistant à varier les méthodes de manifestation. Fini les sit-in artistiques, les campagnes pour le don de sang, la distribution de fleurs aux policiers, etc. “Sortir le dimanche n’a donc plus rien d’excitant pour un Marocain moyen, sans appartenance politique ou associative”, explique cet homme politique de gauche. “D’autant que nous sommes dans un temps d’attente et de doute, rappelle le sociologue. Plusieurs personnes ne savent plus trop quoi penser des réformes en cours, des accusations de radicalisation portées contre le mouvement, etc. Ils ne sont pas sûrs que ces manifestations servent à quelque chose. Certains pourraient donc préférer économiser leur énergie en attendant la publication du projet de la nouvelle constitution”.

Y a-t-il une logique dans la réaction de l’Etat ?
La réaction des pouvoirs publics n’a pas été la même face aux différentes manifestations organisées dans différentes villes du royaume depuis le début de l’année. Après avoir toléré les premières marches du dimanche 20 février, l’Etat est violemment intervenu pour disperser un sit-in organisé le dimanche 13 mars à Casablanca. “Les autorités voulaient ainsi nous signifier qu’il était désormais inacceptable de manifester après le discours royal du 9 mars”, explique un membre de la coordination casablancaise du mouvement. La réaction de l’opinion publique ne s’est pas fait attendre. Dimanche 20 mars, des dizaines de milliers de Marocains investissent les principales artères de plus de 50 localités, partout dans le pays. L’Etat est obligé de tempérer. Il change de stratégie et s’emploie désormais à dénigrer, dans les médias ou sur Internet, certaines figures du mouvement. Les officiels mettent en garde contre les risques de récupération de ce dernier par des courants extrémistes. Les manifestations se poursuivent à un rythme régulier. 
Puis, quand le mouvement décide de passer à la vitesse supérieure, la matraque refait (presque immédiatement) son apparition. D’abord à l’occasion du pique-nique organisé devant le siège de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST) à Témara, puis lors de différentes manifestations dans des quartiers populaires ou périphériques. Une violence qui n’épargne personne, pas même les femmes et les enfants présents aux alentours des lieux de manifestations. On retiendra, entre autres atrocités, cette vidéo montrant un policier qui arrête sa moto sur une avenue de Kénitra, sort une batte de baseball et commence à taper dans le tas. 
Pour Khalid Naciri, porte-parole du gouvernement, “il n’était pas question de laisser la rue entre les mains d’Al Adl Wal Ihsane, d’Annahj Addimocrati et de la Salafiya”. Face aux appels à manifester qui se multiplient, les autorités locales ont recours à une nouvelle technique. Des membres du 20 février reçoivent en effet des notifications nominatives leur interdisant de manifester, signées par les walis ou gouverneurs de leurs lieux de résidence. “Il n’est pas question de tolérer des sit-in nocturnes qui pourraient dégénérer à l’égyptienne et déboucher sur une issue inextricable”, nous explique ce haut responsable sécuritaire à Rabat. 
Après des semaines de tension, le mouvement “rapatrie” ses manifestations au centre-ville et abandonne l’idée des sit-in prolongés. L’Etat a-t-il gagné pour autant ? Rien n’est moins sûr. “Cette violence a fait douter une grande partie de l’opinion publique de la sincérité des promesses de réformes. Cela a également altéré l’image du pays à l’international”, confie ce membre du mouvement. Le 2 juin, une victime est même tombée à Safi. Kamal Ammari serait mort des suites “des violences qu’il a subies, en marge d’une manifestation du Mouvement du 20 février”, affirment des membres de sa famille, qui n’hésitent pas à contester les résultats de l’examen médico-légal. Cela suffira-t-il pour que les forces de police changent d’attitude à l’égard des manifestants ? Il est permis d’en douter. L’usage de la violence est très aléatoire. Il n’y a pas de logique. Les policiers ne sont souvent même pas d’accord entre eux lors de la dispersion des manifestations. Mais, une chose est sûre, l’Etat perdra des points précieux s’il continue à réprimer violemment les manifestations, en plus de pousser à la radicalisation les sympathisants du mouvement.

Les manifestations continueront-elles après le référendum ? 
Prévu pour la première semaine de juillet – le 1er selon Salaheddine Mezouar et le 7 selon d’autres sources officielles – le référendum fera entrer le Maroc dans une nouvelle ère. Quel est l’attitude du Mouvement du 20 février vis-à-vis de ce rendez-vous capital pour l’avenir du royaume chérifien ? Pour l’instant, rien ne filtre encore. Le mouvement, qui a toujours été contre le modèle des “constitutions octroyées”, ne sait pas encore quelle position adopter : participer ou boycotter ? “On peut jouer sur deux variables : le taux de participation ou le taux de refus. Si la majorité des membres décide de boycotter, on devra mobiliser la rue pour influer sur le taux de participation. Sinon, on ira voter pour dire non, et ça sera aussi significatif que l’action de boycott”, explique le militant Omar Radi, qui poursuit : “Au final, tout dépendra du texte qui sera soumis au vote et de la décision qui sera prise par les instances du mouvement”. 
Soit, mais que se passera-t-il si la majorité des Marocains approuve la nouvelle constitution ? Que deviendra alors le Mouvement du 20 février ? “Nous allons continuer notre action de protestation parce que la Constitution n’est pas une fin en soi. C’est juste un moyen. Nous militons pour une réforme de fond de l’appareil de l’Etat, et la Constitution ne saura à elle seule résoudre les problèmes quotidiens des Marocains”, tranche d’emblée Omar Radi. Un avis partagé par Omar Balafrej, jeune leader socialiste et président de la Fondation Bouabid : “Nous avons d’énormes défis sociaux à relever et le débat doit continuer. La société marocaine est en déliquescence. Il suffit que nous ayons deux années de sécheresse pour que tout bascule. Le mouvement de la rue ne doit pas s’arrêter”. Même discours chez Mustafa Miftah du PSU, qui reste confiant : “Le mouvement des jeunes va sûrement nous surprendre après le référendum. Je pense que ça va continuer et qu’il y aura peut-être des manières plus créatives de manifester. Ces jeunes ont laissé tomber leur vie tranquille et leur petit confort pour sortir dans la rue. Ce n’est pas demain qu’ils vont rentrer chez eux !”. 
Une réelle inquiétude subsiste cependant : si la majorité des Marocains approuve la nouvelle réforme, l’Etat ne risque-t-il pas d’utiliser cette carte pour légitimer davantage la répression des manifestations ? “Ce sera un mauvais calcul, répond Omar Balafrej. Cela montrera aux gens qui ont approuvé le nouveau texte constitutionnel que rien n’a changé au fond et qu’ils avaient finalement tort de voter oui”. Le mouvement ne bougera donc pas de sa ligne et la protestation devra continuer. Omar Balafrej va encore plus loin, souhaitant une participation massive des jeunes du 20 février aux prochaines élections législatives. Selon lui, “les jeunes doivent s’investir massivement dans l’action politique. L’idéal serait d’avoir des parlementaires issus du mouvement”. 

Faut-il brûler le 20 février ?
Quatre mois après le déclenchement des manifestations, plusieurs questions se posent dans l’espace public. Où va-t-on ? Faut-il faire confiance à ces jeunes ? Sont-ils porteurs de changement ou de déstabilisation ? Des questionnements somme toute légitimes selon ce politologue casablancais. “Ce qui se passe en Egypte ou en Tunisie ne rassure pas l’homme de la rue. Jusqu’à présent, et en attendant la démocratie, il ne voit que l’instabilité et les guerres intestines”, analyse-t-il. Au Maroc également, la question de l’utilité de la contestation sociale (qui se prolonge) se pose avec de plus en plus d’acuité. “Le doute et les questions liées à la conjoncture actuelle ne doivent pas nous faire oublier l’essentiel, estime Mustapha Miftah, dirigeant du PSU. Ce mouvement est porteur d’une dynamique sociale et politique sans précédent dans l’histoire récente du pays”. Le militant de gauche n’a pas tort. Quelques jours après les premières manifestations, en effet, le roi Mohammed VI prononçait un discours qualifié d’historique, où il lançait le chantier tant attendu de la réforme constitutionnelle. Selon plusieurs capitales internationales, “le roi répondait ainsi aux revendications de son peuple et évitait l’embrasement de la rue”. Presque au même moment, le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) était installé à Rabat et deux militants chevronnés placés à sa tête, Driss El Yazami et Mohamed Sebbar. Contrairement au CCDH, le CNDH dispose de prérogatives élargies, notamment concernant l’auto-saisine et l’enquête sur d’éventuels atteintes aux droits de l’homme. Son installation s’est accompagnée de la libération de 96 détenus islamistes, dans le cadre d’une grâce qui a bénéficié à 196 prisonniers pour la plupart salafistes, exclus de la grâce depuis 2006.
En décidant de manifester devant le siège de la DST, les jeunes du 20 février s’attaquaient à un grand tabou. Celui de l’existence d’une prison secrète où auraient été torturés des milliers de Marocains et d’étrangers, poursuivis dans le cadre de la lutte antiterroriste. La manifestation n’a évidemment pas eu lieu, puisqu’elle a été violemment dispersée par les forces de l’ordre. Mais dès le lendemain, des représentants du Parquet, du CNDH et des groupes parlementaires se rendaient sur place pour constater, au moment de la visite, l’inexistence d’un quelconque centre de détention secret à Témara. L’enquête ne dit cependant pas si un tel centre a existé par le passé. “La question reste légitime mais ce qui m’intéresse, affirme Mohamed Sebbar, c’est qu’aucun cas de torture dans une prison secrète n’a été signalé depuis l’installation du CNDH”. Le Maroc aurait-il décidé de tourner la page de la torture ? C’est, en tout cas, ce que semble suggérer l’ancien président du Forum vérité et justice (FVJ). Entre-temps, de larges pouvoirs ont été accordés au Conseil de la concurrence et à l’Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC). Des affaires de détournements constatés par la Cour des comptes ont été réactivées, certains anciens responsables ont même été entendus par la police judiciaire. “Cette dynamique aurait été impossible sans le Mouvement du 20 février et sans la dynamique enclenchée dans la région arabe. Le Maroc ne pouvait en aucun cas rester en dehors de ces évènements”, affirme Mustapha Miftah. 

 

Kamal Ammari. Le martyr du mouvement

Ce jeune Mesfioui est brusquement sorti de l’anonymat. Gardien de nuit au port de la ville, il serait décédé après avoir été passé à tabac par les forces de l’ordre. Officiellement, il serait mort d’une “pneumopathie extensive”. Le point.

“Assassins, nous voilà !”, “Le peuple veut la tête des assassins”… L’ombre de Kamal Ammari a plané sur presque toutes les marches organisées dans différentes localités, ce dimanche 5 juin. Des photos du “martyr du mouvement” ont d’ailleurs été brandies par les manifestants, accompagnées de slogans accusateurs envers le Makhzen. Kamal Ammari, puisque c’est de ce jeune Mesfioui qu’il s’agit, est mort le 2 juin à l’hôpital de la ville. Son décès suscite toujours une vive polémique entre le Mouvement du 20 février et les autorités publiques. Kamal aurait fêté ses 30 ans le 24 août prochain. Issu d’une famille modeste habitant un quartier populaire de Safi, il avait décroché une licence en physique il y a quelques années. Mais son diplôme ne lui avait pas servi à grand-chose. Dans une ville écrasée par le chômage et la pauvreté, le jeune homme s’était très vite rendu à l’évidence et avait accepté un poste dans une société de gardiennage, qui l’avait affecté au port commercial de la ville. Pour arrondir ses fins de mois, ce jeune, qu’on présente sans histoire, donnait des cours du soir en mathématiques et en physique. Il coulait ainsi des jours tranquilles, jusqu’au 29 mai dernier.

La version de la famille
Selon la famille Ammari, mais aussi des membres du Mouvement du 20 février à Safi, Kamal aurait assisté au début de la manifestation (réprimée) du 29 mai, avant de rejoindre son travail. C’est sur le trajet du port que des policiers l’auraient intercepté. Après une vérification des papiers de sa mobylette, le jeune Mesfioui avoue avoir participé à la manifestation du jour.
C’est alors que les coups auraient commencé à pleuvoir sur le jeune homme. En tout, sept policiers et éléments des Forces auxiliaires s’acharnent sur Kamal, tombé par terre. Son état est déplorable. Des habitants lui procurent quelques soins élémentaires, mais le jeune homme refuse de se rendre à l’hôpital. “Il avait peur d’être arrêté. L’hôpital de la ville était totalement encerclé par la police ce jour-là”, explique sa famille dans un communiqué publié en début de semaine. Un médecin généraliste privé l’ausculte sommairement et lui prescrit quelques calmants. Trois jours plus tard, soit la veille de son décès, Kamal est pris de nausées et son état s’aggrave. Il revoit un autre médecin qui lui prescrit un nouveau traitement. Sans succès. En désespoir de cause, sa famille décide de le conduire à l’hôpital de la ville où Kamal rend l’âme après six heures passées en soins intensifs. L’information se propage telle une traînée de poudre. La ville entière est en deuil. Une marche et un sit-in ont lieu le jour-même. Le 4 juin, ses funérailles ont rassemblé plusieurs milliers de personnes, dont des leaders syndicaux et des responsables d’associations de défense des droits de l’homme.

La pneumopathie bénigne qui tue… 
En face, l’Etat n’est pas resté les bras croisés. Après avoir nié être responsables du décès de Kamal Ammari, les autorités locales procèdent à un examen médico-légal pour en déterminer les causes. Le procureur général du roi ordonne même une enquête, confiée (signe de la gravité des faits) à la Brigade nationale de police judiciaire (BNPJ). Trois médecins légistes sont désignés par le Parquet. Et, selon eux, Kamal Ammari aurait été victime d’une “pneumopathie extensive avec anoxie cérébrale” qui nécessitait un traitement précoce et adéquat. Cette pneumopathie aurait été aggravée par “un traumatisme thoracique”. Quelle est l’origine de ce traumatisme ? Mystère. Le rapport médico-légal reste évasif sur cette question. 
Un rapport déjà contesté par la famille Ammari, qui indique que Kamal ne souffrait d’aucune maladie, et s’en tient à la version initiale : le décès de son fils est dû aux coups qu’il a reçus de la part des policiers qui l’ont attaqué le 29 mai. Pour preuve, la famille cite les bleus constatés sur le corps et le visage du jeune Mesfioui. Même son de cloche de la part des organisations de défense des droits de l’homme. L’OMDH a déjà appelé à faire toute la lumière sur cette affaire et “traduire les présumés bourreaux de Kamal Ammari devant la justice”. AFD International a dépêché une commission d’observation sur place. Côté officiel, le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) vient d’achever une mission d’enquête à Safi. “Nous avons entendu tout le monde, autorités, famille, témoins… et nous rendrons notre rapport dans les jours à venir”, indique un membre de cette mission qui a quitté Safi mardi dernier.

 

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