Gouvernement islamiste. Ce qu’il a (un peu) réussi et ce qu’il a (déjà) raté

Par

 

Depuis son arrivée aux affaires, l’équipe de Benkirane a multiplié  les errements, les audaces et les échecs. TelQuel dresse un bilan d’étape aussi riche que complexe.

100 jours pour convaincre

Le gouvernement de Abdelilah Benkirane a bouclé ses 100 premiers jours. Que retenir des premiers pas du gouvernement barbu de Sa Majesté ? L’exécutif a-t-il tenu ses promesses de campagne ? TelQuel dresse le bilan d’un premier trimestre mitigé. Cent jours ont été suffisants pour ramener le gouvernement Benkirane sur terre. Aux oubliettes les prévisions insolentes de croissance, les attaques frontales contre les conseillers royaux et la fougue des débuts. En découvrant le poids très lourd de sa fonction, le Chef du gouvernement s’est également rendu compte de l’urgence de la situation. Emeutes urbaines, sécheresse, grèves à répétition… la conjoncture n’aura pas laissé de répit au premier gouvernement islamiste de l’histoire du royaume. L’Exécutif a également eu droit à ses premiers dossiers chauds : censure de la presse, affaire Amina Filali, débat sur l’avortement, etc. La cohésion gouvernementale en est sortie fragilisée, fissurée mais pas écroulée.

Mais sur certains registres, le gouvernement Benkirane a marqué des points (positifs). Citons, à titre d’exemple, la publication des agréments de transport, la grâce des idéologues salafistes ou encore l’instruction des grandes affaires de corruption. Sauf que, par ailleurs, il a beaucoup déçu en se couchant devant le Palais, laissant passer plusieurs nominations stratégiques en Conseil des ministres et cautionnant le projet du TGV en pleine crise économique.

Le gouvernement a aussi cruellement manqué de courage et d’innovation dans la rédaction de sa première Loi de Finances ou dans son refus d’abroger le fameux article 475, qui permet à un violeur d’échapper à la prison s’il épouse sa victime. Enfin, l’Exécutif a fait trembler les démocrates de tous bords en se prononçant en faveur d’un art propre, en interdisant les spots publicitaires pour la loterie nationale à la télévision ou en faisant un amalgame dangereux entre tourisme de masse et tourisme sexuel.

Certes, il faut laisser le temps au temps. Le mandat de l’actuelle équipe gouvernementale court jusqu’en 2017. Elle aura donc largement la possibilité de se rattraper … ou de décevoir. En attendant, Abdelilah Benkirane aura quand même réussi une belle prouesse : imprimer un nouveau style, moins coincé et plus populaire, à la fonction de Chef de gouvernement. Au travail maintenant ! Driss Bennani

Ils ont gracié les salafistes

Février 2012. Trois idéologues salafistes retrouvent la liberté, après plus de huit ans d’emprisonnement pour des affaires liées au terrorisme et à l’extrémisme religieux. Une première victoire pour Mustafa Ramid, ministre de la Justice et ancien avocat des trois graciés. “J’ai proposé les noms des chioukh à Sa Majesté qui a accédé à ma requête”, a expliqué Ramid, qui regrette toutefois que le journaliste Rachid Niny ait été exclu de cette mesure. “Son nom figurait aussi sur la liste, mais Sa Majesté m’a personnellement expliqué que si Niny avait manqué de respect à la personne du roi, il l’aurait gracié. Or M. Niny a porté atteinte à des institutions de l’Etat. Il ne lui appartient donc pas de le gracier”, a notamment rapporté le ministre de la Justice.

Aujourd’hui, les chioukh salafistes essayent de s’intégrer dans le nouveau paysage politique, médiatique et associatif marocain. Ils n’excluent pas la création d’un parti politique ou d’une association pour défendre leurs intérêts et promouvoir leurs idées. Brrrr !

 Ils autorisent les banques islamiques

Voilà une idée qui fait doucement son chemin… Le gouvernement souhaite encourager l’installation des premières grandes banques islamiques dans le royaume. Un projet de loi, préparé par les députés de la formation islamiste, devrait bientôt être mis dans le circuit législatif. Les motivations d’une telle mesure ? Elles sont nombreuses, selon les économistes du parti. D’abord élargir le cercle des bénéficiaires des produits bancaires, dopant ainsi la consommation intérieure et le taux de croissance. Par ailleurs, le créneau est susceptible d’intéresser les établissements financiers des pays du Golfe, prêts à investir plusieurs millions de dollars dans ce marché encore vierge. Enfin, la banque islamique ne viendrait pas remplacer le système bancaire classique mais le concurrencer, offrant plus de choix aux clients.

 Ils matent les manif’

C’est l’un des tout premiers dossiers chauds que l’équipe Benkirane a eu à gérer. A peine nommé, l’Exécutif a dû contenir la colère de la rue qui l’a porté au pouvoir. Une équation difficile. Après quelques tentatives de dialogue (notamment avec les diplômés chômeurs), le gouvernement est passé aux méthodes fortes. Lassé par les occupations d’administrations publiques et les sit-in à répétition, Abdelilah Benkirane s’exprime en faveur du “recours à la force pour rétablir la hiba (l’autorité) de l’Etat”.

Il n’en fallait pas plus pour que le ministère de l’Intérieur reprenne ses vieilles habitudes. Depuis, la répression est de mise : rares sont les manifestations qui échappent aux gourdins des Forces auxiliaires et des CMI. Et partout dans le pays, des activistes sont poursuivis (et parfois incarcérés) pour trouble à l’ordre public.

Ils ont cautionné l’article 475

Le suicide d’Amina Filali, mariée de force à son violeur à Larache, a accentué la ligne de fracture entre un gouvernement conservateur et le camp des progressistes. Face à la levée de boucliers contre l’article 475 du Code pénal, qui accorde l’impunité à une personne ayant détourné une mineure s’il l’épouse, Mustafa Ramid, le ministre de la Justice et des Libertés, a préféré botter en touche, se contentant d’affirmer que, dans le cas d’Amina Filali, la loi avait été respectée au pied de la lettre. “La défunte entretenait une relation consentante avec l’homme qu’elle a épousé”, a-t-il déclaré en substance. Que faire du détournement de mineur dans ce cas ? Peut-on réellement parler de consentement dans le cas d’une fillette de 15 ans ?

Au lieu de répondre à ces questions épineuses, la ministre de la Famille et du développement social, Bassima Hakkaoui, a préféré quant à elle se réfugier dans l’argument sociétal. “Le mariage de la violée à son violeur ne lui porte pas un réel préjudice”, a-t-elle notamment expliqué, cautionnant ainsi un archaïsme de plus dans les législations nationales, au détriment de l’intégrité physique des femmes et des enfants.

Ils n’ont pas suspendu le projet du TGV

Les leaders du PJD ont opéré un virage à 180 degrés concernant le projet de ligne à grande vitesse (TGV). Le projet hier encore “économiquement très coûteux et inutile”, comme le soulignait l’économiste en chef du parti de la lampe, Lahcen Daoudi, devient aujourd’hui incontournable.

“Nous ne pouvons pas faire marche arrière. C’est un contrat qui a déjà été signé et qu’il faut honorer. Le contraire porterait gravement atteinte à la crédibilité du royaume à l’international”, explique un ministre islamiste. Dans son budget 2012, le gouvernement a d’ailleurs déjà prévu de débourser 5 milliards de dirhams pour la réalisation d’une première tranche, alors qu’il aurait pu rééchelonner l’investissement en ces temps de crise. Mieux (ou pire), l’Exécutif s’est d’ores et déjà engagé à lancer la deuxième phase du projet, reliant Casablanca à Marrakech, avant 2015.

Ils coûtent moins cher à l’Etat

Abdelilah Benkirane et ses poulains ne veulent surtout pas faire dans le bling-bling. Le Chef du gouvernement refuse de quitter sa modeste maison du quartier des Orangers, à Rabat, le porte-parole du gouvernement conduit lui-même sa voiture, le ministre de la Justice et des libertés fait la navette en train entre Rabat et Casablanca, tandis que Lahbib Choubani, le ministre des Relations avec le parlement affirme “continuer à fréquenter la mosquée et le hammam de son quartier”. Coup médiatique ou réelle restriction budgétaire ? Les deux, nous répond ce dernier. “Ce genre d’actions apparentes sont importantes pour marquer une rupture chez l’opinion publique. Mais le gouvernement a lancé une véritable traque aux dépenses inutiles dans les différents départements. L’Etat n’a plus le droit de vivre dans une opulence dont il n’a pas les moyens”, conclut-il.

 Ils n’ont toujours pas révélé le salaire de Gerets

Si le gouvernement a réussi à révéler la liste exhaustive des titulaires d’agréments de transport, il bute toujours sur le salaire du sélectionneur national Eric Gerets. Les députés islamistes étaient pourtant les plus virulents sur le sujet. Mustafa Ramid, ministre de la Justice et des Libertés, était par exemple allé jusqu’à dire “que ce genre de comportements dénotent d’un mépris pour le peuple et ses représentants au sein du parlement”. Rien que ça !

Dans ce cas, qu’est-ce qui empêche le gouvernement de corriger ce qu’il qualifiait “d’aberration” ? Mystère. Le ministère de la Jeunesse et des Sports renvoie la balle à la Fédération royale marocaine de football, qui se réfugie, à son tour, derrière la clause de confidentialité figurant sur le contrat de l’entraîneur belge, que certains dirigeants du PJD avait jugé “anticonstitutionnelle” avant de prendre les rênes du pouvoir.

Ils veulent réguler la presse électronique

En attendant de réformer le Code de la presse, le gouvernement s’attaque au chantier de la presse électronique. Selon le ministre de la Communication, “c’est un média à part entière puisqu’il existe 400 portails d’information au Maroc. On ne peut pas continuer à les ignorer”. Le responsable islamiste a commencé par organiser une journée d’étude à Rabat, où ont été conviés les principaux responsables de ces sites. Parmi les recommandations émises lors de cette rencontre : l’édition d’un livre blanc pour le développement du secteur, l’établissement d’une charte déontologique et l’octroi de la carte de presse aux e-journalistes. Le ministre a même émis l’idée de réserver une subvention publique aux portails d’information, à l’instar de ce qui se fait pour les titres de la presse écrite. Reste à déterminer les critères de choix et le montant de ces subventions.

Ils ont enterré le débat sur l’avortement

Le PJD, qui n’avait pas abordé la question de l’avortement dans son programme électoral, n’a pas pu éviter cette thématique une fois au pouvoir. Sur ce point épineux, à cheval entre religion, santé et libertés individuelles, le gouvernement Benkirane n’a pas parlé d’une même voix. Le ministre de la Santé, El Hossein El Ouardi, s’est par exemple prononcé pour une légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), arguant des 600 avortements clandestins qui seraient quotidiennement pratiqués au Maroc. Niet, lui a répondu la ministre de la Famille et de la Solidarité, Bassima Hakkaoui. “Avorter équivaut à tuer une personne. C’est un débat qui ne peut être tranché qu’à travers un référendum populaire et l’intervention des ouléma”, a-t-elle notamment déclaré. Résultat : le débat sur la question, pourtant bien parti il y a quelques mois, est au point mort.

Ils s’entendent plutôt bien avec le patronat

Le 6 mars dernier, le Chef du gouvernement et le patron des patrons ont signé un mémorandum d’entente. Par cet accord symbolique, ils entérinent le principe de la contribution des grandes entreprises au Fonds de solidarité (budgétisé à 1,2 milliard de dirhams) destiné à alléger la lourde charge de la compensation. Concrètement, les entreprises marocaines qui réalisent un bénéfice dépassant les 200 millions de dirhams devront contribuer à hauteur de 1,5% de leur résultat afin d’alimenter ce nouveau fonds.

Mais au-delà de cet aspect technique, l’accord est révélateur d’une certaine idylle entre Abdelilah Benkirane et Mohamed Horani, président de la CGEM. Quelques semaines avant la signature de ce protocole, les deux hommes avaient fait le déplacement, ensemble, à Davos pour participer au Forum économique mondial. Ils ont donc eu largement le temps de discuter et d’accorder leurs violons. Il n’empêche que, pour prouver sa force, cet esprit de collaboration devra résister aux amendements de la Loi de Finances et surtout, au premier round du dialogue social quand les syndicats se joindront aux négociations. Ce qui n’est pas gagné.

Ils ont raté le budget 2012

Ce n’est que trois mois après sa nomination que le gouvernement PJD a enfin pu présenter un projet de Loi de Finances au parlement. Et encore, le budget 2012 n’est qu’une version réchauffée de l’ancienne mouture élaborée par l’équipe sortante. Le texte, qui repose sur des hypothèses obsolètes, se fixe des objectifs irréalisables. Même la banque centrale est venue mettre en doute le taux de croissance de 4,2% prévu par l’équipe Benkirane, et qui ne convainc personne.

Les faits sont clairs : le gouvernement disposera à peine d’une moitié d’année pour exécuter son budget. Conséquence : les promesses d’investissements publics – qui contribuent fortement à la croissance — ne pourront jamais être intégralement tenues. L’année 2012 s’avère donc compliquée et se soldera sans doute par un déficit budgétaire abyssal. La dette publique devrait d’ailleurs avoisiner les 500 000 milliards de dirhams. Cela ne semble pas, pour autant, empêcher l’Exécutif de se projeter dans l’avenir. En 2013, selon certains ministres, on aura droit à une nouvelle approche d’élaboration de la Loi de Finances, avec l’adoption d’une loi organique plus appropriée.

Ils ont lâché les établissements stratégiques

La première loi organique préparée par le nouvel Exécutif détermine la liste des établissements et entreprises publics jugés stratégiques. Les patrons de ces organismes sont nommés en Conseil des ministres, présidé par le roi en personne, tandis que pour les autres structures (jugées a priori moins stratégiques), les responsables sont directement désignés par le Chef du gouvernement, sans avoir recours au sceau royal. Cette liste est donc un baromètre de la marge de manœuvre dont dispose le gouvernement, puisque ces offices, agences et sociétés sont le fer de lance de la conduite des politiques publiques. La répartition qui ressort de ce projet de loi est, de façon évidente, à l’avantage de la monarchie. Le roi garde la main haute sur les fleurons du secteur public : OCP, RAM, SNRT, CDG, ONCF, CNSS, BCP, Al Omrane, etc.

Le gouvernement, lui, n’a hérité que des structures dites “compliquées”, comme la Caisse de compensation ou les centres hospitaliers universitaires (CHU). L’Exécutif n’a ainsi rien pu décrocher de “prestigieux”, si ce n’est quelques rares administrations comme l’Office national marocain du tourisme (ONMT), le gendarme du marché financier (CDVM), le Centre cinématographique marocain (CCM) ou encore l’Agence pour le développement des investissements (AMDI).

Ils ont mal géré les émeutes

Un collectif de 17 ONG de défense des droits de l’homme s’est récemment rendu à Taza pour faire la lumière sur les émeutes qui ont secoué la ville en février 2012. Le constat est sans appel : le gouvernement a mal géré la situation. Ce collectif associatif dénonce “l’usage excessif de la force contre les manifestants”, notamment dans le tristement célèbre quartier d’El Koucha. Mais Taza n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Durant les trois derniers mois, des émeutes ont éclaté un peu partout dans le pays, sur fond de revendications sociales. Dans le Rif, les confrontations entre manifestants et forces de l’ordre (aux méthodes pour le moins musclées) ont duré plusieurs jours à Beni Bouayach, Imzouren et Al Hoceïma. Le même scénario s’est répété à Beni Mellal puis à Sidi Ifni. Et, à chaque fois, le gouvernement a préféré faire profil bas en attendant le passage de la tempête, déléguant la gestion de ces révoltes aux seuls services de sécurité. Aucun ministre n’a, par exemple, fait le déplacement dans ces zones chaudes pour dialoguer avec les populations et tenter de contenir leur colère.

Ils renforcent l’internationale islamiste

Depuis le début du Printemps arabe, le PJD cherche à consolider davantage ses relations avec les partis islamistes des pays voisins. Des représentants de la formation politique marocaine ont ainsi assisté aux congrès constitutifs des partis islamistes en Algérie, en Tunisie et en Egypte. Les ministres du gouvernement Benkirane profitent également de leurs missions à l’étranger pour s’entretenir avec leurs homologues “barbus”, qui sont accueillis, à leur tour, en grande pompe au Maroc. D’un autre côté, le PJD conserve aussi son tropisme turc.

L’expérience du parti de Recep Tayyip Erdogan est toujours une grande source d’inspiration pour les islamistes de Sa Majesté. Bref, l’internationale islamiste se renforce jour après jour. Faut-il s’en inquiéter ? “Absolument pas, répond un dirigeant du PJD. Cela conforte la présence du Maroc à l’international. Et puis je ne vois pas pourquoi on interdirait au PJD ce qui est permis aux autres partis”, conclut-il.

Ils laissent faire les comités populaires

L’arrivée au pouvoir du PJD s’est accompagnée de l’apparition de groupes, communément appelés comités populaires, dans plusieurs villes du pays. Ils se donnent pour mission de veiller au respect des bonnes mœurs. A Martil et à Tétouan, certains de ces groupes ont attaqué des salles de jeux et des cafés servant du narguilé, qu’ils considèrent comme des “lieux de débauche”.

Dans la petite localité de Aïn Leuh, dans la région de Khenifra, des coordinations hétéroclites se sont substituées à l’Etat pour faire la chasse aux prostituées et à leurs clients. Au lieu d’intervenir pour empêcher ces Harkas des temps modernes, les autorités locales ont préféré tout nier en bloc.

A Kénitra, une autre coordination, rassemblant près de 100 associations locales (pour la plupart pro-PJD), s’est mobilisée pendant plusieurs jours pour réclamer le retrait de la licence d’alcool à un restaurant du centre-ville. Le gouvernement, pourtant très ferme à l’égard des manifestants sociaux, continuera-t-il longtemps à fermer les yeux sur ce genre de groupes ?

Ils luttent contre l’économie de rente

Abdelilah Benkirane avait promis de lutter contre l’économie de rente s’il gagnait les élections. Et il est effectivement passé à l’action deux mois à peine après son entrée en fonction, via son ministre de l’Equipement et du Transport.

Aziz Rabbah a ouvert le bal en publiant la liste complète des bénéficiaires d’agréments de transport. Une petite révolution dont il faudra se contenter… pour le moment ! Car le successeur de Karim Ghellab n’a toujours pas dévoilé la liste des bénéficiaires d’agréments pour l’exploitation de carrières de sable et de pêche hauturière. Il faut dire que, pour le coup, Rabbah risque de déterrer de gros poissons : hauts gradés de l’armée, dignitaires du régime, etc. Autre déception : la divulgation de la liste de Rabbah n’a été suivie d’aucune proposition pour le démantèlement de ce système de rentes ou au moins son épuration.

Ils assurent le show

Indéniablement, Abdelilah Benkirane a conféré un nouveau style à la fonction de Chef de gouvernement. Aux oubliettes l’obligation de réserve, le protocole figé et le ton obséquieux des hauts commis de l’Etat. Le patron du PJD joue la carte de la spontanéité et donne de sa propre personne. A Davos comme à Casablanca, il n’hésite pas à abandonner les discours rédigés par ses conseillers pour échanger avec ses interlocuteurs en toute décontraction. L’homme est également plus ouvert aux rapports avec la presse.

Il a accordé en trois mois plus d’interviews que son prédécesseur en quatre ans. Et dans chacune de ses sorties médiatiques, le Chef du gouvernement n’a pas manqué de distiller quelques anecdotes croustillantes. Il va même jusqu’à révéler le contenu de certaines de ses discussions avec le monarque. Inimaginable du temps de Abbas El Fassi, de Driss Jettou et des autres anciens locataires de la primature.

Ils exhument les affaires de corruption

CIH, ONDA, CNSS… le gouvernement déterre les grandes affaires de corruption les unes à la suite des autres. Et des têtes commencent déjà à tomber. Abdelhanine Benallou, ancien DG de l’Office national des aéroports (ONDA) croupit, depuis plusieurs semaines, en prison en attendant l’ouverture de son procès pour abus de pouvoir et dilapidation de deniers publics. Khalid Alioua, ancien DG du CIH, est devenu quant à lui un habitué des locaux et des interrogatoires de la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) qui poursuit ses enquêtes sur la base du rapport de la Cour des comptes 2009. Entre-temps, le ministre de la Justice et des Libertés, Mustafa Ramid, a déjà affirmé que les dossiers de mauvaise gestion —révélés par le rapport 2010 de la juridiction financière— seront instruits en moins de six mois. “Les dossiers directement remis au ministère de la Justice (et qui contiennent donc des infractions graves) seront traités en 24 heures”, s’engage Ramid.

Ils déclarent leur patrimoine

Quelques jours à peine après leur nomination, plusieurs ministres du PJD se sont empressés de dévoiler la liste de leur patrimoine à la presse. Voitures, maisons, comptes en banque… tout y passe. La démarche est originale, bien qu’elle ne soit pas obligatoire. Les grands fonctionnaires de l’Etat et les élus sont certes tenus de déposer leurs déclarations de patrimoine auprès de la Cour des comptes. Mais celle-ci n’est pas habilitée à les rendre publiques. Pourquoi l’avoir fait dans ce cas ? “Pour marquer une rupture et donner un signal fort à l’opinion publique ainsi qu’aux autres hauts fonctionnaires et élus”, répond un ministre PJD. Une fois en poste, certains ministres du nouveau gouvernement ont même tenu à révéler le montant de leurs revenus. Abdelilah Benkirane a, par exemple, déclaré qu’il perçoit un salaire net de 50 000 dirhams, alors que les indemnités versées au Chef du gouvernement sont d’au moins 100 000 dirhams. “Si quelqu’un sait où va la différence, merci de me le dire”, a-t-il rétorqué lors de l’une de ses fameuses sorties médiatiques.

Ils rapprochent le Maroc et la Turquie

Saâd-Eddine El Othmani a été le premier ministre des Affaires étrangères marocain à se rendre en visite officielle en Turquie depuis 25 ans ! Le PJD, qui n’a jamais caché son admiration pour le modèle turc, aimerait renforcer les liens commerciaux et politiques entre Rabat et Ankara. Et c’est tant mieux. Le pays d’Erdogan est aujourd’hui considéré comme une puissance économique et militaire incontournable dans la région. A cheval entre l’Europe et l’Asie, il constitue une plateforme commerciale et diplomatique de premier ordre pour les opérateurs marocains, sans oublier les investissements turcs qui pourraient affluer vers le royaume.

Ils croient au Maghreb

Saâd-Eddine El Othmani a réservé l’une de ses toutes premières visites officielles à l’Algérie. Le nouveau chef de la diplomatie marocaine a été reçu en grande pompe par le président Abdelaziz Bouteflika, avec qui il s’est mis d’accord pour accélérer le processus de normalisation entre les deux pays. En attendant, El Othmani a accueilli au siège de son ministère à Rabat les chefs de la diplomatie des cinq États du Maghreb.

Débarrassés de leurs anciens dirigeants, la Tunisie et la Libye semblent vouloir établir des ponts avec le royaume de Mohammed VI. Idem pour la Mauritanie qui, malgré quelques accidents de parcours, reste attachée à la coopération sécuritaire avec le Maroc. Le Maghreb renaîtra-t-il sous l’influence des gouvernements islamistes qui y ont pris le pouvoir ? Difficile de trancher.

Ils encouragent le don d’organes

L’initiative est à mettre sur le compte du ministre de la Justice et des Libertés, Mustafa Ramid. Tout a commencé quand la fille de ce dernier, étudiante en médecine, a soutenu une thèse sur la thématique du don d’organes. Le responsable islamiste consulte alors les registres dédiés à cette opération et découvre que seuls 28 Marocains ont fait don de leurs organes en l’espace de six ans.

Mustapha Ramid décide donc de donner l’exemple en inscrivant son nom ainsi que celui de son épouse sur la liste des donneurs potentiels. La signature se fait en marge de la soutenance de sa fille, devant l’objectif des photographes présents. Depuis, d’après un acteur associatif casablancais, le nombre de dons d’organes serait en constante progression. Mais aucun chiffre officiel n’est disponible pour le moment.

Ils veulent interdire Mawazine

S’il y a bien un sujet qui ne fait pas l’unanimité au sein du gouvernement Benkirane, c’est bien Mawazine. Fin février, Lahbib Choubani, ministre des Relations avec le parlement et la société civile, a affirmé que “ce festival doit disparaître, parce qu’il n’est pas compatible avec les principes de bonne gouvernance, vu qu’il est financé par les deniers publics”. Quelques jours plus tard, sur Hit Radio, Mohamed Amine Sbihi, ministre de la Culture, répond aux attaques de son collègue en lui demandant de “respecter les goûts des Marocains” et en expliquant que l’évènement “est financé par des sponsors privés”.

Finalement, c’est le Chef du gouvernement qui a fini par intervenir pour remettre les pendules à l’heure, en affirmant lors d’une conférence de presse que “Mawazine n’a aucune raison de disparaître, maintenant qu’il a acquis son public”. La polémique est-elle pour autant close ? Rien n’est moins sûr.

Ils censurent la presse étrangère

C’est généralement le test numéro 1 de tout nouveau ministre de la Communication. Et Mustapha El Khalfi y a échoué, comme tous ses prédécesseurs. Quelques semaines à peine après son entrée en fonction, le jeune ministre islamiste a en effet interdit la distribution de trois publications étrangères au Maroc. L’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur et le quotidien espagnol El Pais en ont notamment fait les frais.

En cause : un dessin montrant une scène jugée offensante du film iranien Persepolis et des extraits du brulôt Le roi prédateur, signé par Catherine Graciet et Eric Laurent. “Le gouvernement, fraîchement nommé, avait besoin de rassurer le Palais”, confie un observateur. “Ce sont des décisions que nous assumons pleinement. Mais pour la première fois, un ministre de la Communication prend la peine de justifier sa décision et d’en discuter avec les titres interdits”, se défend El Khalfi. Insuffisant.

Ils veulent un art propre

La liberté de création a souvent été un sujet de frictions avec les islamistes. Cela n’a pas changé depuis leur accession au pouvoir. Des ministres islamistes se sont ainsi clairement prononcés pour un “art propre, respectueux des valeurs et des traditions marocaines”. Inacceptable et dangereux. Artistes, intellectuels et acteurs associatifs se sont même constitués en collectif pour militer en faveur d’un art libre et décomplexé.

Un manifeste a ainsi vu le jour, rassemblant les signatures de plusieurs personnalités marocaines. La bataille est-elle pour autant gagnée ? “Non, confie un réalisateur. C’est une première manche. Le sursaut d’une partie du milieu artistique a remis ces gens à leur place. Mais il n’est pas exclu qu’ils reviennent à la charge, d’une manière ou d’une autre”, prévient notre interlocuteur. Vigilance !

Ils acceptent de passer par El Himma

Abdelilah Benkirane et Fouad Ali El Himma semblent avoir définitivement enterré la hache de guerre. Les deux hommes, qui se sont tant chamaillés par le passé, ont vite fait d’oublier leurs conflits depuis qu’ils sont respectivement devenus Chef du gouvernement et Conseiller du roi Mohammed VI.

“J’ai combattu El Himma parce qu’il voulait contrôler le champ politique à travers le PAM. Maintenant qu’il est revenu à sa place naturelle aux côtés de Sa Majesté, je le traite avec le respect dû aux collaborateurs du monarque”, explique Benkirane. Avant d’ajouter ensuite : “Je passe par lui pour transmettre des messages à Sa Majesté ou pour demander son avis. Mais, globalement, mes contacts avec le roi sont plus nombreux que ceux avec El Himma”.

Ils sont dépassés par l’affaire L7a9ed

Le jeune rappeur des quartiers pauvres, icône du Mouvement du 20 février, a été libéré peu de temps après l’arrivée des islamistes aux affaires. Y étaient-ils pour quelque chose ? Non. La preuve, Mouad Belghouat, alias L7a9ed, vient de nouveau d’être arrêté pour une “affaire politique” (en fait, un morceau de rap !) à l’insu des islamistes. Sur le dossier du rappeur casablancais, comme celui du banquier Khalid Oudghiri, récemment gracié, les islamistes restent passifs, abandonnant la partie aux hommes du roi et à leurs circuits préférentiels.

Un comportement qui n’est pas sans rappeler celui des anciens gouvernements, qui n’ont jamais bronché (mais toujours endossé !) sur des affaires touchant directement aux intérêts de la monarchie. 

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer