Il y a un avant et un après FB, et des notions comme l’amour, le couple, les rencontres, ne sont plus les mêmes, changeant du tout au tout. Bienvenue dans le monde de la cyber-drague, l’hyper-flicage et l’abondance de sexe.
C’est un triste lundi de rentrée. Hanane s’ennuie à son bureau et passe son temps à rafraîchir le fil d’actualité de sa page Facebook. Un commentaire d’un certain Issam posté sur la fan page de Shakira titille sa curiosité. Après avoir checké la photo de son profil, son âge, son job, ses amis et ses influences, elle décide de l’ajouter. Hanane est plutôt jolie, il n’hésite pas à l’accepter, non sans s’être préalablement détaggé des photos qui ne le mettent pas à son avantage. S’ensuit un long échange par inbox en rapport avec le passage de la diva latina à Mawazine, avant qu’ils ne se décident à affronter la spontanéité du tchat. Ils finissent par se plaire et décident de se voir.
Deux cafés, trois dîners et quatre nuits d’amour plus tard, ils se déclarent en couple sur Facebook et le nombre de leurs amis en commun passe de 2 à 30. Un mois s’écoule et les deux comptes fusionnent en un seul, “Hanane et Issam”, et ils ont pour enfant un chat. C’est à croire qu’ils habitent ensemble mais il n’en est rien. Ils sont greffés l’un à l’autre par smartphones interposés et ne se voient qu’un week-end sur deux, quand leurs emplois du temps surchargés de yuppies casablancais le leur permet.
La distance attisant le manque, Hanane devient de plus en plus envahissante : 20 appels par jour (le numéro de Issam est en illimité dans le contrat de son abonnement), des sms hystériques quand il tarde de répondre et des crêpages de chignons avec les filles qui commentent ses photos sur le profil commun. Issam n’en peut plus, il crée un faux compte Facebook, histoire de respirer, en se disant que poker n’est pas tromper.
Jusqu’au jour où, passant un week-end chez lui, Hanane profite de son passage aux toilettes pour s’emparer de son ordinateur et, par la même occasion, de ses mots de passe. Hanane ne dit rien sur ses petites trouvailles, elle lui propose même de réactiver son ancien compte, sous prétexte que leur couple ne les définit pas individuellement.
Issam reprend son ancien compte dimanche soir, et lundi matin il tombe sur la surprise. Son mur est infesté de captures d’écran de ses conversations avec d’autres nanas, ainsi que des photos compromettantes qu’il avait échangées avec une certaine Ibtissam. Elle vient de laver son linge sale devant 1200 personnes en l’espace de quelques minutes. Issam largue Hanane, qui met deux mois avant de le virer de ses contacts et de passer à autre chose.
Cette histoire représente avec justesse le lot de bouleversements que la vie amoureuse subit depuis l’avènement des réseaux sociaux et de l’hyperconnectivité. De nos jours, l’amour “commence par un poke et finit par un block”, comme le résume si bien le statut d’une facebookeuse.
Amour 3.0
Se rencontrer à une soirée organisée par un ami commun, s’inviter au resto, au cinéma, commencer à fricoter, présenter l’autre à ses potes, ses parents, emménager ensemble, ouvrir un compte commun, se marier, tout ça c’est dépassé. C’était le siècle dernier ! En à peine 5 ans, Facebook a complètement bousculé les rites amoureux. Et pour cause, des emplois de plus en plus chronophages et des vies sédentaires, contrecarrés par une connectivité 24h/24 grâce aux smartphones. “Je n’ai plus le temps de sortir, prendre du bon temps et rencontrer des filles, aujourd’hui même les happenings se passent sur Facebook. Cela me permet de gagner énormément de temps, j’ai déjà une idée de la fille en question grâce aux fan pages auxquelles elle est abonnée et à ses photos du profil. Après, on se rencontre en vrai et plus si affinités”, témoigne un jeune cadre financier. On peut maintenant séduire et se faire séduire à distance et en quelques minutes, peu importe que l’on soit mal rasé ou démaquillé, c’est l’avatar qui s’occupe de faire la cour.
Il y a quelques années, rencontrer quelqu’un demandait beaucoup d’investissements, que ce soit en temps ou en courage. Maintenant, on choisit son partenaire comme on fait son marché sur un site d’e-commerce. Une évolution qui a enlevé tout son charme au rite amoureux, qui était une danse en plusieurs étapes, allant de l’initiation du désir à l’approche physique. “Il y a juste une dizaine d’années, la rencontre amoureuse avait une dimension précieuse. Maintenant, elle se fait à coups de clics, sans effort ni engagement, et donc sans moteur interne pour s’y investir”, confirme Amal Chabach. D’où la fugacité des amours sur Facebook ; le moteur d’une relation amoureuse est la complicité, or, quand on brûle les étapes de la séduction, on reste coincé au stade de l’attirance. “En 3 ans sur Facebook, je n’ai pas réussi à avoir une seule relation qui dépasse les 2 semaines. Des fois, je me demande si je ne devrais pas revenir au tryptique café – dîner aux chandelles – rencontre des amis avant de passer aux choses sérieuses”, se plaint Hasna.
Et le sexe devient facile
Si Facebook ne permet pas toujours de construire une relation amoureuse stable, il facilite néanmoins l’accès au sexe. Moins glauque que d’aller chez les prostituées, plus sûr que la drague tac-o-tac en boîte de nuit, le réseau social a écourté les préliminaires d’une rencontre amoureuse. L’ère des prises de contact autour d’un café est révolue, maintenant une nuit de clavardage suffit à faire connaissance et à briser la glace, si bien que, souvent, la première rencontre dans le réel se déroule dans une chambre à coucher. “Facebook raccourcit les étapes. On ne prend plus 10 cafés ensemble pour découvrir l’autre avant de faire l’amour, mais cela ne veut pas forcément dire qu’il y aura du sexe dès la première rencontre”, nuance Harakat.
Pour Amal Chabach, c’est une question de genres : hommes et femmes n’ont pas les mêmes aspirations sur Facebook. Les femmes chercheraient l’âme sœur tandis que les hommes viseraient plutôt le plan cul. “C’est vrai qu’il y a de plus en plus de femmes célibataires qui cherchent également à passer uniquement un bon moment mais, si nous creusons un peu plus loin, elles ne diront pas non à une relation plus romantique et stable. Souvent, elles diront oui à un rapport intime, croyant qu’elles pourraient ainsi construire une relation plus sérieuse plus tard”, ajoute-t-elle. C’est le fameux concept du couple à l’usure, né en même temps que Facebook. Des relations démarrées sur Internet, avec au menu une coucherie au premier soir, que la nana éternise dans l’espoir de voir cette histoire a priori sans lendemain évoluer vers quelque chose de plus carré.
De son côté, le mec profite de ce vide émotionnel pour satisfaire des désirs sous couvert de passivité et sans garantie de lendemain. Il n’y a pas de doute, le sexe à la sauce Facebook avantage surtout les hommes. Facebook exalte aussi la tentation. Chacun se mettant sous son meilleur jour sur son profil, quiconque peut être amené à croire que l’herbe est plus verte ailleurs en survolant quelques photos de profil. Cela veut-il dire pour autant qu’on trompe plus aisément grâce à Facebook ? “Pas forcément, note Harakat. L’infidélité n’a pas attendu l’avènement d’Internet pour exister. La seule nouveauté c’est qu’on peut papillonner plus facilement”.
Jalousie et love-hacking
Cette nouvelle configuration de l’accès au sexe a ravivé la jalousie dans le couple, un sentiment antérieur à l’hyperconnectivité mais à un moindre degré. “Je passe tellement de temps sur le profil de ma copine que c’est devenu maintenant ma page d’accueil. Je deviens paranoïaque dès que je la vois marquée sur une photo à côté d’un beau gosse, ou que son ex aime son statut. Il suffit d’un soupçon pour que je la bombarde d’appels, et si ça sonne occupé, elle est dans de sales draps”, témoigne Ali, en couple depuis six mois. Autrefois on filait son partenaire, maintenant on le flique, et pas qu’en restant les yeux vissés sur son profil. On peut désormais s’approprier et le passé et le présent de son bien aimé, pour peu que celui-ci lâche son ordinateur quelques instants et qu’on soit au fait des rudiments de la protection de la vie privée. De l’avis d’Assia Akesbi, Facebook n’a pas inventé l’espionnage ; en revanche, il l’a beaucoup simplifié. “Nous sommes dans une culture où l’on ne nous apprend pas à tracer nos limites par rapport à l’autre. On ne nous apprend pas suffisamment à éviter l’intrusion et l’indiscrétion et Facebook est un outil utilisé de manière à reprendre ces indélicatesses”.
A la manière de Wikileaks, une vraie culture du piratage s’est installée dans les relations amoureuses. Puisant dans la jalousie maladive, cette obsession, transposée dans un couple où les deux sont possessifs, peut virer à une sorte de course poursuite, un peu à la catch me if you can. “Cela rend le jeu plus dangereux et donc plus intéressant pour la plupart des conjoints. C’est comme jouer au chat et à la souris et voir qui sera le plus futé et donc le meilleur, commente Amal Chabach. Dans ce cas-là, ce n’est plus un couple mais un ménage à trois, constitué des deux personnes et du sentiment de doute”. Autant dire que Facebook a transformé les amoureux en hackers autodidactes et l’amour en sport de combat.
Le couple en streaming
Exit la pudeur et la retenue d’autrefois, maintenant on ne se gêne plus pour étaler son bonheur affectif. Première étape de l’officialisation du couple : le changement de sa situation amoureuse et Facebook offre l’embarras du choix. De “célibataire” on peut passer à “en couple” pour les plus pragmatiques, à “marié” pour les plus passionnés ou à “dans une relation libre” pour les plus volages. Et si on veut protéger l’identité de son amoureux, on peut toujours lui créer un compte fake et s’encoupler avec lui. Ce qui compte c’est de beugler au monde qu’on est sorti de sa misère sentimentale, peu importe avec qui.
S’ensuit un défilement de sa vie de couple en flux continu. Des déclarations d’amour en 450 caractères, des cœurs par-ci, des étoiles par-là, au grand désespoir des amis qui font office de témoins forcés des deux tourtereaux. Envahis par les hormones inhérentes au premier béguin, ces nouveaux amoureux ne font que reproduire un comportement tout ce qu’il y a de plus naturel. Comme l’explique Amal Chabach, “dans la vie normale, quand nous démarrons une vie à deux, nous sommes amoureux, pleins de joie et de bonheur, et nous ne voulons qu’une chose : le partager avec le monde entier”. Partage ou récupération des mécanismes de la téléréalité par une génération biberonnée au live ? De l’avis d’Aboubakr Harakat, cet exhibitionnisme est intrinsèque à l’âge des facebookers, dont les trois-quarts ont moins de 35 ans : “C’est une vague qui a accompagné les shows du type Loft Story. A 20 ans, on a envie de partager sa vie avec les autres. Or, quand on fonde une famille, on se recentre sur son cocon et on a envie de le préserver”.
Cet étalage ne concerne pas que le côté joyeux d’une relation. Les murs Facebook servent aussi de plateforme à scandales, un moyen de faire du mal à l’autre en intégrant des inconnus dans ses propres conflits. Ce lavage de linge sale en public ne serait qu’une récupération culturelle, comme le fait remarquer Assia Akesbi : “Cela s’apparente à ce qui se fait d’usage au sein des couples, le fait de faire participer toute la famille aux disputes conjugales”.
Si loin et pourtant si proche
L’amour à distance est “comme un éloignement permanent et, en même temps, un contact sans interruption”, commente Lamiae, une libraire. La jeune femme est en couple depuis dix mois mais a passé les quatre derniers loin de son copain, que son entreprise a affecté au Japon. Elle tient le coup grâce à Facebook et à des séances de sexcam sur Skype plusieurs fois par semaine. Pour elle, “mieux vaut entretenir une relation à distance que pas de relation du tout”. Et tant mieux si Internet existe, ce n’est qu’une nouvelle variable qui vient écourter le temps d’attente du facteur ou du coup de fil chez l’épicier du coin, c’est donc normal de l’inclure dans le couple. Sauf que ça ne marche que si la relation a déjà été entamée dans la vie réelle ou qu’il y a eu au moins un contact physique. “Continuer une relation dans le virtuel permet d’avoir accès aux émotions de l’autre, mais cela ne peut pas perdurer sur internet”, confirme Harkat.
Assia Akesbi livre le même diagnostic : “Mener une relation à distance, avec quelqu’un qu’on n’a jamais rencontré en vrai, relève tout simplement du pathologique et, même quand on se décide à se voir en chair et en os, ce premier contact se révèle décevant”. En effet, les comptoirs ne tarissent d’histoires arrivées à une amie, une cousine, une voisine ou tout simplement à une vague connaissance. Celles où, après plusieurs mois d’échanges sur Internet avec un étranger ou un MRE, la famille de la jeune fille lit la Fatiha par téléphone, loue une salle de fête, réserve les services d’un traiteur, apprête la mariée et attend l’heureux époux à l’aéroport, qui au mieux ne se pointe pas, au pire débarque avec 30 ans de plus et quelques sous en moins. Comme quoi, un simple avatar croisé sur Internet ne remplacera jamais le contact tangible d’une vraie personne.
Séparation-fusion
Il fut un temps où envoyer un texto “Il vaudrait mieux qu’on arrête de se voir” suffisait à se défaire d’une relation. Aujourd’hui, non seulement l’autre ne va pas forcément supprimer tout de suite le numéro de téléphone, mais en plus il dispose d’une adresse email et surtout d’un compte Facebook renfermant tous les artéfacts de son défunt couple. Photos, vidéos et statuts sont les éléments d’une omniprésence virtuelle qui empêche la personne de faire le deuil de sa relation une fois pour toutes. “On s’éternise comme dans la vie courante, on a envie de changer mais on veut toujours garder un lien avec l’autre. L’échec d’une relation, on l’assume mal et même si on est dans une autre relation, on ne veut pas que la précédente relation se termine”, note Aboubakr Harakat.
Comme pour la mort, le deuil d’une relation amoureuse passe par cinq phases : le déni, le compromis, la colère, la tristesse et enfin l’acceptation. Facebook a rendu la rupture plus longue et difficile dans la mesure où il prolonge chacune de ces étapes. “Prenons l’exemple du déni. Si par exemple l’un des deux partenaires ne voulait pas arrêter et qu’il voit son « bien aimé » se connecter souvent, il ou elle va croire qu’il le fait pour se remettre en contact avec elle ou lui”, explique Amal Chabach.
Et pour ne rien arranger à la situation, il est quasiment impossible de désactiver son compte Facebook. Car quand on veut le fermer, il est obligatoire de donner une raison. Parmi les choix proposés, l’un est symptomatique : “Je reviendrai”. Et même quand on trouve le courage de cocher la case, cela ne veut pas dire pour autant que le sevrage est réussi. “Après ma dernière rupture, j’ai décidé de fermer mon compte Facebook car je ne supportais pas de voir mon ex vivre sa vie, pendant que je morflais dans mon coin et j’avais trop de fierté pour le virer de mes contacts. C’était inutile car, après, je demandais le mot de passe de nos amis communs pour aller sur son mur”, confie Meryem.
Cette exacerbation de la dépendance affective n’est pas qu’une mauvaise chose car, paradoxalement, elle donne le temps d’achever tranquillement sa relation. “Il y a des ruptures où l’on est encore malade de l’autre parce qu’on est encore attaché à lui, Facebook permet au moins de parler, de régler ses conflits avec l’autre. Et plus on s’exprime, plus on prend de la distance et ça permet d’évoluer après une séparation”, affirme Assia Akesbi.
La bonne nouvelle c’est qu’une fois la séparation consommée, on peut toujours se remettre sur le marché de séduction de Facebook et revivre ses galères, encore et encore, jusqu’à peut-être tomber sur LA personne.
Portraits. Facebook stories Younès, 33 ans Amine, 27 ans Ilham, 28 ans
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