L’économie paralysée, des axes routiers coupés, des quartiers entiers plongés dans l’obscurité… et une population livrée à elle-même.
Mes morts, des chaussées emportées, des axes routiers coupés, des maisons effondrées, des écoles fermées, des quartiers entiers plongés dans l’obscurité… et une population livrée à elle-même. Entre la nuit du lundi 29 novembre et la journée du mardi, Casablanca a basculé dans le chaos. En cause, des pluies plus importantes que la normale se sont abattues sur le royaume, révélant pour la énième fois les défaillances des infrastructures et des mécanismes de secours censés se mettre en place en cas de catastrophe naturelle. L’alerte a pourtant bien été donnée par Maroc Météo quelques heures avant le déluge, mais les dégâts causés par les pluies diluviennes n’ont pas pu être évités. La capitale économique a été sans conteste la région la plus sinistrée du pays. Des images apocalyptiques ont été prises de Casablanca sous la pluie. La région la plus riche et la plus peuplée du Maroc a été noyée en l’espace de quelques heures. Pourquoi ? Et, surtout, cela risque-t-il de se reproduire ?
Une population désemparée
“J’ai tout perdu, mon toit, mes papiers, mes documents importants, mes appareils électroménagers, mes meubles… Tout a été noyé ou emporté par la pluie”, constate désespérée Najat, la trentaine, l’une des nombreuses sinistrées de la médina de Casablanca. Les habitants de cette partie de la ville connaissent bien les problèmes liés aux intempéries. L’année dernière déjà, des pluies avaient détruit l’habitat fragile de plusieurs d’entre eux. Une dizaine de familles avaient alors planté des tentes sur un terrain vague à proximité et entamé une mobilisation : de nombreuses manifestations ont été organisées pour demander une aide à la commune et à la wilaya. Devant l’échec de la démarche, la plupart se sont résignés à vivre sous les tentes que les dernières pluies ont mises en morceaux. Accablée, une femme pleure tandis que sa fille tente de réinstaller la bâche qui sert de plafond. Les mêmes scènes dramatiques ont pu être observées un peu partout dans la ville, à Sidi Maârouf, à Lahraouiyine, à Aïn Chock, etc. Et partout la même question : où sont les pompiers ? Les aides ? Les représentants des autorités ? Les agents de la Lydec ? “Nous sommes abandonnés par tout le monde. Nous n’avons plus que Dieu, et nos voisins pour nous aider”, se résigne Khadija, 60 ans, les pieds dans l’eau qui a ravagé sa maison. Même sentiment chez bon nombre de petits commerçants de la ville. Saïd, épicier, a vu son stock de marchandises inondé par la pluie. “Les pompiers et la Lydec étaient débordés, ils ne répondaient plus. Pour retirer l’eau, j’ai dû acheter une pompe à essence qui m’a coûté 4000 dirhams”, raconte-t-il.
Bilan humain et matériel lourd
Les pluies qui se sont abattues sur le royaume ce 29 novembre (voir carte) n’ont pas seulement détruit les maisons construites de bric et de broc et ravagé les quartiers populaires comme chaque année. Elles ont aussi inondé les grandes artères du pays, dont les boulevards Zerktouni, Abdelmoumen et 2 mars à Casablanca, qui ont été fermés à la circulation. La paralysie du pays a aussi été provoquée par un arrêt de la circulation sur de nombreuses autoroutes, et le trafic ferroviaire a été suspendu de longues heures entre Casablanca et Rabat. Des coupures d’électricité ont aussi été le lot des Casablancais, avec un rétablissement du courant qui a pris plus de 24 heures. Même si aucun chiffre n’est avancé jusqu’à présent, les pertes matérielles et économiques ont été lourdes pour le pays. Difficile de chiffrer aussi le nombre précis de personnes décédées ou disparues. “Nous recevons des dizaines d’appels de personnes signalant le décès de l’un de leurs proches, sans que nous puissions vérifier l’information”, nous explique Khalid Nizar, journaliste radio à Casa FM, l’une des stations les plus sollicitées par les auditeurs lors des intempéries.
Une chose est sûre, le plus tragique incident est survenu mardi 30 novembre à 7h, près de Bouznika. Un car transportant des ouvriers de la société de câblage Léoni a été pris au piège par les eaux montantes de l’Oued Cheguig. Un décompte macabre commence alors. Mercredi, la MAP parle de 26 morts. Mais, sur place, “des familles contestent le chiffre. Elles soutiennent que 35 personnes étaient dans le car, seule une personne ayant survécu, il manquerait donc des noms”, rapporte Ali Fkir, membre de la section AMDH de Mohammedia. Le bilan humain risque de s’alourdir de jour en jour. A l’heure où nous mettons sous presse, les statistiques officielles dénombrent 34 morts et “les recherches se poursuivent pour retrouver d’autres personnes portées disparues”, note la MAP.
Et maintenant ?
La métropole se réveille difficilement après ces pluies diluviennes. “Nous ne sommes pas à l’heure des bilans, mais toujours au stade du rétablissement de la situation”, nous informe Bouchra Ghiati, directrice de communication de la Lydec. Suite au débordement de l’Oued Bouskoura, plusieurs postes de distribution d’électricité ont été coupés par la Lydec, “par mesure de sécurité car ils pouvaient représenter un danger pour les riverains”, souligne Ghiati. En tout et pour tout, ce sont près de 800 postes de distribution qui ont été impactés par les inondations. Au 1er décembre, près de 720 postes ont été rétablis sur Casablanca, selon la société responsable du réseau. La Lydec précise dans l’un de ses communiqués que “150 agents d’intervention et 32 groupes électrogènes ont été mobilisés pour assurer l’alimentation de l’éclairage public”. Du côté des autorités de la ville, c’est silence radio. Contacté par TelQuel, Mohamed Sajid, le maire de la ville, n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Entretien. “Le record journalier a été largement battu” Mohamed Bellaouchi, chargé de communication à la direction de la météorologie nationale, nous explique le phénomène survenu la nuit du lundi 29 novembre. Comment expliquez-vous ces pluies diluviennes, et en quoi étaient-elles exceptionnelles ? Dès samedi 27 novembre, une masse nuageuse s’est formée dans le Tangérois et s’est étendue sur le nord du pays. La particularité de cette masse est qu’elle contenait en son sein des formations nuageuses qui sont responsables de fortes précipitations sur une courte durée. Le noyau de cette formation s’est concentré sur la région de Rabat-Casablanca-El Jadida, et après des vents violents atteignant une pointe de 100 km/h, il a plu en continu pendant 24 heures. Pour Casablanca, les précipitations normales du mois de novembre sont de 54,3 mm, or il est tombé cette nuit-là le triple. De plus, la quantité annuelle de pluie dans la métropole est de 390 mm, les pluies que nous avons donc connues la semaine passée représentent la moitié des précipitations annuelles. Le record journalier a été largement battu. Pensez-vous que Maroc Météo a prévenu assez tôt de l’importance des précipitations qui ont touché le pays ? Devait-il y avoir plus de prévoyance de la part des autorités pour éviter les morts et les catastrophes provoquées par ces intempéries ? Pouvons-nous craindre une reprise de ces fortes précipitations ? |
Zoom. Révolte populaire L’énervement des sinistrés a pris des allures de mini-fronde mercredi 1er décembre à Casablanca. Le matin, entre cent et cent cinquante habitants du quartier populaire de Mabrouka se sont rassemblés à hauteur du boulevard du 10 mars à Sidi Othmane et ont bloqué la circulation une demi-heure pour exiger de l’aide. Des échauffourées avec la police, vite calmées, ont éclaté, entraînant des jets de pierres et des coups. Les habitants ont menacé de boycotter la Lydec en cessant de payer les factures. Plus tard dans l’après-midi, ils étaient soixante-dix originaires de Hay Nassim à se regrouper sur la route de Lissasfa pour fustiger la Lydec et la commune. Des habitants de la médina de Casablanca brandissent aussi la menace d’un rassemblement dans les jours à venir. A Mohammedia, les habitants des bidonvilles de Brahma Cherkaoua, Cristal et Al Bradaâ ont pour leur part initié des marches de protestation vers la préfecture de la ville, mais se sont heurtés aux forces de l’ordre. Un militant de l’AMDH, présent à ces différentes manifestations, précise : “Dans ce genre de cas, la présence des femmes est remarquable. Ce sont elles qui composent à 70% ce genre de manifs, elles se sentent directement concernées par la sécurité de leur foyer”. |
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