Nouvelle constitution. Plus roi que jamais

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Mohammed VI accorde une plus grande marge de manoeuvre au Premier ministre, au parlement… mais il ne cède rien sur ses prérogatives. Le pouvoir, c’est Lui. 

Non, la nouvelle Constitution n’est pas une révolution. Mais le texte soumis à référendum est une évolution positive. Un petit pas de plus vers la démocratie, vers un partage équitable des pouvoirs. Certains hommes politiques considèrent qu’il s’agit là d’une constitution “de transition”. Ils disaient quasiment la même chose lors de la dernière réforme constitutionnelle de 1996, ils le disaient aussi à l’occasion de l’avènement du gouvernement d’alternance et ils le disaient encore au lendemain de l’intronisation de Mohammed VI… Bref, ce discours perd de son intérêt, voire de sa crédibilité, tellement il est galvaudé. Et tellement les rendez-vous ratés avec l’histoire commencent à se faire nombreux. Questions : le Maroc est-il condamné à vivre éternellement en phase de transition ? Ne peut-on pas aller encore plus vite ? Doit-on sans cesse courir derrière un mirage démocratique ? Veut-on réellement, et sincèrement, atteindre un système de “monarchie parlementaire” tel qu’il est universellement admis, c’est-à-dire traduisible en une phrase limpide : “un roi qui règne et ne gouverne pas” ?

Même si le terme monarchie parlementaire est utilisé dans le nouveau texte constitutionnel, il est noyé dans une flopée de qualificatifs : “Le Maroc est une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale”, peut-on lire dans le projet de loi suprême. Dans les faits, le roi est toujours le patron de l’Exécutif, du Législatif et du Judiciaire, sans parler de ses statuts de Commandeur des croyants et de chef des armées. 
Rien n’a donc changé si ce n’est dans la forme. Le projet constitutionnel prévoit en effet de transiter par le Conseil des ministres pour adopter les lois les plus importantes ou pour nommer les hautes fonctions de l’administration publique. Certes, c’est une avancée : auparavant, ce genre de décision émanait directement du Palais, sans la moindre consultation avec le gouvernement. Mais n’aurait-il pas été préférable de laisser au Chef du gouvernement la totale liberté de nommer des walis, des gouverneurs, des ambassadeurs et des patrons d’entreprises publiques ? N’est-ce pas ce qu’on appelle disposer effectivement de l’administration de manière à pouvoir être comptable de ses choix ? La configuration proposée permet toujours au Chef du gouvernement de s’abriter derrière “les choix du Palais”. Car il est difficile de “caster” aujourd’hui un leader politique suffisamment audacieux pour dire au roi : “Sauf votre respect Majesté, je ne suis pas d’accord…”. Une phrase que personne n’a envie d’entendre, mais que tout le monde a parfois besoin d’entendre. 

“Allah ybarek f3amr Sidi”
Si la nouvelle Constitution a supprimé le concept de sacralité, elle dit toujours que “la personne du roi est inviolable, et respect Lui est dû”. Sauf que dans notre culture politique, le respect est assimilé à la soumission. Il n’y a qu’à voir l’empressement des leaders de partis politiques à applaudir “une réforme historique”. Les autorités locales ont poussé le bouchon encore plus loin. Des citoyens ont été mobilisés pour “suivre” le discours sur écran géant, avant de “tourner” une manifestation de joie devant les caméras des chaînes nationales.
Plusieurs vidéos relayées sur Internet mettent à nu cette propagande portant la signature du Makhzen. Des cinéastes amateurs ont débusqué des situations où l’on payait les gens pour sortir dans la rue, munis de portraits du roi et de drapeaux nationaux, alors que des “volontaires” sont là pour faire les chauffeurs de manifs. Des caméras de téléphones portables ont capté de véritables sketchs, qui en disent long sur toute la conscience politique de ces petites gens, adeptes du “oui” inconditionnel. Exemple : un groupe de jeunes filmés à Nador répétaient entre autres slogans “ni djaj, ni bibi… Al malik houwa hbibi” (littéralement: “ni dinde, ni poulet… le roi est mon chéri”). Autre exemple : un gamin emporté par la liesse populaire lance spontanément “al malik soubhanahou wa ta3ala” (le roi glorifié et exalté), une formule habituellement consacrée à Dieu. 
Nous en sommes là. Bien entendu, l’hystérie plus ou moins spontanée qui s’est emparée de nos rues répond à un double objectif. D’abord, montrer au roi que le projet de constitution jouit d’une grande popularité. Et que les principaux partis politiques sont derrière Sa Majesté. Mais la propagande vise aussi à influer indirectement sur le score du référendum. Il s’agit de diaboliser tout avis contraire au vote pour le “oui”. Surtout que le roi lui-même a affirmé, dans son discours, qu’il voterait “oui”. Dès lors, toute personne appelant au vote pour le “non” est présentée comme un anti-royaliste, un traître, un ennemi de la nation. Des amalgames et des raccourcis favorisés par des pratiques d’une ère que l’on nous dit sans cesse révolue…
Les jeux sont donc faits et tout porte à croire que dans la soirée du vendredi 1er juillet, l’on va assister à un de ces plébiscites que l’on avait connus du temps de Hassan II. Une beya déguisée en consultation populaire. 
En attendant le jour J, TelQuel a disséqué pour vous les 180 articles composant ce projet de loi fonamentale (disponible en intégralité sur le site de l’agence MAP). Nous avons retenu une sélection de thématiques mettant en lumière aussi bien les avancées que les limites de ce nouveau texte fondamental. Les pour et les contre, donc. Une manière de vous aider à vous faire une opinion. Et de voter librement le 1er juillet… 

Monarchie. Le roi ne lâche rien
Le nouveau texte constitutionnel fait passer le roi d’un statut de monarque absolu et sacré à celui de chef d’Etat omniprésent. Le monarque garde en effet de larges prérogatives civiles, religieuses et militaires. C’est par exemple le roi qui préside (toujours) le Conseil des ministres. Il garde la main haute sur les nominations dans la haute fonction publique, sur les orientations stratégiques de l’Etat et sur les textes de loi soumis au parlement. Et la palette est assez large. Cela va du statut de la famille aux lois sur l’urbanisme, en passant par l’organisation judiciaire de l’Etat ou le système fiscal. Certes, le monarque peut, en vertu du nouveau texte, déléguer la présidence de ce Conseil au Chef du gouvernement, mais selon “un ordre du jour déterminé”, précise l’article 48. En d’autres termes, seulement quand il n’y a pas de véritables enjeux.
Dans l’ancien texte comme dans l’actuel, le roi reste Amir Al Mouminine et président du Conseil supérieur des ouléma. Idem concernant les fonctions militaires du monarque, chef suprême des Forces armées royales. Mais il n’est plus seul dans la prise de décision militaire et sécuritaire. Il s’entoure, dans le cadre d’un Conseil supérieur de sécurité, des principaux responsables sécuritaires du pays, en plus du Chef du gouvernement, des présidents des deux chambres du parlement et des ministres directement concernés (Défense, Justice, Intérieur, Affaires étrangères, etc.). Une sorte de “War room” censée définir les stratégies de sécurité intérieure et extérieure, gérer les situations de crise et “institutionnaliser les normes d’une bonne gouvernance sécuritaire”.
Enfin, le roi préside le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, venu remplacer le Conseil supérieur de la magistrature. Dans les faits, le monarque s’y fera représenter par le Premier président de la Cour de cassation au lieu du ministre de la Justice, selon l’actuelle Constitution. Dernière précision, le roi se garde quand même le droit de nommer 10 personnalités sur la vingtaine qui compose ce Conseil. En gros, le roi ne lâche pratiquement rien de ses pouvoirs. 

Gouvernement. Le “Pouvoir exécutif” de Sa Majesté
Dans les prérogatives du gouvernement, le changement est d’abord sémantique. Le nouveau projet de constitution ne parle en effet plus de “gouvernement” mais de “pouvoir exécutif”. Ce dernier est désormais dirigé par un “Chef du gouvernement”, et non par un “Premier ministre”. Objectif de cette gymnastique linguistique : insister sur la responsabilité de l’Exécutif à gérer, seul, les affaires publiques et à en être comptable devant le parlement. L’article 89 est d’ailleurs assez clair sur la question : “Le gouvernement assure l’exécution des lois, dispose de l’administration et supervise l’action des entreprises et des établissements publics”. A cet effet, le Chef du gouvernement nomme aux emplois civils et aux hautes fonctions dans les administrations publiques. Mais, en réalité, le patron de l’Exécutif n’a la main que sur quelques postes secondaires dans l’establishment étatique, comme les secrétaires généraux des ministères, les directeurs centraux ou les doyens des universités et des écoles supérieures publiques. Quid des hauts fonctionnaires de l’Etat ? Qui nomme les patrons des grands offices et des grandes compagnies nationales ? Le même article 89 nous renvoie alors à l’article 49. Ce dernier est relatif aux délibérations du Conseil des ministres… présidé par le roi. La liste des nominations aux hautes fonctions contenues dans cet article est impressionnante. Elle englobe le wali de Bank Al-Maghrib, les walis et gouverneurs, les ambassadeurs, en plus des dirigeants des services de sécurité et des établissements et des entreprises dites stratégiques. Une appellation vague où l’on peut inclure tous les fleurons de l’administration publique (OCP, RAM, CDG, etc.). Que faut-il en conclure ? Le Chef du gouvernement ne vaudrait-il donc pas plus qu’un Premier ministre actuel ? Pas du tout, répondent les plus optimistes. Si le patron de l’Exécutif ne nomme personne directement à ces postes de responsabilité, il a au moins son mot à dire. Il peut, en théorie, proposer des noms et s’opposer à d’autres lors des réunions du Conseil des ministres. A voir ! Autre petite évolution, le nouveau projet de constitution permet aux ministres de présenter leur démission à titre individuel. Mais, là encore, c’est au roi, sur demande du Chef du gouvernement, de mettre officiellement fin à leurs missions. 

Justice. Le roi avant la loi
Le projet de la nouvelle Constitution peut laisser croire à un “divorce” entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Le ministère de la Justice est écarté du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui prend le nom de Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ). Cette institution, qui décide de tout ce qui concerne les juges, y compris en matière disciplinaire, est désormais dotée d’une autonomie administrative et financière. Comprenez, le nouveau Conseil n’a plus aucun lien avec le ministère de la Justice qui lui sert de QG et paie les salaires de ses fonctionnaires. Néanmoins, bien que le pouvoir judiciaire soit soustrait à toute intervention du gouvernement, le rôle du roi reste prépondérant. C’est lui qui préside ce CSPJ en déléguant ce pouvoir au premier président de la Cour de cassation. Un magistrat qu’il désigne aujourd’hui, tout comme le procureur général du roi près cette cour et le président de sa première chambre qui, eux aussi, siègent au CSPJ. Les autres personnalités qui n’appartiennent pas au corps de la magistrature (président du CNDH, le médiateur et 5 autres personnalités) sont, de leur côté, toutes nommées par le roi, ce qui lui confère au total la désignation de 10 membres, soit autant que le nombre de magistrats élus par leurs pairs. Selon l’article 124, par ailleurs, “les jugements sont rendus et exécutés au nom du Roi et en vertu de la loi”. Le roi a ainsi toujours la priorité, même sur la loi… 
Cela dit, le texte constitutionnel insiste sur l’indépendance du pouvoir judiciaire, dont le roi est présenté comme le garant. La proscription de “toute intervention dans les affaires soumises à la justice” et le fait que “le juge ne saurait recevoir d’injonction ou instruction” sont inscrits noir sur blanc. Les nouveautés du projet constitutionnel ne s’arrêtent pas là : il consacre la présomption d’innocence et stipule que les procédures sont gratuites pour les citoyens ne disposant pas de moyens suffisants et leur assure une assistance judiciaire. On parle également de “jugements équitables” dans un “délai raisonnable”, voire de réparation pour dommages résultant d’une erreur judiciaire. La justice a aussi l’exclusivité de suspendre ou de dissoudre des partis politiques, des syndicats ou des ONG. Finie alors l’immixtion du ministère de l’Intérieur, une fois pour toutes ? 

Droits de l’homme. “Vous avez le droit de garder le silence”
L’attachement aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus, déjà introduit dans la Constitution de 1996, est réaffirmé dans le nouveau texte. Mieux encore, la loi fondamentale engage le royaume à “protéger et promouvoir les dispositifs des droits de l’homme et du droit international humanitaire et contribuer à leur développement dans leur indivisibilité et leur universalité”. Le souci d’en finir avec les exactions en matière de droits de l’homme apparaît clairement dans le nouveau texte constitutionnel. Les articles 22 à 24 apportent leur lot de nouveautés : condamnation de la pratique de la torture, incrimination de la détention arbitraire, garantie de conditions de détention humaines, proscription de toute incitation au racisme, à la haine et à la violence… Sur certains aspects, la Constitution va dans le détail au point de revêtir l’aspect d’un code de procédures pénales. Extrait : “Toute personne détenue doit être informée immédiatement, d’une façon qui lui soit compréhensible, des motifs de sa détention et de ses droits, dont celui de garder le silence. Elle doit bénéficier, au plus tôt, d’une assistance juridique et de la possibilité de communication avec ses proches, conformément à la loi”. Des avancées notables, mais qu’il va falloir traduire dans la pratique. 

Identité. L’unité dans la diversité
Des composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, des affluents andalou, hébraïque et méditerranéen… C’est ainsi que le préambule de la Constitution définit l’identité marocaine qu’il “entend préserver, dans sa plénitude et sa diversité, une et indivisible”. Il faut reconnaître que tout le monde a été servi. Les Amazighs, qui ont toujours milité pour la reconnaissance de leur héritage culturel, ont finalement obtenu gain de cause. L’amazigh est même consacré langue officielle après l’arabe. Cette avancée était bien évidemment prévisible dans la mesure où elle a été annoncée par le discours du 9 mars. Ce qui constitue, en revanche, une agréable surprise, c’est l’inscription dans le texte constitutionnel de la composante saharo-hassanie et l’affluent hébraïque de l’identité marocaine. Ni les Sahraouis ni les juifs marocains n’avaient pourtant réclamé cela. On n’a quasiment pas entendu leurs voix durant ces trois derniers mois où le projet de loi fondamentale du pays était en préparation. C’est l’Etat, de son propre chef, qui a accordé cette reconnaissance identitaire. Et ça lui permet de marquer des points à tous les niveaux. La référence à la culture saharo-hassanie est une nécessité vu la situation de nos provinces sahariennes. Reconnaître le hassani s’inscrit en parfaite cohérence avec le plan d’autonomie proposé par le Maroc pour une solution politique de ce conflit. Le clin d’œil à l’affluent hébraïque est, de son côté, une confirmation de l’image de tolérance et d’ouverture que veut refléter le royaume. A notre diplomatie de tirer les dividendes politiques sur la scène internationale de cette exception marocaine, inédite dans le monde arabe et qui ne manquera pas de satisfaire la communauté internationale. Par son esprit d’anticipation et par son interaction avec les réalités du moment, le préambule est sans doute un des passages les plus avant-gardistes de ce texte de constitution. 

Religion. En votre (isl)âme et (pas) conscience
“L’islam est la religion d’Etat, qui garantit à tous le libre exercice des cultes”, stipule le nouvel article 3 de la loi suprême. C’est une copie conforme de l’article 6 de la Constitution de 1996. Pourtant, jusqu’aux dernières heures précédant la divulgation du projet du texte constitutionnel, le suspense était maintenu. Certes, la laïcité n’était pas envisagée, puisqu’elle est de toute manière incompatible avec le concept de commanderie des croyants, mais on parlait néanmoins d’introduire la notion de “liberté de conscience”. Une notion très importante sachant qu’elle définit le rapport entre l’individu et la religion. Elle aurait permis à toute personne de choisir sa religion et ses propres convictions et de les manifester sans craindre des représailles. Mais c’est visiblement un pas que le Maroc ne veut pas franchir. La montée au créneau des islamistes et leur menace de voter “non” a poussé les rédacteurs de ce texte à faire marche arrière et à retirer la “liberté de conscience” tant souhaitée par les modernistes. Et pour cause, les conservateurs ont estimé que la liberté de conscience porte atteinte à l’islam, une des constantes du royaume. Un argumentaire, pour le moins, simpliste. 

Liberté. Un champ plus élargi
Le nouveau texte constitutionnel est venu élargir considérablement le champ des libertés. Alors que la Constitution de 1996 évoquait la liberté de circuler, d’opinion, d’expression et d’association, la mouture 2011 enrichit ce panel de nouvelles libertés et droits fondamentaux. On retrouve ainsi la liberté de pensée, mais aussi “les libertés de création, de publication et d’exposition en matière littéraire et artistique et de recherche scientifique”. La loi suprême du pays ne pose aucune barrière ou limite à l’octroi de ces libertés. Mieux encore, il est écrit noir sur blanc que les “pouvoirs publics apportent, par des moyens appropriés, leur appui au développement de la création culturelle et artistique, et de la recherche scientifique et technique et à la promotion du sport”. Même la liberté de la presse fait également son entrée dans la nouvelle Constitution. Une avancée importante, même si le texte encadre cette liberté de la presse par les “limites expressément prévues par la loi” et évoque des “règles juridiques et déontologiques”. Dernier droit fondamental et non des moindres, “le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration publique, les institutions élues et les organismes investis d’une mission de service public”. Ce droit devrait théoriquement révolutionner la notion de service public ou administratif dans l’esprit des citoyens. Encore faut-il qu’il soit effectivement mis en application par des procédures souples et précises. 

Cour royale. On n’en saura jamais rien
“Le Roi dispose d’une liste civile”. L’article de la Constitution traitant du salaire du roi ne connaît pas non plus le moindre changement. Auparavant, c’était l’article 22, désormais ce sera l’article 45. C’est tout. Pourtant, cet article aurait pu capitaliser sur l’esprit de son application observé depuis des décennies pour le moderniser ou du moins le rendre conforme aux pratiques de la Loi de Finances. Car, en plus de la liste civile, on retrouve dans le budget de l’Etat plusieurs autres rubriques affectés à “Sa Majesté le Roi” ou à la “Cour Royale” : dotation de souveraineté et charges de personnel, matériel et dépenses diverses, budget d’investissement. La liste civile, proprement dite, ne représente d’ailleurs que 10% des 2,4 milliards de dirhams du budget global affecté au roi et à sa cour. La nouvelle Constitution aurait pu être l’occasion de donner une dimension légale au cabinet royal et, pourquoi pas, spécifier sa composition ainsi que les règles éthiques que doivent observer ses membres. Et pour cause, ce premier cercle de pouvoir (et c’est un secret de polichinelle) est très influent dans la mesure où il peut agir dans les coulisses en prétendant relayer les instructions et la volonté de “la haute autorité”. Comment garantir alors que les collaborateurs du roi n’abusent de cette position privilégiée pour des intérêts privés ? Une des solutions aurait pu consister à leur accorder un statut légal. Un statut assorti d’obligations de transparence et de neutralité, comme celles qui s’appliquent désormais aux hauts fonctionnaires et élus : déclaration de patrimoine, incompatibilité avec certaines activités dans le privé… Des règles qui, idéalement, devaient s’appliquer à la monarchie elle-même. Dans les véritables démocraties, c’est ça la contrepartie de la liste civile. 

Chambre des représentants. Plus de prérogatives aux députés
Le Maroc conserve le système bicaméral, mais c’est la Chambre des représentants qui aura la main haute sur le travail législatif. La nouvelle Constitution élargit ainsi le domaine de la loi à près de 40 nouveaux volets (nationalité, séjour des étrangers, prisons, douanes…). La Loi de Finances est d’abord transmise, en priorité, à la première chambre. Et ce sera le cas pour tous les projets de loi. Mieux encore : fini les va-et-vient incessants des textes législatifs entre les deux chambres, c’est la première qui les adopte en dernier ressort. Autre nouveauté, le parlement donne plus de place et d’importance aux initiatives des élus. Ainsi, un jour par mois est obligatoirement consacré à l’examen des propositions de loi. Les citoyens sont également associés, même indirectement, au travail législatif. Explication : un groupe de citoyens peut faire une pétition et, grâce au soutien des élus, cette pétition pourrait trouver sa voie dans le processus sous forme de proposition de loi. Du reste, la Chambre des représentants a toujours le dernier mot concernant l’investiture du gouvernement. C’est cette chambre qui accorde, de manière exclusive, le vote de confiance à la déclaration du chef de l’Exécutif. La motion de censure, de son côté, est désormais à l’initiative de 20% des députés (au lieu du tiers) mais nécessite toujours un vote à la majorité absolue. Enfin, les députés, en vertu du nouveau texte, ont un certain pouvoir sur quasiment toutes les instances inscrites dans la Constitution. Les présidents du CNDH, du CCME, de la HACA et de la dizaine d’autres conseils, doivent présenter un rapport d’activité annuel, suivi d’un débat, devant le parlement.

Chambre des conseillers. Les sénateurs refusent de mourir
Nombreux sont les partis politiques qui ont appelé à revenir au système monocaméral et, donc, à en découdre avec la deuxième chambre. Mais les sénateurs sont toujours là. Même si leur nombre a été nettement réduit, passant de 270 à un maximum de 120 membres (le minimum est fixé à 90). Le mandat des élus de cette chambre a également été ramené de 9 à 6 ans, une manière de l’aligner sur la durée des mandats des collectivités locales qui y sont représentées. Dans le nouveau texte, 60% de la deuxième chambre sont issus, au suffrage universel indirect, des collectivités locales au niveau des régions. Les deux cinquièmes restants seront désignés par les chambres et les organisations professionnelles (toujours au niveau des régions), en plus de représentants des salariés (syndicalistes) à élire au niveau national. Pour ce qui est de ses compétences, la deuxième chambre se consacre en priorité aux questions intéressant les régions et les collectivités locales. Mais elle garde son mot à dire dans tout le processus législatif. La nouvelle Constitution lui préserve aussi des procédures de contrôle de l’action gouvernementale. Les sénateurs peuvent toujours constituer des commissions d’enquête à la demande d’un tiers des membres. Ils peuvent également recourir à une nouvelle procédure qui remplace la “motion d’avertissement”. Désormais, elle porte le nom de “motion d’interpellation” et leur permet de questionner le gouvernement sur un aspect de sa politique ou un dossier précis. Somme toute, à part quelques changements de forme, la deuxième chambre continue de faire doublon avec la Chambre des représentants. 

Transhumance. La fin (ou presque) du mercato
L’écrasante majorité des partis politiques en ont formulé le vœu. Le projet de constitution sanctionne désormais la transhumance au sein des deux chambres du parlement. Ce phénomène de changement de couleur politique en cours de mandat avait pour effet de déséquilibrer et brouiller la carte politique, avec parfois l’émergence de forces politiques issues du néant. L’exemple le plus marquant est sans doute celui du Parti authenticité et modernité (PAM) que Fouad Ali El Himma a fondé au lendemain des législatives de 2007 pour en faire la deuxième puissance parlementaire du royaume (55 députés). Désormais, ce n’est plus possible. Quitter son parti ou son groupe parlementaire d’origine devient synonyme de perte du mandat électif. Mieux, le texte de la Constitution 2011 ne parle pas de “quitter” ou “changer” de parti, mais d’y “renoncer”, vu que des parlementaires préfèrent parfois rester des électrons libres. Dans la pratique, comme le stipule l’article 61, le président de la chambre concernée saisit la Cour constitutionnelle qui, en fin de compte, se prononce sur la vacance du siège. Sauf que le texte constitutionnel ne précise pas les modalités de remplacement de ce siège. C’est le règlement intérieur des deux chambres qui devrait fixer ce point. Enfin, si la transhumance sera dorénavant interdite au parlement, le projet de constitution fait l’impasse sur cette question quand il s’agit des conseils régionaux et des autres collectivités locales. Un simple oubli ? 

Vote. En attendant les MRE
Les Marocains du monde ont désormais droit de cité dans la nouvelle Constitution. L’article 17 du texte soumis à référendum leur reconnaît en effet “le droit d’être électeurs et éligibles”. Ils peuvent ainsi se porter candidats aux élections au niveau des listes et des circonscriptions électorales locales, régionales et nationales. Une victoire en demi-teinte pour les trois millions de Marocains vivant en dehors des frontières nationales. Car, comme pour plusieurs nouvelles dispositions du texte constitutionnel, il faudra attendre une loi spécifique pour “déterminer les conditions et les modalités de l’exercice effectif du droit de vote et de candidature à partir des pays de résidence”. Un véritable casse-tête que nos officiels ne sont pas parvenus à régler au terme de plusieurs années de débats et de luttes acharnées. Comment organiser une campagne électorale dans les pays de résidence ? Quel découpage électoral adopter ? Comment organiser l’opération de vote dans des pays où le Maroc ne dispose pas de représentations diplomatiques ou consulaires ? Rien en vue pour le moment.
A contrario, la commission présidée par Abdeltif Menouni a fait un cadeau (passé inaperçu) aux étrangers vivant au Maroc. L’article 30 stipule en effet que ces derniers “peuvent participer aux élections locales en vertu de la loi, de l’application de conventions internationales ou de pratiques de réciprocité”. Un changement qui permettra aux Marocains du monde de jouir du même droit dans certains pays d’accueil. C’est notamment le cas de l’Espagne, où 500 000 de nos concitoyens (au moins) pourront prendre part aux élections communales ibériques.

Régionalisation. Pas si avancée que cela
Comme prévu, la mouture définitive de la nouvelle Constitution a réservé plusieurs articles à la régionalisation avancée. En mars dernier, la Commission consultative pour la régionalisation (CCR) avait remis son rapport au roi. Elle y recommandait notamment un nouveau découpage territorial qui ramènerait le nombre de régions de seize à douze, dotées d’une certaine autonomie de gestion. Qu’en dit la Constitution ? Pas grand-chose à vrai dire. L’article 135 précise que les membres des conseils de régions et de communes sont élus au suffrage universel direct et que ces collectivités territoriales “participent à la mise en œuvre de la politique générale de l’Etat et des politiques territoriales”. Comme recommandé par la CCR, la nouvelle Constitution prévoit également l’institution d’un fonds de mise à niveau pour les régions, mais ne s’attarde pas sur les prérogatives du président du conseil régional. Ce dernier a pourtant été décrit comme un personnage clé dans l’architecture régionale proposée par la CCR. Il a même été élevé, en termes de prérogatives, au même rang que les walis et gouverneurs. Il n’en est rien dans le nouveau projet de constitution pourtant. L’article 145 stipule en effet que “les walis et gouverneurs représentent le pouvoir central, appliquent les lois, mettent en œuvre les décisions gouvernementales et exercent le contrôle administratif”. Seule relation établie avec les élus locaux, ils assistent également les présidents de conseils régionaux “dans la mise en œuvre des plans et des programmes de développement”. Le projet de constitution ne fait enfin aucune référence au projet d’autonomie proposée au Sahara, qui nécessitera donc, en cas d’adoption, une nouvelle réforme constitutionnelle. Ce sera peut-être la prochaine occasion de tout remettre à plat.

Droit à la vie. Une formulation à double tranchant
“Le droit à la vie est le droit premier de tout être humain. La loi protège ce droit”. Et c’est l’article 20 de la nouvelle Constitution qui le stipule, mais sans trop l’expliciter. Nos constitutionnalistes n’ont pas poussé le courage jusqu’à évoquer l’abolition de la peine de mort comme le fait un article de la Constitution européenne traitant du droit à la vie et qui dit que “Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté” (article II-61). Néanmoins, la formulation adoptée par la Constitution pourrait ouvrir la voie à une abolition en bonne et due forme. Ou, du moins, amener à ouvrir un grand débat autour de la question, comme le souhaitent plusieurs associations ou partis politiques qui ont explicitement appelé, dans leurs propositions des réformes, à abolir la peine capitale. En attendant, les lois marocaines (Code pénal et Code de la justice militaire) prévoient toujours cette sanction dans plus de 500 articles, même si aucune exécution n’a été enregistrée depuis 1993. Néanmoins, certains pourraient se baser sur la formulation évasive de l’article 20 à d’autres fins. Exemple, les conservateurs pourraient tout simplement faire valoir la même disposition du “droit à la vie” pour mettre fin à tout débat sur la légalisation de l’avortement. 

 

Propagande. Nouvelle Constitution, vieilles recettes
Vendredi 17 juin. Juste après le discours de Mohammed VI, la foule investit la rue en scandant des slogans à sa gloire. Et ce n’est qu’un avant-goût des jours suivants. Lors de la manifestation du 20 juin, la rue marocaine est divisée. D’un côté, le Mouvement du 20 février qui appelle à rejeter la Constitution “octroyée”. De l’autre, des adeptes du “oui”, mais qui sont là pour diffuser un message d’un autre temps. En substance : si quelqu’un est contre la nouvelle Constitution, c’est qu’il est contre le roi. Pire, les autorités et élus locaux ont déployé tous les moyens nécessaires pour mobiliser des centaines de personnes qui étaient prêtes à en découdre avec ceux qui expriment un avis contraire.
De son côté, le ministère de l’Intérieur, va plus loin. Dans la pure tradition de Driss Basri, le département laisse fuiter les résultats d’un sondage qui donne le “oui” gagnant à plus de 80%… Résultat, tout le monde apporte sa touche personnelle. “Nous sommes tellement confiants dans l’appui de la majorité (…) que ce ne sont pas quelques voix dissonantes qui nous déstabiliseront”, déclare à l’AFP Khalid Naciri, porte-parole du gouvernement. “Je pense que la nouvelle Constitution sera adoptée le 1er juillet, ce qui nous permettra de rester les premiers de la classe”, renchérit son collègue Ahmed Réda Chami. Les grands organismes comme les plus obscures associations s’invitent à la fête. Le Conseil des ouléma, que préside et présidera toujours le roi, bénit le projet de constitution. Les magistrats (crispés au départ) prononcent un verdict en sa faveur. Pour les moins connus, c’est à l’avenant. On voit ainsi l’Association marocaine de la presse sportive porter la voix du “oui”, comme l’Union des chauffeurs et professionnels du transport, les Chorafa Alamyine, les tribus sahraouies… Mais il y a plus surréaliste. Grâce à la MAP, on découvre l’existence de l’Association des Marocains de la Côte d’Azur, de l’Association des amis du Royaume en Pologne… Et on apprend qu’un journal russe a parlé en bien de notre future loi fondamentale ! Mieux encore, les ambassadeurs du royaume font revivre des structures qu’on croyait mortes et enterrées depuis longtemps : les Amicales censées mobiliser nos concitoyens de la diaspora, comme cela se faisait au temps de Driss Basri. 

 

Lois organiques. Tout un arsenal juridique
Lois organiques. Tout un arsenal juridique“Loi organique”. C’est sans doute le terme qui bat le record d’occurrence dans les 180 articles composant la nouvelle constitution. Toutes les nouveautés apportées par la loi fondamentale devront faire l’objet de lois spécifiques détaillant leurs dispositions. C’est le cas de la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe, de la possibilité pour les citoyens de présenter des pétitions ou des propositions en matière législative. C’est aussi le cas du fonctionnement des collectivités locales. Il devrait y avoir aussi la mise à jour de plusieurs lois organiques existantes pour tenir compte des nouvelles dispositions constitutionnelles. Partis politiques, Chambre des représentants, Chambre des conseillers, modalités de conduite des travaux du gouvernement, adoption de Loi de Finances… autant d’institutions ou de modes de fonctionnement régis par des législations spécifiques à relifter. Idem pour tout le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (nouveau Conseil supérieur de la magistrature) et la Cour constitutionnelle (remplaçant le Conseil constitutionnel) qui, en changeant de nom et de composition, doivent changer de lois-cadres. A cela s’ajoutent les nouvelles lois se rapportant à la dizaine d’instances et conseils déjà existants mais introduits dans le nouveau texte (CNDH, Médiateur, HACA, CCME, Instance nationale de probité et de lutte contre la corruption), ou encore les institutions à créer de toutes pièces (Conseil national des langues et de la culture marocaine, Conseil supérieur de l’éducation, Conseil consultatif de la famille et de l’enfance, Conseil de la jeunesse et de l’action associative).
Au total, plus d’une vingtaine de lois organiques devraient voir le jour après l’adoption de la nouvelle Constitution. Et elles devraient toutes paraître dans un délai d’un an. L’article 86 est on ne peut plus clair. “Les lois organiques prévues par la présente Constitution doivent avoir été soumises pour approbation au parlement dans un délai n’excédant pas la durée de la première législature suivant la promulgation de ladite Constitution”, stipule l’article. Une précaution du législateur pour éviter que ces nouvelles institutions ne tombent dans les oubliettes. Rappelez-vous, le Conseil économique et social prévu dans la Constitution de 1992 n’est devenu effectif que près de 20 ans plus tard, précisément le 21 février dernier. Autre exemple, la Haute cour de justice, introduite dans la mouture de 1996, a attendu sa loi organique jusqu’à mourir de sa plus belle mort avec ce nouveau projet constitutionnel. Ainsi, les départements ministériels chargés d’élaborer ces lois organiques et les élus chargés de les adopter ne devraient pas chômer au cours de la prochaine année législative. Reste à savoir si cela sera réalisé par les ministres et parlementaires aujourd’hui en fonction ou par un nouveau gouvernement et de nouveaux parlementaires élus. L’annonce de projet de constitution a relégué au second plan le calendrier quasi officiel d’élections anticipées. Selon certains, ces élections ne seraient même plus à l’ordre du jour.

 

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