Yémen. Le régime qui ne tombe pas

La révolution yéménite soufflera sa première bougie à la fin du mois. Pourtant, les manifestations continuent et le président Ali Abdallah Saleh est toujours là. Certains craignent que son départ ne mette pas fin à son régime. Zoom sur une révolution qui dure, qui dure…

L’“Arabie heureuse” porte mal son nom en ce moment. Depuis bientôt un an, des millions de manifestants réclament le départ du président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 33 ans. Lui et ses proches du

Congrès général du peuple (CGP) gardent un pouvoir qui inquiète une partie de l’opposition. Après avoir annoncé sa non-candidature aux prochaines élections, une réforme de la Constitution, un limogeage de son gouvernement, et après avoir reçu un éclat d’obus près du cœur dans un attentat qui le visait, le président Saleh a enfin signé un accord qui prévoit son départ du pouvoir le 21 février. Cette tentative de sortie de crise, menée par le Conseil de coopération du Golfe, a débouché sur un transfert de pouvoir au numéro 2 du régime, Abd Rabbo Mansour Hadi. L’accord signé garantit une immunité au président sortant et à ses proches. “L’initiative des pays du Golfe a créé des divisions au sein de l’opposition. Les jeunes, initiateurs du mouvement de contestation, ont été écartés du processus au même titre que les sudistes. Nous rejetons cet accord qui change la personnalité au pouvoir mais pas le régime. C’est la chute de tout un système que nous demandons”, explique Atiaf Alwazir, activiste et blogueuse yéménite, lors d’une conférence organisée par l’association Sciences Po monde arabe à Paris.

Le spectre de la division
Depuis ses débuts, le mouvement de contestation (dont la première grande manifestation date du 3 février 2011) a rassemblé des sensibilités différentes, voire opposées. “Le mouvement compte plusieurs acteurs qui rendent sa compréhension difficile. Il y a des indépendants, l’opposition formelle qui compte 6 partis, une branche de l’armée dirigée par Ali Mohsen, des tribus, les rebelles dits Houthistes (ndlr : des zaydites, branche de l’islam chiite, qui tirent leur nom de leur chef Hussein Al-Houthi, insurgé contre le régime) etc.”, selon Atiaf Alwazir. La jeunesse n’est donc pas la seule force du mouvement, l’opposition partisane représentée par le Forum commun (Frères Musulmans et socialistes) est venue, elle aussi, grossir les rangs de l’opposition. “La jeunesse se voit aujourd’hui rétrogradée au second plan. La création d’un équilibre de la puissance entre régime et opposants, et la militarisation effective de la contestation, mettent en effet en péril le caractère pacifique de cette dernière”, écrit Laurent Bonnefoy, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient, dans un article du CNRS, “Yémen : la révolution inachevée”. Et d’ajouter que ce qui est à craindre c’est “une captation et un encadrement de la révolution par les forces politiques traditionnelles (partis, rébellions, tribus et bureaucraties), permettant à ces dernières de préserver certains avantages clientélistes acquis ou les ressources que leur opposition leur a permis d’engranger, parfois au niveau local”.

Révolution culturelle
Pour l’heure, des centaines de milliers de manifestants continuent d’occuper “la place du changement” à Sanaa. Et le mot d’ordre reste l’opposition pacifique, même si plus de 400 personnes ont été tuées par le régime depuis le début de la révolution. “La majorité des manifestants ont refusé de prendre les armes et ce n’est pas parce qu’ils n’en ont pas”, souligne Atiaf Alwazir. En effet, pour 24 millions d’habitants, le pays compte plus de 60 millions d’armes à feu en circulation. Les révolutionnaires sont convaincus que le changement passe par le militantisme et l’expression artistique. “La place du changement est devenue une arène politique où sont organisés des débats sur des thèmes politiques mais aussi des cours d’alphabétisation pour les femmes. Mais ce qui m’a surtout surprise c’est la créativité de mes concitoyens”, témoigne Atiaf Alwazir. Sur “la place du changement”, des concerts de musique traditionnelle, hip hop et reggae sont organisés, et des concours de poésie ont même vu le jour. C’est cette image que les révolutionnaires yéménites veulent que le monde retienne d’eux.

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