Galeries Lafayette. Retour vers le futur

En s’installant au Morocco Mall, les mythiques galeries parisiennes signent un come-back triomphant à Casablanca, ville où elles étaient déjà présentes il y a près d’un siècle. Histoire d’un aller-retour.

Après le record du plus grand couscous, du plus grand tagine et du plus grand drapeau du monde, le Maroc a désormais un nouveau record dans le célèbre Guiness : la plus grande façade de magasin érigée en mall. Le magasin en question n’est pas un Marjane ou un Kitea géant, mais bien les Galeries Lafayette, la célèbre enseigne française de shopping, qui ouvrira, sous franchise, ses portes ce lundi 5 décembre au Morocco Mall de Casablanca, le plus grand d’Afrique. Gigantesque donc, la façade reproduit les codes du magasin des galeries du boulevard Haussmann à Paris, mais avec des dimensions qui donnent le tournis. Enroulée bien sûr, comme une coupole, perforée en aluminium et bronze, rétro-éclairée, elle couvre les trois étages du magasin, soit 14 mètres de hauteur. Une œuvre d’art grandeur nature qui donne un avant-goût assez éclectique de l’intérieur des galeries, bien parties pour être le nouveau temple du shopping de la capitale économique. A la hauteur de ce qui se faisait déjà il y a près d’un siècle…

Souvenirs, souvenirs…
Paris 1916. Les Galeries Lafayette ont déjà 27 ans. Le concept de bazar de luxe imaginé par ses fondateurs Théophile Bader et Alphonse Kahn cartonne à Paris. Les deux cousins décident d’exporter le concept dans d’autres pays, notamment le Maroc, alors sous protectorat français. Leur gendres, propriétaires de la société de droit français “Paris-Maroc”, disposent déjà d’un immeuble nouvellement construit plein centre-ville de Casablanca, place de France, à deux pas du défunt cinéma Vox. Ils y installent au rez-de-chaussée les “magasins modernes”, avec l’annotation en bas : succursales des Galeries Lafayette Paris. L’histoire des Galeries de Casablanca sera, depuis, très liée à celle de l’immeuble. œuvre des “pères du béton”, les célèbres frères Perret, concepteurs entre autres du théâtre des Champs Elysées, ce joyau architectural est alors “l’un des premiers bâtiments du Casa moderne. Son chantier a été d’ailleurs ouvert en même temps que celui du grand théâtre des Champs Elysées à Paris”, nous raconte Rachid Andaloussi, architecte et membre fondateur de l’association Casamémoire. L’emplacement choisi est idéal pour le commerce. La ville proprement dite de Casablanca se limitait à la ville européenne. Et c’est dans ce lieu que les manifestations sportives, culturelles, défilés militaires, corso fleuris, bals masqués se déroulaient. Emplacement de choix donc et enseigne de renom, les “magasins modernes”, qui proposent alors un assortiment de mercerie, tissus, dentelles, rubans et colifichets…, deviennent vite “the place to be” pour les Casablancais. Leur fenêtre sur le monde de la fashion made in Paris et de la grande conso. Soly Anidjar, ancienne Casablancaise, en garde toujours des souvenirs : “C’était un merveilleux magasin. Il était la fierté de tous les Casablancais. Ici, je me rappelle encore des jours de braderies et des photos qu’on faisait chaque année avec Papa Noël”, écrit-elle dans son blog, dédié à la ville qui l’a vue naître. Autre témoin de l’époque, Jacqueline : “Je me rappelle encore du coin pâtisserie des magasins modernes. On y vendait des feuilletés tout chauds avec des fraises et de la crème chantilly, j’ai encore cette odeur dans le nez…”.

Shoah et fin
Cette belle histoire tournera court quand les fondateurs du projet, des juifs français, se frotteront à l’occupant nazi. En juin 1940, les affiches “entreprise juive” sont apposées sur les vitrines du magasin. Théophile Bader, cofondateur de l’enseigne, meurt à Paris en 1942. L’entreprise est reprise par ses gendres, Max Heilbronn et Raoul Meyer.
Le premier est déporté comme résistant à Buchenwald. Le second se réfugie dans la zone sud. Robert Levy, beau-frère du fondateur et directeur général des Galeries Lafayette, ainsi que son épouse, sont assassinés. A Paris comme à Casa, l’affaire de famille sombre. Les choses vont reprendre de plus belle après la fin de la guerre… mais pas à Casa. Car, dès le début des années 50, la ville, fief de la résistance marocaine, s’embrase. Des attentats sont perpétrés au centre-ville et le business tombe à l’eau. Puis suivra l’indépendance en 1956 et la vague de marocanisation. Plus rien ne sera comme avant. L’affaire ne s’en remettra jamais, mais continuera à tourner malgré tout jusqu’au jour où les autorités décident de démolir l’immeuble des magasins modernes. “La démolition de l’immeuble s’est faite en même temps que celle du cinéma Vox, de l’hôtel d’Anfa et de tous les autres joyaux perdus de la ville”, signale Andaloussi, qui se rappelle toujours de ses premiers livres de Marx achetés dans les Galeries quelques mois à peine avant leur disparition. Les Galeries Lafayette de Casablanca ne sont plus. “Mais leur souvenir a dû beaucoup compter dans la décision de leur retour”, suppose Rachid Andaloussi. Possible, surtout que l’affaire est pilotée encore et toujours, par la 5ème génération de descendants des pères fondateurs.

Le come-back
50 ans plus tard, les Galeries reviennent à Dar Beida. Un come-back que la ville doit à l’ambition d’une dame : Salwa Idrissi Akhannouch. Patronne du groupe Aksal, propriétaire de plusieurs franchises et promoteur de Morocco Mall, Mme Akhannouch ira dès 2007 frapper à la porte des Galeries pour les convaincre de lui confier la franchise de la marque centenaire. Une mission difficile, sachant que les Galeries ne sont alors installées dans aucun autre pays étranger, à part en Allemagne, dans la capitale Berlin. “Les négociations ont été très rudes. ça nous a pris plus d’une année d’allers-retours, de pourparlers, de présentations… pour convaincre”,
nous dit une source proche du dossier. Le pacte, tenu confidentiel jusqu’au jour de son annonce, sera finalement scellé à Marrakech, entre la patronne du groupe Aksal et Philippe Houzé, patron des Galeries et représentant de la famille actionnaire. Pour le convaincre, le groupe Aksal avait une belle carte dans sa manche : les Marocains sont parmi le top 10 de la clientèle du magasin Bd Haussmann à Paris, à parité avec les Saoudiens ! Pour tout cela, ce petit coin de Paris avait bien des raisons de faire le déplacement…

 

Shopping. Grand bazar de luxe
D’une surface de 10 hectares, étalés sur 3 niveaux, les Galeries Lafayette de Casablanca devront accueillir, selon les estimations de ses dirigeants, pas moins de 3 millions de visiteurs par an. Plus de 300 marques de vêtements et accessoires y seront distribués. Et il y a vraiment de tout et pour tous : des marques emblématiques (D&G, Gucci, Calvin Klein, Ralph Lauren), aux marques de grand luxe (Armani, Chanel, Dior, YSL) en passant par les marques propres de l’enseigne. Petite précision : évènements, collections, promotions, soldes, ventes privées… les Galeries Lafayette de Casablanca seront en phase avec celles de Paris et des autres capitales mondiales de la mode. Idem pour les prix, qui seront calqués sur ceux pratiqués en Europe.

 

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