Al Hoceima: Le bout du tunnel est encore loin

Les procès des leaders du Hirak sont partis pour durer tandis que les initiatives de médiation n’ont pas encore débouché sur des solutions concrètes. Le tout sur fond de manifestations quotidiennes dans le Rif. Autant de signes d’un conflit qui s’enlise.

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Crédit: Yassine Toumi

Les chants pacifiques de moins en moins audibles

Quatrième semaine de manifestations quotidiennes dans le Rif. Après la forte mobilisation dans le quartier de Sidi Abid au soir de l’arrestation de Nasser Zafzafi le 29 mai, la contestation prend désormais la forme de petits groupes qui se font écho de colline en colline sur les hauteurs d’Al Hoceïma.

Le mouvement s’essouffle-t-il dans la ville du Rif ? Il est en tout cas décapité de ses leaders, poursuivis à Casablanca en état de détention “pour atteinte à la sûreté de l’État”. Hommes et femmes, les militants, même pacifiques, qui  donnent de la voix lors des manifestations nocturnes sont interpellés de quelques minutes à quelques heures pour leur faire passer l’envie de réitérer le lendemain. Les cordons de policiers se sont faits de plus en plus filtrants au cours du dernier mois, à tel point que les maigres rassemblements pacifiques sont désormais rapidement dispersés par les forces de l’ordre, lors de charges parfois impressionnantes. Aucun chiffre n’a été communiqué par les associations locales sur les blessés dans les rangs des protestataires, mais des images de manifestants ensanglantés circulent sur les réseaux sociaux (non vérifiées). Des manifestants violents, que le pacifisme du mouvement contenait, parviennent alors à se reformer en petits groupes pour caillasser les forces de l’ordre qui ripostent par des pierres et du gaz lacrymogène. À Imzouren, où “les manifestants sont mieux organisés” selon un militant d’Al Hoceïma, la mobilisation demeure importante. Elle prend la forme de marches plus difficiles à contrôler pour les forces de l’ordre. Ces rassemblements deviennent le bruit de fond d’une actualité qui tend vers le black-out. Alors que huit journalistes locaux ont été arrêtés depuis le début de la contestation, les rares journalistes marocains et étrangers encore sur place finissent par jeter l’éponge. Dans le Rif, les militants qui ne sont pas encore derrière les barreaux craignent de répondre au téléphone aux rédactions de Casablanca et étrangères de peur de subir le même sort. L’observateur doit s’en tenir à scruter des lives Facebook, une garantie pour contextualiser des images dans le temps et l’espace.

Procès au long cours

Difficile de tenir à jour le nombre de personnes arrêtées dans le cadre du mouvement de contestation. Depuis que le gouvernement a annoncé le 8 juin le nombre de 86 personnes, les arrestations se poursuivent à Al Hoceïma et Nador. “Trois ou quatre par jour”, affirme un avocat de la défense. Sur un premier groupe de trente-deux, vingt-cinq ont écopé de dix-huit mois, notamment pour “violences à l’égard des forces de l’ordre”, “manifestations sans autorisation” et “rébellion”, vingt jours après leur arrestation. Le lendemain, quatre autres écopaient également de dix-huit mois. “On dirait que le juge s’est fixé une peine qu’il applique sans faire de différence entre les prévenus”, commente Maître Isaac Charia. Alors qu’une vidéo authentifiée par la défense l’innocente, l’un des prévenus a tout de même été condamné. “Il s’appelle Lahbib Oufkir, il a 24 ans, mais ce n’est pas le seul exemple. Beaucoup de gens ont été arrêtés alors qu’ils n’ont rien à voir avec le Hirak”, explique Maître Rachid Belaali, coordinateur du comité de défense. Et il y a fort à faire pour coordonner la défense de procès qui se tiennent à la fois à Nador, Al Hoceïma, Salé et Casablanca. “La stratégie de la justice, c’est de séparer tous les dossiers pour fatiguer la défense”, accuse Isaac Charia. À Casablanca, où est notamment détenu et poursuivi Nasser Zafzafi, la date de la première audience du procès n’est pas encore connue. Selon la défense, les prévenus ne font pas la grève de la faim, contrairement à une rumeur persistante. À Salé, où El Mortada Iamrachen, arrêté le 10 juin, est poursuivi en détention pour “incitation et apologie d’une organisation”, en vertu de la loi antiterroriste, la première audience est fixée au 10 juillet. Pour l’heure, l’enquête porte sur de prétendues publications Facebook remontant au meurtre du diplomate russe à Ankara en décembre 2016, selon l’avocat d’El Mortada cité par Al Aoula, alors que l’ancien salafiste, qui défend désormais la laïcité et les libertés individuelles, a clairement condamné cet assassinat

Dialogue de sourds

La libération des détenus pourrait marquer le début d’un vrai dialogue entre manifestants et politiques. C’est l’une des principales revendications du Hirak et une recommandation de “L’initiative d’Al Hoceïma”, coordonnée par l’ancien président de l’Organisation marocaine des droits de l’homme (OMDH), Mohamed Nesh-Nash. Après s’être rendus à Al Hoceïma et y avoir rencontré une partie des détenus, ses membres ont présenté le 15 juin un rapport assorti de recommandations. “Nous avons transmis ce rapport à l’ensemble des membres du gouvernement et nous espérons rencontrer Saâd-Eddine El Othmani prochainement. Les ministres savent désormais parfaitement quels sont les désidératas des manifestants”, explique Mohamed Nesh-Nash,  qui espère une grâce royale en faveur des détenus du Hirak à l’occasion de l’Aïd El Fitr. La libération des détenus a également été évoquée par plusieurs intervenants au “débat national”, organisé par Ilyas El Omari le 16 juin au siège de la région Tanger-Tétouan Al Hoceïma, et auquel ont participé le ministre de la Justice, Mohamed Aujjar, le ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur, Noureddine Boutayeb, et le ministre du Tourisme, Mohamed Sajid, ainsi que des militants du Hirak et des familles de détenus. Le vice-président du parlement de Bruxelles, Fouad Ahidar, y a remis en question l’intérêt même du débat, répétant que “l’heure est aux actions, non aux paroles”. En ce sens, le gouvernement répète que les projets de développement de la ville verront le jour dans les délais annoncés.

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