Le juteux business des sacs en plastique de contrebande menace "Zéro Mika"

Malgré leur interdiction, les sacs en plastique sont encore répandus dans tout le Maroc. Entre les firmes de contrebande et les entreprises frauduleuses, la situation est plus que jamais préoccupante.

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La campagne Zero Mika

Le 1er juillet 2016, une loi aussi ambitieuse que nécessaire entrait en application. Depuis, toute production, importation, exportation, commercialisation et utilisation de sacs en plastique destinés à l’emballage est interdite. Le fruit d’un travail de longue haleine mêlant associations, entreprises, personnalités politiques et même Mohammed VI en personne qui déclarait lors de la Cop 21 que la lutte contre les sacs en plastique était « un véritable défi« . L’heure était alors à l’espoir, notamment grâce à la Campagne « Zéro Mika » (Zéro sachet), initiée par la Coalition marocaine pour la justice climatique (CMJC). Le Maroc était alors le second consommateur de sacs en plastique après les États-Unis.

Moins d’un an plus tard, c’est la douche froide pour le coordinateur de cette même coalition, Abdelhakim Ksiri. « Un véritable travail a été mené dans un premier temps. Mais depuis quelques mois, c’est la régression. Les sacs plastiques sont de retour« , déplore-t-il.

Pire encore, un business clandestin d’envergure profiterait de cette interdiction pour réaliser des profits, et pas des moindres. « Plus de 50% des sacs présents sur le marché sont issus de la contrebande. Cela se chiffre en plusieurs millions de dirhams« , déplore Abdelaziz Lazrak, secrétaire général de l’Association des producteurs des sacs plastiques.

Lire aussi : Interdiction des sacs en plastique : le bilan chiffré des six premiers mois

Dans son édition du 20 juin, le quotidien Assabah rapporte le message d’alarme adressé à Moulay Hafid Elalamy par le conseiller Tayeb El Moussaoui, du groupe de l’Istiqlal à la 2e chambre. Celui-ci s’inquiète du retour des sacs en plastique produits à l’étranger et écoulés clandestinement au Maroc. Un phénomène également dénoncé par le coordinateur de la CMJC qui avance le chiffre de 78.000 contrebandiers sur le territoire marocain.

« Une grande partie des sacs plastiques provient aujourd’hui des zones frontalières.  Il existe même une usine dans le sud de l’Espagne qui produit des sacs avec des écritures en arabe. Depuis la loi du 1er juillet 2016, de nombreux contrebandiers ont compris qu’il y avait là beaucoup d’argent à se faire.« 

Si le phénomène des firmes clandestines n’est pas nouveau au Maroc, le développement du commerce illégal de sacs plastiques est un phénomène relativement récent. Un mal d’autant plus dur à combattre qu’il n’épargne pas des entreprises marocaines déjà sanctionnées pour leur usage ou leur production de ces sacs colorés. Certaines unités industrielles ont soit repris, soit continué à produire, des sacs en plastique. Abdelhakim Ksiri s’inquiète:

« Certains industriels ont repris leurs activités dans un cadre informel. Les autorités ne devraient pourtant pas avoir de mal à déceler cette activité au vu de son envergure.« 

Quid de l’argent public?

Entre les firmes clandestines et les entreprises peu soucieuses de la loi, difficile d’envisager la fin du sac plastique souhaitée par le gouvernement. Face au cri d’alarme de Tayeb El Moussaoui, Moulay Hafid Elalamy a rappelé qu’un fonds de 200 millions de dirhams avait été mis en place pour accompagner la reconversion des entreprises qui produisent des sacs plastiques.

Bien que 600 entreprises soient concernées par ce fonds, moins d’une quinzaine ont déposé leur candidature, selon notre confrère L’Économiste. Un chiffre qui cacherait un phénomène encore plus préoccupant: « Certaines entreprises ont déjà reçu la dernière tranche des subventions alors qu’elles ne respectent pas la loi en continuant à produire des sacs. Il s’agit tout de même d’argent public« , s’indigne le coordinateur de la Coalition marocaine pour la justice climatique.

Avec le développement des sacs en plastique de contrebande, il y a peu de chances de voir les industriels requalifier leur production. Ceux-ci sont vendus à 10 centimes de dirhams l’unité, contre 30 centimes au minimum pour un sac en papier ou en tissu. Un phénomène qui pénalise les entreprises ayant débloqué des fonds pour respecter la loi, selon Abdelhakim Ksiri:

« Des entreprises paient le prix fort pour développer des alternatives au sac plastique. Ils se sentent punis, car ils ont appliqué la loi pendant que d’autres profitent des lacunes du système en réalisant des bénéfices.« 

Un constat partagé par le Secrétaire général de l’Association des producteurs des sacs plastiques, Abdelaziz Lazrak:

« À titre personnel, j’ai investi plus de 30 millions de dirhams dans des alternatives au plastique. Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises sont au stade du Wait and see en ce qui concerne la requalification de leur production. On se demande si c’est vraiment une bonne chose à faire.« 

À l’heure où la Tunisie et le Kenya ont également interdit le sac plastique sur leur territoire, le Maroc doit désormais se battre sur deux fronts: la lutte contre la contrebande, et l’application de la loi concernant les entreprises nationales.

Un travail urgent selon Abdelhakim Ksiri qui, en l’absence de données chiffrées sur ce business, estime que « chaque année, les sacs plastiques sont produits illégalement ou introduits sur le marché marocain par centaines de milliers de tonnes« . Cela malgré une loi particulièrement restrictive. Pour rappel, les amendes pour la fabrication de ce produit polluant peuvent attendre 1 million de dirhams.

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