Affaires courantes: que dit la loi ?

Son mandat ayant pris fin, le gouvernement sortant ne doit gérer que les affaires courantes pour garantir la continuité des services de l’État. Ce qui est loin d’être le cas des conventions signées par les “ministres de souveraineté” lors du périple africain du roi. Qu’en dit la loi ?

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Réunion à Rabat du Conseil de gouvernement

Depuis deux mois, le gouvernement sortant ne fait qu’expédier les affaires courantes. « C’est-à-dire que le cabinet sortant doit seulement veiller à ce que les affaires qui étaient déjà en place continuent jusqu’à leur aboutissement, des mesures urgentes. Mais il ne doit rien initier de nouveau qui engage le prochain gouvernement », explique ce constitutionnaliste, ancien membre de la commission de révision de la Constitution. Une définition qui n’est pas sans nous confronter aux conventions signées lors de la dernière tournée africaine de Mohammed VI. Du Rwanda au Nigeria, en passant par la Tanzanie ou Madagascar, Aziz Akhannouch, Moulay Hafid Elalamy, Mohamed Boussaïd, Salaheddine Mezouar ou encore Mohamed Hassad, dont les mandats ont pris fin le 7 octobre, ont signé des accords et des conventions touchant à tous les secteurs : agriculture, pêche, énergie, relations bilatérales, aérien, finances, sécurité, industrie… Question : les dizaines de conventions signées par les « ministres de souveraineté » relèvent-elles de la gestion des affaires courantes ? Les constitutionnalistes sont divisés.

Un texte fourre-tout

« La gestion des affaires courantes est une notion un peu complexe », lance d’entrée de jeu Khalid Naciri, constitutionnaliste et ancien ministre de la Communication. Complexe et floue, devrait-il ajouter. La loi fondamentale dispose, dans son article 47, que « le gouvernement démissionnaire expédie les affaires courantes jusqu’à la constitution du nouveau gouvernement. » Sans plus de détails.

La loi organique relative à la conduite des travaux du gouvernement, publiée dans le Bulletin Officiel en 2015, nous en donne une idée un peu plus claire : « On entend par ‘expédition des affaires courantes’ l’adoption des décrets, des arrêtés et des décisions administratives nécessaires et des mesures urgentes requises pour garantir la continuité des services de l’État et de ses institutions ainsi que le fonctionnement régulier des services publics », indique l’article 37. Précision de taille : tout ce qui est « susceptible d’engager durablement le futur gouvernement » n’est pas du domaine des affaires courantes, précise la même loi. Voilà pour le cadre juridique. Venons-en à la pratique : les dizaines de conventions et accords signés par Hassad, Boussaïd, Akhannouch, Mezouar ou Elalamy sont-elles conformes à la loi ? « On est très loin des affaires courantes », tranche, sous couvert d’anonymat, cet ancien membre de la commission consultative de la révision de la Constitution. « Pour la partie qui me concerne, il s’agit de conventions qui vont être ratifiées, donc approuvées par le parlement », se défend Mohamed Boussaïd, ministre de l’Économie et des Finances. « Constitution ou pas, il n’y a pas de vacance des institutions au pays. Est-ce parce que le gouvernement expédie les affaires courantes que tout doit s’arrêter ? », s’interroge-t-il. Cette lecture est partagée en partie par le politologue et constitutionnaliste Mustapha Sehimi, qui estime que « l’expédition des affaires courantes est à analyser au cas par cas ». Commentant l’accord de coopération sécuritaire signé, en octobre dernier, entre Mohamed Hassad et son homologue rwandais, le politologue sort de son chapeau cet argument : « J’essaie de me faire l’avocat du diable. On peut invoquer qu’il s’agit d’une convention portant sur un secteur qui relève lui aussi des affaires courantes, dans la mesure où le Maroc a une constante: sa politique de coopération sécuritaire ». Les affaires courantes seraient-elles une pâte dont on peut tout faire ? « Il y a une lecture a minima, c’est-à-dire faire le minimum possible. Puis la lecture médiane qui consiste à continuer à faire tourner la boîte, mais aussi l’interprétation optimale qui consiste à dire qu’il y a une boîte à faire tourner et que, lorsque des opportunités se présentent, il faut en profiter dans le cadre des affaires courantes », égrène-t-il. Une pâte à modeler qui résiste pourtant mal à l’épreuve de l’analyse juridique. Car la lecture de Sehimi est loin d’être partagée par les constitutionnalistes contactés par TelQuel, dont Khalid Naciri : « Les affaires courantes, c’est gérer le minimum nécessaire pour le fonctionnement de l’État et pas au-delà ». Selon l’ancien ministre PPS, « les conventions signées lors du périple royal relèvent de l’ordre de la souveraineté » dans la mesure où la tournée africaine est l’œuvre de Mohammed VI.

Cafouillage constitutionnel

« Le roi, en vertu de la Constitution, est chargé de la détermination des grandes orientations stratégiques, et la politique africaine en fait partie. Ce n’est pas du domaine des affaires courantes, mais un domaine réservé au roi. Les ministres en question ont signé sous sa couverture », analyse le constitutionnaliste de la commission de Abdellatif Menouni. Même écho du côté de Khalid Naciri : « L’élément déterminant pour la signification des affaires courantes, c’est l’intervention ou non de Sa Majesté. Là, c’est l’institution monarchique qui transcende les gouvernements, en dehors du cadre historique. » Une lecture qui s’appuie sur l’article 42 de la Constitution qui dispose que le roi est « Garant de la pérennité et de la continuité de l’État ». « Les questions stratégiques sont la chasse gardée du roi, qui préside le Conseil des ministres », justifie un membre du gouvernement sortant. Mustapha Sehimi, lui, n’est pas de cet avis, car « il n’est pas dit, dans la Constitution, que les conventions signées à titre dérogatoire dans les délégations royales ne relèvent pas des affaires courantes. » Bref, le cafouillage est tel que la notion des affaires courantes devient insaisissable. « Quand il y a une visite officielle de Sa Majesté dans des pays et des conventions à signer, doit-on leur dire qu’on ne fait qu’expédier les affaires courantes ? C’est du n’importe quoi ! », répond Mohamed Boussaïd, brandissant le principe de la continuité de l’État.

L’État, c’est moi

Tiraillé entre son alliance avec l’Istiqlal et les conditions posées par le président du RNI, Aziz Akhannouch, Abdelilah Benkirane peine à former une majorité depuis le 10 octobre. Sans gouvernement depuis deux mois, le Maroc continue de tourner à plein régime. COP22, tournée royale, annonce de lancement du gazoduc ouest-africain… rien ne semble être bloqué par la crise gouvernementale. Un message à peine voilé du Palais, destiné à Benkirane et laissant entendre que le roi est le seul maître à bord. C’est du moins l’analyse de Mustapha Sehimi, qui enfile sa casquette de politologue : « Il y a une volonté royale de reprendre la main. C’est bien entendu un message politique : pendant que moi je travaille sur de grands projets, Benkirane n’arrive pas à former une majorité ». Même son de cloche auprès d’un vieux routier de la politique, qui requiert l’anonymat : « Le message consiste à dire qu’avec ou sans gouvernement, l’État fonctionne ».

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