Le centre culturel marocain à Paris, «contre pied d’une vision orientaliste» du Maroc

Rencontre avec Tarik Oualalou, l’architecte qui a dessiné le futur centre culturel marocain à Paris.

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Crédit : OUALALOU+CHOI.

C’est après deux ans de travail que Tarik Oualalou a présenté au roi Mohammed VI le 17 février les plans du Centre culturel marocain à Paris. Ce projet  est « une opération extraordinaire »,  estime cet architecte choisi par l’ambassade du Maroc en France. Extraordinaire ? Parce que c’est la première fois que le Maroc se dote d’un tel centre à l’étranger. « C’est un vrai step. Il s’agit d’une politique culturelle de la part du Maroc qui considère que la culture marocaine contemporaine doit rayonner à travers le monde. Ce centre s’inscrit aussi dans la volonté de renforcer les liens avec la diaspora », commente Tarik Oualalou.

Tarek Oualalou et son épouse Linna Choi, avec qui il a monté l'agence. Crédit : Charlotte Valode.
Tarek Oualalou et son épouse Linna Choi, avec qui il a monté l’agence. Crédit : Charlotte Valode.

Un lieu symbolique. Le bâtiment, ancien siège de l’association des étudiants musulmans nord-africains,  appartient au Maroc depuis des décennies. « C’était le cœur de la vie culturelle, intellectuelle, partisane, syndicale, les grandes figures de l’indépendance y sont passées dans les années 1940 », nous raconte Tarik Oulalaou, qui se rappelle ce que l’adresse représentait pour son père. Puis le lieu s’est vidé et a périclité pour finalement menacer ruine aujourd’hui.

Un emplacement stratégique. Contrairement aux centres culturels étrangers situés dans les quartiers diplomatiques, celui-ci sera au cœur du quartier latin, bien que l’ambassade avait d’abord regardé du côté de Mantes la Jolie, dans les Yvelines. « Cela ne sera pas un lieu muséal mais un lieu de vie », nous raconte l’architecte.

Une opération délicate. La restauration du lieu est un défi de taille puisque le bâtiment de 300 mètres carrés est situé dans un quartier protégé entre deux immeubles inscrits au patrimoine (voir les maquettes ci-dessous). Le permis vient d’être déposé, les travaux devraient débuter à l’automne et le centre ouvrir en hiver 2018.

Crédit : OUALALOU+CHOI.
Crédit : OUALALOU+CHOI.

 

Une opération d’équilibriste. A savoir si d’après lui le fait d’être Marocain était nécessaire pour pouvoir relever le défi, Tarik Oualalou estime que « la nationalité de l’architecte importe peu mais l’approche architecturale si ». Et c’est bien une approche marocaine que l’artiste a choisi d’emprunter. « Nous voulions un bâtiment profondément parisien et profondément marocain à fois. Il devait porter une identité marocaine, mais on a essayé de le faire non par pastiches et utilisations de formes et de styles comme les mosaïques, les toiles vernissées etc. Ces expressions seraient anachroniques et n’auraient pas de sens dans ce lieu. Nous avons plutôt choisi des choses qui sont intimes à la culture marocaine », nous raconte Tarik Oualalou.

Les références au Maroc sont donc plus subtiles : le rapport à la ruelle et l’ouverture, qu’on retrouve dans les médinas (le bâtiment a deux entrées, sur deux voies différentes) ou encore le rapport entre la partie et le tout (constitution du bâtiment en un seul bloc). « Ici l’ensemble est constitué d’un seul module, assemblé comme une marqueterie, une espèce de bijou, d’écrin », tente de nous expliquer, le plus simplement possible l’architecte. Et de tenter de résumer, de manière toujours aussi pédagogue : « Le bâtiment est très simple. On propose plutôt une expérience spatiale ». Celui qui enseigne au Maroc essaie de résumer : « Cela reste un bâtiment simple mais qui est très marocain non pas par le décor mais par la manière donc l’architecture se fait ».

Crédit : OUALALOU+CHOI.
Crédit : OUALALOU+CHOI.

Un Marocain entre deux rives. Si l’homme arrive à jongler c’est qu’il a lui-même une jambe sur chaque rive de la Méditerranée. Enfance et adolescence à Rabat, études en France et aux Etats-Unis, où il rencontre son épouse. C’est avec elle qu’il monte son agence, il y a quinze ans. Le couple possède aujourd’hui deux bureaux : un en France et un au Maroc. Son pays natal, « son âme », qu’il aime représenter à l’étranger. C’est à cet architecte que le royaume a fait appel pour dessiner le pavillon marocain à Milan en 2015 et avant le premier pavillon marocain à la biennale d’architecture de Venise. Un exercice dans lequel il parvient même à manifester sa fibre patriote. A Venise, il a par exemple choisi de s’intéresser au désert, Sahara « ignoré » des architectes et pourtant « au cœur de l’identité marocaine ». Sahara remis à l’honneur par Tarek Oualalou en 2015 lors de l’exposition Maroc contemporain à l’institut du monde arabe.

Un ambassadeur du Maroc contemporain. Mais ce qu’il qualifie lui-même de cheval de bataille c’est plutôt le contre-pied d’ « une vision très orientaliste, une vision Aladin » du Maroc, véhiculée y compris par les Marocains eux-mêmes. Entendez : les arcades et les minarets (repris par le pavillon marocain à toutes les expositions universelles jusqu’en 2010). « La scène artistique marocaine aujourd’hui est certainement la plus intéressante du monde arabe, une des plus riches d’Afrique, il s’y passe des choses incroyables, on a de très grands artistes et tous ne sont pas dans une vision touristique et orientaliste de la culture marocaine », perçoit-il. Un engagement illustré dans ces réalisations à l’étranger mais aussi au Maroc. L’homme a plusieurs projets en cours, à Casablanca notamment. Il préfère ne pas trop donner de détails. La surprise n’en sera que plus grande.

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