Quand le chef de la Minurso relevait les leçons tirées par le Maroc à Gdeim Izik

Un document confidentiel et crypté envoyé en 2011 par Abdelaziz Hany, alors chef de la Minurso, que le Maroc aurait intercepté à l’aide d’un indicateur, est publié par le hacker Chris Coleman.

Le câble, sobrement intitulé Outgoing code cable et envoyé à Edmond Mulet, sous-secrétaire général aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, revient sur les violences ayant eu lieu quelques jours auparavant à Dakhla, où, en marge d’un match de football tenu le 25 septembre 2011 entre le Mouloudia El Dakhla et le Chabab El Mohammedia, des violences avaient causé la mort de 7 personnes, « deux policiers, trois Marocains et deux civils sahraouis », précise le document.

L’intérêt du document est d’une part qu’il jette un éclairage sur ce que la direction de la Minurso pouvait dire du Maroc sans savoir que Rabat le lirait, et d’autre part de jauger la nature des informations que le Maroc pouvait obtenir à l’aide de son indicateur onusien.

Transparence et retenue policière

Le câble d’Abdelaziz Hany, alors représentant spécial de l’ONU pour le Sahara occidental et chef de la Minurso, fait le bilan sur la visite de trois jours qu’il a faite à Dakhla du 27 au 29 septembre 2011, immédiatement après ces violences. Il est globalement plutôt positif pour les autorités marocaines, considérant que « les autorités nous ont donné les accès, les informations et la pleine liberté de mouvement » requise. « Le wali nous a dit ‘nous sommes pleinement transparents’ et nous avons tendance à le croire », écrivait même Abdelaziz Hany, qui notait alors qu’ « une telle transparence est pratiquement inexistante dans la région ».

Abdelaziz Hany déplore même la retenue de la police marocaine : « Au départ, la police, du fait d’un sous-effectif, n’a pas pris les mesures appropriées et a agi d’une manière excessivement retenue ! ». Selon lui, il a fallu le deuxième jour des violences pour que les autorités mettent en place des check-points routiers.

Eviter un deuxième Gdeim Izik ?

Mais cette retenue excessive, Abdelaziz Hany l’attribue aux leçons tirées par le Maroc suite aux violences ayant eu lieu un an auparavant, à Gdeim Izik :

Le Maroc semble avoir pris note de la réaction de la communauté internationale au démantèlement du camp de Gdeim Izik en novembre 2010 et a décidé de changer son modus operandi.

Lire aussi : Les familles des victimes de Gdeim Izik s’attaquent à l’ONU

Autre curiosité : le patron de la Minurso s’étonne de voir le Front Polisario dresser le bilan à un seul mort et deux blessés, quand le Maroc l’évaluait à 7 morts et 20 blessés. « Nous échouons à comprendre pourquoi le Polisario minimise ces événements, contrairement à ses habitudes », s’interrogeait Abdelaziz Hany. « Nous pensons que les raisons d’un tel changement de stratégie de communication sont liées aux événements régionaux et à l’assemblée générale de l’ONU en cours, tandis que certains acteurs proches du Polisario ont senti que la violence à Dakhla ne jouait pas dans leurs intérêts et qu’elle devrait être minimisée autant que possible », rajoutait-il, sans préciser s’il visait le Printemps arabe derrière « les événements régionaux » mentionnés, dans ce câble daté du 3 octobre 2011.

L’implication du Polisario écartée pour Hany

Mais la visite d’Abdelaziz Hany, au cours de laquelle il a eu des « rencontres informelles comme des entrevues officielles, à la fois avec des Marocains et des Sahraouis, notamment le wali, le maire, la société civile, la police, des officiers militaires et du personnel médical », dément la position officielle du Maroc, qui avait alors dénoncé des manipulations politiques orchestrées par « certains éléments », voire mentionnant directement « les séparatistes » un peu plus tard.

Rien de tout cela pour Abdelaziz Hany, qui fort de ses rencontres, en parvenait à la conclusion que « la violence était strictement reliée au match de football ». Ses différents interlocuteurs lui ont dit que « les événements de Dakhla étaient l’œuvre de personnes avec des antécédents criminels dont le déchaînement a été soutenu par une jeunesse sans emploi ».

Le patron de la Minurso croit notamment à l’hypothèse de règlements de compte liés à différents trafics, notamment de drogue : « Les lieux [des violences], ainsi que nous en avons été informés, sont devenus récemment un rendez-vous de la contrebande, y compris de drogues dures, et il n’est pas à exclure que les affrontements étaient liés à ce type d’activité ».

Une dépolitisation assumée de ces violences : « Nous ne croyons pas que le Polisario soit d’une quelconque manière impliquée », qu’Abdelaziz Hany, prudent, prend soin de tempérer : « Personne ne peut exclure que quelques éléments isolés [du Polisario] ayant des liens avec les contrebandiers aient pu avoir quelque influence lors des affrontements ».

Des tensions communautaires derrière un match de foot

En revanche, l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental pointe du doigt « le positionnement des militaires et des forces de sécurité entre les deux communautés, qui vivent dans des quartiers séparés ». Pour lui, cela suggère que le clivage communautaire « a joué un rôle en mettant encore davantage d’huile sur le feu », la violence ayant « spontanément éclaté avec la défaite [0-3, ndlr] de l’équipe de Dakhla ».

Ce câble confidentiel de l’envoyé spécial pour le Sahara occidental serait l’un de ceux que l’indicateur du Maroc auprès du secrétariat général de l’ONU a envoyé au Maroc. En avril 2015, Chris Coleman avait publié un document de la diplomatie marocaine daté du 7 juin 2013, dans lequel le représentant permanent adjoint du Maroc à l’ONU, Lotfi Bouchaara, transmettait des informations confidentielles du secrétariat général de l’ONU au ministre des Affaires étrangères, obtenues « à travers nos sources au sein du secrétariat [général] ».

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Un récent rapport onusien accuse ainsi le Maroc d’avoir intercepté des documents confidentiels du secrétariat général de l’ONU, s’appuyant notamment sur la correspondance d’Omar Hilale, représentant permanent du royaume à l’ONU, de janvier à septembre 2014, publiée par le compte Twitter Chris Coleman.

Ce hacker, qui a accédé aux boîtes email de plusieurs hauts responsables de la diplomatie marocaines à l’aide d’un phishing, a commencé à publier des documents confidentiels du ministère des Affaires étrangères depuis octobre 2014, documents dont l’authenticité n’a pas été démentie par le gouvernement, qui a accusé l’Algérie d’être derrière ce piratage.

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