A l’horizon 2020, Tamesna doit normalement accueillir 250 000 habitants. Mais pour le moment, la ville située à 20 kilomètres de Rabat est beaucoup moins séduisante que sur le papier. Les problèmes concernent à la fois la construction des logements, les aménagements et l’organisation des services publics. Difficile donc de savoir qui est le responsable de ce que l’on peut considérer, pour le moment, comme un échec.
Côté logement, les promoteurs sont montrés du doigt pour leurs retards de livraison. Al Omrane, responsable du projet, a délégué la construction à plusieurs entreprises privées. Mais certaines d’entre elles n’arrivent pas à assurer leurs engagements et ont même arrêté les travaux. Al Omrane est notamment en litige avec General Conctractors Maroc (GCM) et l’entreprise malaisienne Hidaya. Le ministère de l’Habitat a assuré que le problème allait être résolu, à la demande du roi.
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Huit ans et toujours pas livrés
Miloud Hachimi, qui a déposé la lettre de doléances des acquéreurs au souverain, nous explique qu’avant de s’adresser à Mohammed VI, il a « écrit des centaines de courriers à la primature » mais qu’aucun n’a trouvé de réponse. Pourtant, pour le président de l’association Tamesna pour le développement et la solidarité, l’heure est grave. D’après ses estimations, 750 familles ayant versé des avances à GCM en 2007 n’ont toujours pas été livrées. Et sur l’ensemble de la ville, 3 000 ménages seraient concernés par le même problème.
Pour lui, « les lobbies de l’immobilier profitent des lacunes juridiques et de l’ignorance des citoyens », qui acceptent de signer des contrats peu clairs. « En six ans, je n’ai rencontré que quatre personnes qui sont passées par un notaire », se désole-t-il. Il nous explique par ailleurs que Hidaya a continué à vendre des produits alors que le projet était déjà arrêté.
GCM, l’un des promoteurs accusés, se défend. « On voit que des personnes sont lésées mais de notre côté, nous sommes confrontés à des procédures administratives avec Al Omrane », nous explique le directeur des projets. L’entreprise reproche notamment à Al Omrane, de ne peut pas lui avoir transféré la propriété des terrains du projet Hiba 5 (principal objet du litige), malgré un taux d’avancement de 26 %, constaté en 2012. Une situation qui place en mauvaise situation financière GCM puisque les banques ne peuvent pas prendre de garanties hypothécaires. « Nous avons perdu 80 millions de dirhams sur le projet Amal, nous devions donc récupérer de l’argent sur les autres projets ; mais comment voulez-vous avancer quand le partenaire ne veut plus de vous ? », explique le directeur des projets, faisant référence au fait qu’Al Omrane aurait récupéré de manière « unilatérale » des terrains alors que GCM avait déjà payé des avances.
Installés depuis quatre ans sans assainissement
« Il y eu défaillance de certains promoteurs, on ne va pas le cacher », concède Hicham Onsi, président du groupement d’intérêt économique (GIE) de la ville. Mais pour lui, il y a aussi d’autres responsables : « Les promoteurs étaient les premiers à croire à ce rêve-là, avec de gros investissements. Nous sommes les premiers à servir les citoyens, on cherche à vendre et à livrer bien sûr. Mais aujourd’hui il y a seulement une adhésion de la part des promoteurs et des clients ».
Il pointe du doigt le manque d’infrastructures : « les équipements ne sont pas au rendez-vous, il manque des écoles privées, des centres commerciaux, des postes de police », nous explique-t-il, en rappelant que la ville contient à la fois logements économiques, moyen standing et villas haut de gamme. « Qu’est-ce qui va pousser les gens à acheter à Tamesna ? Aujourd’hui, rien », regrette-il. Le directeur des projets de GCM l’avoue : à part dans le social, les ventes ne se font plus.
De surcroît, les habitants de Tamesna ne pâtissent pas seulement des retards de livraison, mais aussi du manque d’équipements et de la mauvaise qualité des services : « Certains quartiers sont habités depuis quatre ans et n’ont toujours pas de réseau d’assainissement », assure Miloud Hachimi.
Les villes nouvelles rencontrent souvent ces problèmes : d’un côté les habitants ont besoin d’équipements à leur arrivée, de l’autre les opérateurs et les commerces ne trouvent pas d’intérêt à s’installer prématurément.
Casse-tête administratif
« On dépend d’une commune rurale qui a un seul camion pour ramasser les déchets mais comme il est en panne, il n’y a pas de ramassage », nous explique Miloud Hachimi, qui parle « d’amateurisme en matière de gouvernance urbaine ». Tamesna, comme d’autres villes nouvelles, pâtit d’un véritable flou administratif. Les différents quartiers ne dépendent pas tous de la même commune et un même quartier peut être sous la tutelle de différentes communes selon les services, qu’il s’agisse de ramassage des ordures ou de gendarmerie par exemple.
« Une nouvelle ville devrait être gérée en tant que préfecture ou bien avoir un conseil municipal qui lui est propre, au lieu d’être rattachée à un conseil rural. Cela a beaucoup d’influence sur la réussite des projets », estime de son côté Samir Benabid, acquéreur, qui qualifie Tamesna d’ « idéal devenu calvaire ».
Quel(s) responsable(s) ?
Pour Hicham Onsi, « Al Omrane n’a pas protégé son projet », faisant référence à d’autres villes voisines plus attirantes. Mais il le sait, « Al Omrane ne peut rien faire seul, plusieurs ministères doivent intervenir : celui de la Santé, de l’Éducation, de l’Intérieur… ». D’après le président du GIE, il y a eu des problèmes dès le départ lors de la conception du projet, citant notamment la liaison avec Casablanca, réalisée avant celle de Rabat.
Pour Miloud Hachimi au contraire, « il faut respecter le plan initial qui n’a pas été respecté ». Et d’ajouter : « Je tiens à cette ville, qui est une ville agréable, moi qui suis un campagnard avec un esprit rural j’ai opté pour un certain cadre de vie. Le plan d’aménagement de la ville, que j’ai trouvé innovant et extraordinaire, m’a attiré ».
Miloud Hachimi se réjouit du fait qu’Al Omrane prenne le dossier en main, mais aurait aimé qu’elle arrive un plus tôt. Il demande d’ailleurs une enquête judiciaire : « Certains quartiers ont été livrés sans être achevés. La commission technique composée d’Al Omrane et de la commune a signé la réception : ils doivent assumer leurs responsabilités. Je n’accuse personne mais je me pose des questions ».
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