Football : la Botola au féminin

Tandis que toute la planète a les yeux rivés sur le Mondial, les footballeuses marocaines disputent les dernières phases du championnat national féminin. Plongée dans l’univers de ces professionnelles du ballon rond.

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Photo : Yassine Toumi

« Le ciel est encore couvert, quelle chance ! Quelle idée de faire jouer les filles au beau milieu de l’après-midi alors que les garçons ne commencent jamais à jouer avant 18 heures ! », s’exclame une fan des Lionnes de l’Atlas, l’équipe nationale féminine. Elle est venue soutenir ses joueuses favorites, qui évoluent dans les clubs qui disputent ce mercredi 18 juin la demi-finale de la Botola féminine. Il est 14 heures passées et l’entrée principale du stade municipal de Témara est prise d’assaut. Dans moins d’une demi-heure s’ouvrira le match opposant les équipes féminines de l’AS FAR et du Wydad Athlétic Club (WAC). Ce sera ensuite au tour du Chabab Atlas Khénifra (CAK FF) d’affronter le Club municipal de Laâyoune (CMLF). A l’intérieur, les nombreux supporters, hommes et femmes, de tous les âges, investissent peu à peu les tribunes. Tous ont fait le déplacement depuis Rabat, Casablanca et les  petites villes environnantes.

Photo : Yassine Toumi
Photo : Yassine Toumi

Absence de sponsors

Pendant ce temps, les jeunes joueuses des FAR arrivent à l’entrée du stade. Silhouettes athlétiques, cheveux aux vents, regards fixés droit devant, elles sont saisissantes de beauté. « C’est Ghizlane Chebbake, la meilleure buteuse du Maroc », s’enthousiasme sur son passage Bahya El Yahmidi, professeur d’éducation physique, lauréate de l’Institut royal des sports Moulay Rachid  (IRFC) et membre de la commission féminine de l’équipe rbatie. Du haut de ses 23 ans, l’attaquante Ghizlane Chebbake affiche 60 buts au compteur pour l’année 2013. Il faut dire qu’elle a de qui tenir : son père, Larbi Chebbake, a été un joueur international pendant de longues années.

Tout aussi jeunes et jolies, les joueuses du Wydad arrivent en file indienne. Elles disparaissent  dans les vestiaires après avoir brièvement salué les dirigeants de la Fédération royale marocaine de football. Les meilleurs éléments de ces deux clubs font partie de l’équipe nationale féminine. « Les joueuses sont souvent recrutées au sein des clubs de leur quartier ou en milieu scolaire. Nous passons énormément de temps à dénicher de nouvelles recrues au fil de l’année », explique Bahya. Débordante d’énergie communicative, cette dernière est mordue de foot depuis le début des années 2000, car « c’est à cette date que le foot féminin est apparu dans le cadre scolaire ».

Quelques minutes plus tard, les joueuses sont alignées sur le terrain. Celles du Wydad sont regroupées, bras dessus, bras dessous, pour une dernière harangue. Surveillé par les forces de l’ordre, le match est décisif  il s’agit de décrocher une place en finale. Pour atteindre cet objectif, 32 équipes étaient en lice au plus fort de la saison 2013-2014 de la Botola féminine. Pourtant, malgré l’importance de l’événement et l’engouement des spectateurs, ce qui frappe d’emblée, c’est l’absence de sponsors. Aucune publicité en bordure de terrain, aucune marque affichée sur les maillots des joueuses. «Normalement, elles ont droit au soutien des mêmes sponsors que les équipes masculines de leur club, mais sur le terrain c’est une autre histoire », déplore un encadrant de club.

Une vraie corrida

15 heures, coup de sifflet de l’arbitre (une femme aussi), applaudissements retentissants et branle-bas de combat pour les joueuses, qui sprintent avec agilité entre passements de jambes, coups de tête et carambolages, rappelant que le football est un sport violent. La numéro 2 des FAR est immobilisée à terre. Une image qui évoque les chocs des matchs de foot américain.  « Nous sommes dans une vraie corrida ! », s’exclame même un critique sportif. Puis la partie reprend. 15h09, l’attaquante Ghizlane Chebbake marque le premier but et déclenche les cris des supporters. « C’est la meilleure ! », s’enflamme une jeune fille au milieu des gradins. Deux autres buts suivent, l’AS FAR domine le match grâce à un jeu très offensif.

Croisé à la mi-temps, Luc Bruder, directeur technique des FAR, confie : « Au début du match, le jeu était équilibré. A partir du moment où l’équipe des FAR a mené, la partie a perdu son rythme. J’aimerais qu’il y ait davantage de passes afin que le collectif du jeu soit plus important ». Pour lui, ces deux équipes sont en devenir : « Elles doivent continuer à travailler sur de bons principes, reposant sur des valeurs d’humilité et de solidarité ». Leur atout majeur ? « Elles sont jeunes et donc prometteuses ». Le match se conclura par une victoire des Rbaties par 5 buts à 2. Les militaires affronteront en finale l’équipe de Khénifra, qui a battu celle de Laâyoune (6-2).

Photo : Yassine Toumi
Photo : Yassine Toumi

A visage découvert

Samedi 21 juin. 15 heures. Le stade Moulay Hassan de Rabat est désert, le match de finale a été annulé suite à l’intoxication alimentaire de l’une des joueuses du CAK. Direction le centre-ville de Rabat, où nous avons rendez-vous avec les Lionnes de l’Atlas, après de nombreuses tractations avec leur entraîneur. « Je les lui ai arrachées, il faut faire vite, elles doivent s’entraîner ! », nous enjoint Bahya El Yahmidi. Quatre jeunes filles à l’air juvénile débarquent un peu plus tard. Elles ont entre 16 et 25 ans, sont issues de quartiers populaires où elles ont très tôt appris à jouer au foot. Siham a participé à la Coupe d’Afrique l’an dernier à Tunis, Alger et Le Caire. « C’est ma passion, je joue depuis que j’ai 6 ans. Ma famille m’a toujours encouragée ». Elle touche un salaire mensuel de 4500 dirhams, incluant une prime de 400 à 600 dirhams par match gagné. Si elle constate une professionnalisation du foot féminin, elle lui semble « encore minime ». Fascinée par les équipes internationales, elle aimerait intégrer un club européen. « C’est mon rêve », souffle-t-elle.

Préoccupée par la finale de la Botola, Oumaïma, 18 ans, est originaire de Mohammedia. Elle est passée joueuse professionnelle à 15 ans. L’AS FAR finance ses études, et elle suit une licence à l’Institut royal des sports Moulay Rachid : « Cette finale est très importante, on doit remporter cette coupe afin d’enrichir notre palmarès ». Elle envisage de jouer jusqu’à 30 ans, puis de devenir encadrante et fonder une famille.

Quant à la benjamine des FAR, Imane, elle a tout juste 16 ans. Issue de Oued Zem, elle a commencé à pratiquer le football dès 8 ans à l’école. Parallèlement à son entraînement de deux heures par jour toute la semaine, elle suit aussi des études. Son salaire l’aide à soulager sa famille, comme d’autres joueuses dont les parents sont parfois sans emploi. « En devenant joueur professionnel, mon père a été sauvé de la rue. Quand j’étais enfant, je l’accompagnais à tous ses matchs », confie Ghizlane Chebbake. Elle voit son avenir au Maroc, car « le temps de recevoir un visa, je serai trop vieille ! », ironise la meilleure buteuse des Lionnes de l’Atlas.

Symboles de l’ambition d’une jeunesse qui s’extrait avec ténacité d’un milieu social modeste, ces joueuses pétries d’abnégation ouvrent la voie à la culture footballistique féminine. Prochaine étape, la finale du championnat national le 27 juin, avant le grand rendez-vous de la Coupe du trône en novembre prochain.

Fouzia Marouf

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