Excommunication. Takfir, le mot qui fâche

Le PAM a réagi à l’excommunication de Driss Lachgar par un cheikh salafiste en déposant une proposition de loi pénalisant cette pratique.

Le mot « takfir » n’est pas forcément utilisé par ceux qui le pratiquent. A l’inverse, ceux que cette pratique révolte veulent l’inscrire dans la loi. Le groupe parlementaire du Parti authenticité et modernité (PAM) a déposé au bureau du parlement, le 10 janvier, une proposition de loi concernant le takfir (excommunication). « Si le phénomène n’est pas nouveau, la tendance à le pratiquer est récemment devenue insupportable », s’inquiète Khadija Rouissi, élue PAM. Le principe de la proposition de loi est donc simple : graver le mot « takfir » dans la loi pénale et l’assimiler à la diffamation, et ce « quel que soit le moyen utilisé pour le prononcer : sur Internet, dans un média, lors d’un prêche dans une mosquée… » Le takfir pourrait ainsi figurer dans l’article 442 relatif à la diffamation.

Le spectre Chokri Belaïd

L’excommunication de Driss Lachgar, premier secrétaire de l’USFP, par Abdelhamid Abou Naïm, le 27 décembre dernier, a été celle de trop. En prônant l’égalité hommes-femmes dans l’héritage et l’interdiction de la polygamie, le patron des socialistes a déclenché l’ire du cheikh salafiste, qui s’en est pris également à l’intellectuel Ahmed Assid. Une prise de position qui a conduit un groupuscule islamiste à appeler, début janvier, à l’assassinat de Driss Lachgar. « On sait aujourd’hui que lorsqu’une personne en excommunie une autre, le risque est grand de voir passer à l’acte un jeune, une personne un peu perdue ou fragile », déclare Khadija Rouissi. Et de mettre en garde : « Nous ne devons pas attendre une version marocaine de l’affaire Chokri Belaïd (leader tunisien d’extrême gauche assassiné en 2013, ndlr). Les Tunisiens n’avaient pas pris au sérieux les menaces de mort et son excommunication par des extrémistes ».

Aujourd’hui, dans ce genre de cas, police et plaignants se rabattent sur d’autres chefs
d’accusation. Abou Naïm a été entendu par la police casablancaise le 6 janvier pour « humiliations de certaines instances », et l’USFP a demandé qu’il soit poursuivi en vertu de la loi antiterroriste. Le cheikh salafiste sera présenté à la justice le 29 janvier.

Une pratique qui divise

« J’ai été étonné de voir ressurgir la pratique du takfir », concède Abdellah Tourabi, chercheur et auteur d’un mémoire sur le mouvement islamiste marocain. Selon lui, le cycle de répression puis d’ouverture du régime vis-à-vis des salafistes avaient enrayé le « takfirisme », pour reprendre un néologisme créé par les médias. Face à cette résurgence, Abdellah Tourabi remarque cependant une nouveauté : de nombreux salafistes ont été intégrés à la vie politique, sociale et religieuse du pays et sont en pleine opération de normalisation avec le pouvoir.

Preuve de leur intégration, la pratique du takfir ne fait plus l’unanimité. Le cheikh salafiste et ancien prisonnier Mohammed Abdelwahab Rafiqi, plus connu sous le nom de Abou Hafs, ne cache pas son désaccord avec Driss Lachgar sur la question de l’héritage. « Pour autant, je désavoue la démarche de Abou Naïm et considère qu’il ne faut pas tomber dans le piège de l’anathème », affirme-t-il. Mohamed Fizazi, cheikh salafiste enfermé en 2003 et gracié en 2011, a lui aussi désavoué la pratique du takfir sur 2M, lors d’un débat avec Ahmed Assid le 8 janvier. Il s’est même montré quelques jours plus tard aux côtés de Driss Lachgar lors d’une cérémonie officielle le 11 janvier. Tant et si bien que ces radicaux, hier redoutés, incarnent désormais un rôle de garde-fou contre la dérive takfiriste.  

 

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