Reportage. Les yeux dans les Lions (de l’Atlas)

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La sélection marocaine a été éliminée de la CAN 2013 au terme d’un match haletant contre le pays organisateur. TelQuel a pénétré l’antre des Lions en Afrique du Sud, avant et pendant la rencontre, et a fait le voyage retour en compagnie du onze national. Récit.

 

Lundi 28 janvier. Aéroport international de Johannesburg. Dans la loge VIP, les joueurs de l’équipe nationale de football tuent le temps comme ils peuvent en attendant l’ouverture de l’embarquement de leur vol pour Paris. Oussama Assaïdi est là, attablé dans le lounge, à tailler la bavette avec Mounir El Hamdaoui. Youssef El Arabi, parti dévaliser les boutiques du freeshop, revient chargé pour s’installer à la table de Mehdi Benatia. “Bien sûr qu’on est déçus parce qu’on n’a pas pu rendre heureux le public marocain”, répètent en chœur les joueurs, comme une partition apprise par cœur. De celle qu’on joue invariablement après une défaite… Non loin d’eux, Ali Fassi Fihri, président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF), a les yeux rivés sur l’écran télé qui diffuse le match Ghana – Niger. Quand les Black Stars plantent un deuxième but, il nous lance : “Eh oui, ça s’est joué vraiment à rien. On aurait pu jouer le Ghana au deuxième tour si le Cap Vert n’avait pas marqué aux arrêts de jeu.” Et de poursuivre : “ça me fait de la peine de n’avoir pas pu être là avec les joueurs lors des deux premiers matchs à cause de certains imprévus. J’aurais pu peut-être les soutenir et les motiver pour jouer tout aussi bien que lors de la dernière rencontre.” Le ton est à l’amertume. Ce goût d’inachevé, devenu habituel, qui reste en travers de la gorge. Car la veille, vous l’avez sans doute suivi, l’équipe nationale est sortie de la Coupe d’Afrique au terme d’un match palpitant, joué à l’autre bout du continent, à quelque 9000 kilomètres de chez nous.

 

Un stade monumental

Bienvenue à Durban, la 3ème plus grande ville du pays. Ses gratte-ciel, ses plages de sable blanc, son port titanesque, ses averses tropicales, mais aussi son stade. Le Moses Mabhida Stadium. Un joyau architectural construit pour le Mondial 2010 pour la bagatelle de 230 millions d’euros. Il est visible des quatre coins de la ville grâce à ce gigantesque arc métallique qui l’enjambe, un skywalk que les visiteurs peuvent escalader en téléphérique pour se payer une vue époustouflante à 100 m d’altitude sur la silhouette de Durban, les étendues verdâtres de champs de canne à sucre qui ceinturent la cité et les vastes plages de sable blanc qui la plongent dans l’océan Indien. Ce 27 janvier, jour du match Afrique du Sud – Maroc, un large dispositif sécuritaire est évidemment déployé autour de l’aréna. Même des places VIP offertes par Coca-Cola Company (sponsor de l’équipe nationale) dans leur loge, ne vous épargnent pas de subir un contrôle méticuleux. Dans un parking à deux km du stade, pensé et construit comme un prolongement naturel de l’infrastructure, les véhicules sont contrôlés par une brigade de déminage. Les passagers, eux, sont priés de descendre pour passer sous le détecteur de métaux. Les policiers sont aimables et s’amusent à chambrer les supporters des Lions de l’Atlas. “On va vous battre 2-1”, nous taquine une policière avant d’enfourcher sa moto pour escorter notre convoi jusqu’au parking intérieur. Le bruit des vuvuzelas monte en puissance à mesure que l’on approche de l’enceinte. Au fil des minutes, les sièges bleus des gradins virent au jaune avec l’arrivée en masse des supporters des Bafana Bafana, drapés des couleurs sud-africaines. “Il y a deux jours déjà qu’il n’y a plus de ticket à vendre. Les prix démarraient à 10 dollars”, nous explique un compatriote de Nelson Mandela. A l’entrée des deux équipes sur la pelouse, une ola est lancée. Une déferlante jaune sur les gradins de ce stade de 70 000 spectateurs, au milieu de laquelle est noyée une petite tache rouge de supporters marocains rassemblée autour de l’énorme drapeau ramené de Marrakech. Notre tambour national, lui aussi venu du bled, a du mal à imposer sa cadence face au concerto de vuvuzelas qui font exploser les décibels. Et dire que le sélectionneur national n’appréhendait pas vraiment la pression du public. “Avec les vuvuzelas, on ne sait pas qui supporte qui”, nous expliquait Rachid Taoussi, 24 heures avant la rencontre. Aujourd’hui, on sait !

 

A table avec Taoussi

Samedi 26 janvier. A 15 km du centre de Durban se trouve Umhlanga. Un quartier chic connu pour son Gateway Mall et ses palaces. C’est au Protea Hotel Uhmlanga Ridge que l’équipe nationale a posé ses valises, le 20 janvier, après avoir joué son premier match contre l’Angola à Johannesburg. Oussama Assaïdi fait son apparition devant l’entrée de l’établissement. Il est tout de suite approché par un supporter marocain qui fait le pied de grue depuis le matin. Sourire aux lèvres, il accepte volontiers de se prêter à une séance photo avant de demander à son groupie d’aller lui chercher un burger du fast-food d’en face. Aux questions de la délégation de journalistes venus rencontrer son sélectionneur, il se contente de lancer “ça va, je me sens bien. Et on sera prêt pour demain”, avant de remonter vers sa chambre. Rachid Taoussi nous attend dans une table au fond du restaurant. Il revient de la conférence de presse, d’avant-match, mais il a encore des choses à dire. “Je suis un homme de communication. Je ne ferme jamais la porte aux journalistes”, nous lance-t-il. Taoussi tient à nous expliquer sa vision académique du coaching. “Les joueurs ont le pouvoir sur le terrain, ils ont le savoir pour appliquer la tactique et faire valoir leur technique, mais il leur faut aussi la volonté de réaliser un résultat. C’est ainsi que je leur demande de l’engagement, de la détermination et de la combativité. D’êtres des hommes, des rejalla comme on dit dans le football”. Taoussi met aussi en avant l’ambiance du groupe. “Ils sont ensemble depuis trois semaines et il n’y a eu aucune mésentente entre eux. Pourtant , chaque joueur a un ego et un caractère qu’il faut gérer”. Mais comme s’il anticipait déjà une sortie prématurée de la Coupe, il a la prudence de jouer la montre : “Je suis en train de construire l’équipe. Combien de temps me faudra-t-il ? Je dirais 18 mois, c’est ce qu’il m’a fallu dans le passé pour réussir avec l’équipe nationale junior et le Moghreb de Fès”. Quant à la rencontre du lendemain, il reste optimiste : “C’est un match à élimination directe. On fera tout pour le gagner. Et cette victoire sera un déclic pour le groupe, pour la suite de la compétition et les échéances à venir. Il faut y croire et garder espoir.”

 

“It’s just a game”

Voir le onze national passer au deuxième tour, les Marocains y ont cru jusqu’au bout de ce match à suspense. Dans la loge du Moses Mabhida Stadium, les quelques supporters des Lions habillés en rouge laissent exploser leur joie quand Issam El Adoua marque le premier but. Ils sont surpris de voir leurs voisins de tribune sud-africains les féliciter de bon cœur, ne manifestant pas le moindre sentiment d’hostilité. Même quand les Bafana Bafana reviennent au score, à deux reprises, nos rivaux nous réconfortent en lançant “it’s just a game”. “C’est un public extraordinairement sympathique. Je ne pense pas qu’au Maroc, nos ultras auraient été aussi fair-play”, nous lance un compatriote. Au coup de sifflet final de la rencontre (sur un score de 2-2), les supporters des Bafana Bafana suivent, avec les Marocains, l’issue des dernières secondes de l’autre match de poule. Aïe ! Ils apprennent que le Cap Vert vient de marquer le but de la victoire dans les arrêts de jeu contre l’Angola. C’est la fin de la compétition pour les Lions de l’Atlas. “Désolé pour vous ! C’était un beau match, vous méritiez de passer”, nous lance un supporter sud-africain. Dans les coulisses du stade, les joueurs sont abattus dans les vestiaires, Rachid Taoussi, lui, verse une larme devant les caméras du monde dans la salle de presse. Sur le parking, les membres de la délégation marocaine se refont le tournoi et le match, à coups de suppositions : “Si on avait battu le Cap Vert ; si on avait tué le match en première mi temps ; si on n’avait pas raté deux tête à tête ; si on ne jouait pas contre le vent ; si on n’avait pas la scoumoune”. Ils arrivent à tous à l’éternel conclusion : “C’est ça le foot !”, avant de se donner rendez-vous pour le lendemain à l’aéroport pour le voyage retour…

 

Retour sans gloire

Vol AF 995 en partance de Johannesburg à destination de Paris. A bord d’un Airbus A380 qui sent le neuf, Walid Regragui, adjoint du sélectionneur national, s’installe dans son siège en business class. Le sourire crispé, il ne cache pas sa frustration. “Il ne fallait pas passer à côté du match du Cap Vert, nous déclare-t-il. Autant on pouvait dire que contre l’Angola c’était le premier match, autant il fallait se libérer dès la deuxième rencontre et faire une bouchée des Capverdiens.” Et d’ajouter : “Mais bon, il faut se tourner vers l’avenir. Nous avons les qualif’ pour le Mondial à préparer pour le mois de mars et il faut faire mûrir ce groupe”. En se dirigeant vers la first class, le président de la fédération se veut rassurant. “Non, on n’envisage pas du tout un changement de sélectionneur. Il faut laisser travailler Taoussi car son groupe se bonifie de match en match.” Pendant ce temps, les internationaux marocains évoluant dans les championnats européens prennent leur place dans la business class, alors que leurs collègues de la Botola embarquent dans les cabines économiques. “La fédération a payé la classe éco pour tout le monde, mais il y a des joueurs qui ont préféré payer un surclassement de leur poche. En plus, il n’y avait pas de place pour tout le monde en business”, justifie un membre fédéral. ça en dit long sur le décalage de salaires entre botolistes et pro-d’Europe !

Le vol de nuit va durer près de dix heures avant d’atteindre l’aéroport de Charles de Gaule au petit matin. Sur l’escalier roulant du Terminal E, c’est distribution d’accolades et de bisous entre les joueurs qui se dispersent pour rejoindre leurs correspondances respectives. Les internationaux de la Botola, d’un pas pressé, se dirigent vers le terminal L pour rattraper le vol à destination de Casablanca. Arrivé à 9h30 à l’aéroport Mohammed V, Nemli, Hamdallah, Lemyaghri, Achakkir et les autres ne sont pas surpris de voir qu’il n’y a personne pour les attendre. Ils passent les formalités de police et de douane comme n’importe quel Marocain. La célébrité et la gloire, ils ne les ont pas ramenées d’Afrique du Sud. ça sera peut-être pour le prochain périple, en mars prochain, en Tanzanie…

 

Public. Profils de supporters

Hôtel Bel Air, en face de la promenade de North Beach de Durban. C’est ici que nos confrères de Mars Radio ont installé leurs studios d’où ils assurent deux émissions en direct par jour. C’est aussi l’hôtel qu’a choisi Mustapha, un Marocain qui tient trois salons de coiffure à Johannesburg. Il a mis en veille son business pour faire le chauffeur à ses amis de la presse sportive. Le jour du match, il est rejoint par Mouad, son meilleur ami qui, lui, est installé en Afrique du Sud depuis 17 ans et qui gère un restaurant. On croise aussi, dans cet hôtel, Mokhtar. Lui, c’est un retraité qui vit en Angleterre et qui a choisi avec sa femme de passer leurs vacances dans le pays de Mandela pour suivre l’équipe nationale. “Je les avais déjà suivis en 1986 jusqu’au Mexique. Quelle belle équipe on avait à l’époque”, se souvient ce septuagénaire. Devant la terrasse de l’hôtel, on voit défiler aussi quelques supporters venus du Maroc. Certains demandent leur chemin pour parvenir au stade. Mouad le leur indique en prodiguant ses conseils. “Ne montrez pas vos billets au premier venu. Vous risquez de vous les faire arracher par des awaza”. De l’autre côté de la ville, on croise des supporters marocains installés devant l’hôtel des Lions de l’Atlas, dont le célèbre Dolmy, qui ne se sépare jamais de la photo de Mohammed VI et de son tambour. Il y a aussi l’autre Marrakchi, Adil, devenu célèbre avec son costume de lion. Eux, ils suivent l’équipe nationale où qu’elle aille. Mais avec quel argent au juste ? “C’est Monsieur le wali qui nous a payé le voyage et un membre fédéral nous a donné une somme d’argent”, nous confie le Marrackchi.

 

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