L7A9D. Le rappeur des deux Oukacha

Ouvrier, rappeur et militant du Mouvement du 20 février, Mouad Belghouate croupit aujourd’hui en prison. TelQuel vous explique le comment du pourquoi.

A Hay Al Wifaq, quartier pauvre à la périphérie de Casablanca, Mouad Belghouate est une star. Tout le monde le connaît et, depuis son arrestation le 9 septembre, c’est la rue entière qui chante son nom et demande sa libération tous les samedis après-midi (“Sauf quand il y a un gros match de foot, dans ce cas on manifeste le jeudi”, nous explique un habitant du quartier). Mouad mène une double vie : le jour, il enfile son bleu de travail et rejoint une usine de câblage électrique ; la nuit, il devient “L7A9D”, littéralement “l’indigné”, un rappeur-slameur-chroniqueur hargneux et prolifique. “Je ne suis pas fan de sa musique, mais de ses mots, toujours rageurs”, nous confie avec le sourire la vidéaste Maria Karim, une voisine de quartier, qui a créé aujourd’hui un comité de soutien à l’artiste.

Allah, Al Watan, Al Hourriya
A 24 ans, Mouad a publié un album et plusieurs “tracks”, des brûlots enregistrés sans grands moyens et diffusés grâce au système D. Ce n’est pas un chanteur mais un combattant, un lutteur, un guerrier. Parmi ses refrains, “3Atini Haqqi Oula Ktlouni”, littéralement “Donne-moi mes droits ou tue-moi”. Le grand gaillard tire sans doute son radicalisme du quotidien de son quartier, réputé difficile. Les habitants de Hay Al Wifaq ont d’ailleurs choisi de rebaptiser leur quartier “Oukacha”, du nom de la célèbre prison qui se trouve, pourtant, à l’autre bout de la ville. Pourquoi Oukacha ? Parce que, nous explique ce “Wifaqien”, “plusieurs jeunes multiplient les allers-retours entre la prison et le quartier”.

L7A9D a arrêté ses études en 6ème année secondaire. Il n’a pas le bac mais un vécu gros comme ça. Il a sept frères et sœurs et il est le produit d’une famille recomposée (sa mère est morte alors qu’il était adolescent), conservatrice mais très soudée, une “famila m’ghribiya” à l’ancienne. C’est un pur Ould Chaâb né pour crier sa misère et tenter de se révolter contre un certain ordre établi. Au moment où il a vu le jour, le bébé qu’il était a probablement dû crier “Non”, comme ça, avant même d’apprendre à téter le sein de sa mère. 
C’est donc ce garçon, star du derb, ouvrier-rappeur, qui a connu une deuxième naissance avec l’avènement du Printemps arabe. Il militait avant, à sa façon, mais avec le Mouvement du 20 février, il a appris à militer pour de bon. A Oukacha (“Vivre dans ce quartier n’est pas donné à tout le monde, ça se mérite !”, avait-il l’habitude de dire), son nom est associé à l’antenne locale du M20. “Il savait rapprocher les revendications du M20 des habitants du coin, il savait même réconcilier les ultras des deux grands clubs de foot casablancais, le Wydad et le Raja, qui dominent la vie de quartier à Oukacha”. 
Avec le M20, L7A9D est de toutes les marches. Il hurle à pleins poumons des slogans, devenus célèbres, comme “3Acha Acha3b (Vive le peuple)” ou encore “Allah, Al Watan, Al Hourriya (Dieu, la patrie, la liberté)“, détournant au passage la conclusion de l’hymne national marocain. Bien entendu, certains hymnes ont fait grincer bien des dents et ne lui ont pas valu que des amitiés nouvelles. C’est le cas, en particulier, d’un refrain qui a fait fureur sur Youtube : “Ma Haddi Aych Wallah Ouldou La Wratha”. Traduction littérale : “Tant que je suis en vie, je jure que son fils n’en héritera pas”. Les adversaires de l’artiste, et ils sont aussi nombreux que ses fans, y voient une allusion claire au roi…

Ses voisins les salafistes
A Oukacha, comme dans d’autres quartiers populaires à Casablanca, les meneurs du M20 font face, depuis un certain temps, à ce qu’on appelle les “Baltajias”, des contre-manifestants qui appellent à la mort de la révolution. Le 9 septembre, donc, L7A9D répond à une provocation dans la rue. Des témoins assurent l’avoir vu se faire agresser, mais la police choisit, elle, de l’emprisonner pour “coups et blessures”. Le rappeur se retrouve à Oukacha, la vraie, incarcéré parmi les détenus de droit commun. “Il n’avait aucun antécédent judiciaire, il ne chantait ni la drogue ni le sexe et il n’a agressé personne. Pourquoi, alors ?”, se demande son amie Maria Karim. Sa famille et tout le M20 se posent la même question.
Bizarrement, L7A9D a été placé, à l’intérieur de la prison, dans un quartier peuplé de salafistes en voie de repentir. “Ils espèrent peut-être que je revienne sur la nature de mon engagement, mais ils ne m’auront pas”, lâche-t-il à ses visiteurs. Dehors, à Oukacha, son quartier de toujours, personne n’a oublié le rappeur aux hymnes rageurs. Sa rue et sa maison sont devenues des sortes de lieux de pèlerinage. Les jours de manif’, les gamins revêtent des T-shirts demandant la liberté pour L7A9D. Sur la Toile, les réseaux sociaux font la part belle au sujet et le collectif “Min Ajl Italq Sarah L7A9D”, sur Facebook, compte déjà près de 5000 membres. Tous ces gens, et bien d’autres, attendent une chose : la liberté pour le rappeur des deux Oukacha, la prison et le quartier.

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