Il a été élu jeudi par les députés lors d’un deuxième tour de scrutin alors que le Liban était privé depuis plus de deux ans d’un chef de l’État en raison des profondes divergences entre blocs politiques.
Joseph Aoun a recueilli 99 voix sur 128 au Parlement lors d’une deuxième session dans l’après-midi. Il n’avait obtenu que 71 voix au premier tour de scrutin dans la matinée, les 30 députés du Hezbollah pro-iranien et de son allié, le mouvement chiite Amal, ayant voté blanc.
Mais une rencontre au Parlement entre des représentants des deux formations et le commandant en chef de l’armée au Parlement, entre les deux tours, a changé la donne, lui assurant la majorité nécessaire pour l’emporter. Le président élu, en tenue civile, est entré dans l’hémicycle sous les applaudissements pour prêter serment.
Le général Aoun, qui n’a aucun lien familial avec le président sortant Michel Aoun, dirige depuis mars 2017 une institution qui a pu rester à l’écart des dissensions confessionnelles et politiques qui déchirent le pays.
Au sein de l’armée, il a su manœuvrer pour surmonter les crises, notamment un effondrement économique qui a frappé de plein fouet la solde de ses 80.000 soldats, l’obligeant à accepter des aides internationales pour préserver son institution.
Depuis un accord de cessez-le-feu fin novembre mettant fin à la guerre entre le puissant mouvement Hezbollah et Israël, l’armée a la tâche délicate d’assurer le respect de la trêve. Elle se déploie progressivement dans les zones frontalières du sud à mesure que l’armée israélienne s’en retire, un processus qui doit être achevé au 26 janvier.
Conformément à l’accord, seuls l’armée libanaise et les Casques bleus de l’ONU doivent être déployés dans le sud. Les combattants du Hezbollah doivent se retirer vers des régions plus au nord et abandonner leurs armes lourdes.
Intervenant dans le fief du Hezbollah, qui a promis une “coopération totale”, le chef de l’armée doit veiller à préserver le précaire équilibre social et confessionnel du jeu politique libanais : ne pas fâcher le mouvement pro-iranien sans s’attirer les foudres de ses détracteurs.
Le militaire au verbe laconique, chauve et à la carrure solide, peut compter sur son réseau tissé à travers l’ensemble de la classe politique libanaise, mais aussi ses contacts avec les capitales occidentales, Paris et Washington en tête.
“Il a la réputation d’être un homme intègre”, indique à l’AFP le politologue Karim Bitar. “Au sein de l’armée libanaise, il est perçu comme quelqu’un de dévoué, qui défend l’intérêt national, et qui essaye de consolider l’institution, la seule encore épargnée par le confessionnalisme et qui tient encore debout”, ajoute-t-il.
Mohanad Hage Ali, du think-tank Carnegie pour le Moyen-Orient, souligne ses “liens avec les États-Unis”, l’armée libanaise étant financièrement soutenue par Washington. “Il a entretenu des relations avec tout le monde, mais il a souvent été critiqué par les médias affiliés au Hezbollah” justement pour cette connexion américaine, ajoute-t-il.
Outre l’allié américain, l’institution a reçu des aides du Qatar ou de la France. Une conférence internationale organisée à Paris en octobre a permis de lever 200 millions de dollars pour l’armée, un soutien vital : au plus fort de la crise économique en 2020, l’armée avait même dû retirer la viande des repas servis à ses militaires.
“Tout le monde reconnaît son bilan sans faute à la tête de l’armée”, indique à l’AFP un diplomate occidental. “Mais peut-il se muer en politicien ? C’est la question.”
À l’aise en français et en anglais, le général Aoun est père de deux enfants. Il est issu de la communauté chrétienne maronite, à laquelle la présidence est réservée, en vertu du partage confessionnel du pouvoir qui accorde aux musulmans sunnites le poste de Premier ministre et aux musulmans chiites celui de président du Parlement.
Pour Bitar, “même parmi ceux qui le respectent, nombreux sont ceux” qui étaient opposés à son élection, “essentiellement parce qu’il vient de l’armée”.
Car certains ex-présidents au profil similaire ont laissé aux Libanais “un arrière-goût amer”, ajoute-t-il. Sans compter que cela pourrait entériner l’idée que le chef de l’armée peut “systématiquement devenir président”.
Michel Aoun était aussi un ancien commandant des forces armées libanaises, et ses trois prédécesseurs étaient également issus des rangs de l’institution militaire.