L’Espagne à contre-courant du reste de l’UE sur les questions migratoires

Favorable à une politique d’accueil pour des raisons notamment économiques, le gouvernement de gauche espagnol fait figure d’exception sur les questions migratoires au sein de l’Union européenne, à rebours du durcissement opéré par de nombreux pays du bloc.

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Pedro Sánchez, Premier ministre espagnol. Crédit: DR

Avec l’immigration, “c’est le type d’Europe dont nous voulons qui est en jeu (…) Nous devons aborder le phénomène migratoire en pensant aux générations futures et non aux prochaines élections”, a mis en garde la semaine dernière le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez en marge d’un sommet européen à Bruxelles.

En ligne de mire du dirigeant socialiste : le plan de la Première ministre italienne Giorgia Meloni pour envoyer des demandeurs d’asile dans des centres situés hors de l’UE, ainsi que les politiques de plus en plus restrictives défendues par ses homologues européens.

À Bruxelles, les 27 ont ainsi haussé le ton contre l’immigration irrégulière en appelant à “agir de manière déterminée, à tous les niveaux, pour faciliter et accélérer les retours” dans les pays d’origine, dans un contexte de poussée de l’extrême droite dans de nombreux pays européens. Un discours que rejette Sánchez. “Si nous voulons faire face au défi démographique européen, si nous voulons garantir la durabilité de nos pensions et de notre État-providence (…) nous avons besoin de la contribution de l’immigration”, a-t-il insisté.

Ces déclarations ont mis en lumière le positionnement singulier de l’Espagne, “un cas unique dans le contexte européen”, puisque les migrants illégaux peuvent y obtenir un titre de séjour après seulement trois ans de résidence, souligne Blanca Garcés, chercheuse au Centre d’études internationales de Barcelone (CIDOB).

En Espagne, l’immigration n’a pas alimenté la polarisation politique autant que dans la plupart des autres pays d’Europe : le parti d’extrême droite Vox, très hostile aux migrants, a ainsi initialement gagné en popularité pour d’autres raisons, comme la crise séparatiste en Catalogne, rappelle la chercheuse.

Mais le Parti populaire (PP), principale formation de l’opposition de droite, s’est aligné sur la surenchère de Vox et la situation est en train de changer, puisque l’immigration, selon un récent sondage, serait maintenant le sujet d’inquiétude principal des Espagnols. Pedro Sánchez court ainsi le risque d’être en porte-à-faux vis-à-vis de son opinion publique.

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La singularité de l’Espagne s’explique, selon Mme Garcés, par son histoire, marquée par une longue tradition d’émigration et un fort attachement aux droits humains depuis l’avènement de la démocratie en 1975. Mais elle est aussi liée aux besoins de son économie, et notamment du tourisme et de l’agriculture, qui manquent de main-d’œuvre et dépendent donc de l’immigration.

Plus de la moitié des entreprises espagnoles déclarent avoir des problèmes de recrutement”, a ainsi rappelé Sánchez, qui a effectué fin août une tournée en Mauritanie, en Gambie et au Sénégal — principaux pays de départ des migrants clandestins vers l’archipel espagnol des Canaries — où il a plaidé pour le développement de la “migration circulaire”.

Il s’agit de permettre à des migrants de travailler en Espagne avec un contrat pendant une période limitée pour répondre aux besoins d’un secteur précis avant de rentrer chez eux. Le but est de réduire les arrivées illégales, surtout aux Canaries, débordées par l’afflux de migrants.

Sánchez a “une vision pragmatique”, tant sur le plan économique que politique, juge Gemma Pinyol-Jiménez, du centre de réflexion InStrategies, pour qui le Premier ministre a tout intérêt à développer un discours à rebours de l’extrême droite. À défaut, “les gens finissent par voter pour l’original”, affirme-t-elle.

Pour Lorenzo Gabrielli, chercheur à l’université Pompeu Fabra de Barcelone, l’approche espagnole est toutefois plus “ambigüe” qu’il n’y paraît. Car même si Sánchez rejette les centres de migrants dans les pays tiers, il coopère avec le Maroc et s’appuie sur ce pays pour freiner l’arrivée de migrants dans les enclaves espagnoles de Sebta et Melilia, les seules frontières terrestres de l’UE avec le continent africain. La politique migratoire de l’Espagne n’est “pas forcément très innovatrice” ni “très ouverte”, mais elle apparaît comme une alternative à mesure que ses voisins européens se tournent vers l’extrême droite, poursuit-il.

Sánchez compte bien continuer à marquer sa différence. Le quotidien El País a ainsi fait état cette semaine d’un projet de réforme migratoire qui sera présenté le mois prochain, destiné à régulariser des dizaines de milliers de migrants et à réduire les délais d’attente pour obtenir des permis de séjour.