“Les loisirs, on a oublié” : à Gaza, la guerre force les enfants au travail

Certains cassent des pierres, d’autres vendent des briques de jus ou du café : à Gaza en guerre, les enfants palestiniens travaillent pour subvenir aux besoins de leurs familles dans le territoire où désormais, selon la Banque mondiale, “quasiment tout le monde” est pauvre.

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Photo prise le 25 janvier 2024. Crédit: Mariam Abu Dagga

Tous les matins dès sept heures, Ahmed, 12 ans, sort dans les ruines de Khan Younès, dans le sud du petit territoire bombardé sans répit par l’armée israélienne depuis l’attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre.

On rassemble des débris des maisons détruites puis on concasse les pierres et on vend le seau de gravier pour un shekel”, soit 25 centimes d’euros (2,7 dirhams), raconte à l’AFP ce petit Gazaoui, visage tanné par le soleil, mains tailladées par les pierres qu’il soulève et vêtements couverts de poussière.

Ses “clients”, dit-il, sont des familles endeuillées qui se servent de ce mauvais gravier pour ériger de fragiles stèles au-dessus des tombes de leurs proches souvent enterrés à la va-vite alors que la guerre a déjà fait plus de 40.000 morts selon le ministère de la Santé du gouvernement du Hamas.

À la fin de journée, on a gagné deux ou trois shekels chacun, ça ne suffit même pas pour un paquet de biscuits. Il y a tellement de choses dont on rêve, mais qu’on ne peut plus s’acheter”, regrette-t-il.

À Gaza, l’un des territoires les plus peuplés au monde, mais aussi l’un des plus pauvres, la population est jeune : un habitant sur deux est un enfant. Sous blocus israélien depuis 17 ans, sans perspectives économiques et de développement, le travail des enfants, à rebours du reste du monde, n’a cessé de progresser ces dernières années.

Officiellement interdit avant 15 ans par la loi palestinienne, l’emploi d’enfants dans l’agriculture ou le bâtiment existait déjà avant la guerre.

Aujourd’hui, avec des centaines de milliers d’emplois perdus, plus de 60% des bâtiments détruits ou endommagés et l’absence d’électricité, travailler est une gageure.

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Pour survivre, les adultes qui tentent de se trouver une place dans les camps de fortune en mouvement perpétuel au gré des ordres d’évacuation de l’armée israélienne, mobilisent les enfants avec eux.

Khamis, 16 ans, et son petit frère, Sami, 13 ans, parcourent les rues défoncées et camps de déplacés pour vendre des briques de jus. “À force de marcher dans les débris pieds nus, mon frère a eu la jambe infectée par un éclat d’obus”, raconte l’aîné.

Il a eu de la fièvre, des boutons partout et nous n’avons aucun médicament pour le soigner”, poursuit-il, alors que les humanitaires ne cessent de tirer la sonnette d’alarme sur le système de santé chancelant avant la guerre et désormais incapable de faire face aux nuées de blessés, aux épidémies et à la malnutrition des enfants.

Selon les organisations humanitaires, la malnutrition sévère des enfants a grimpé de 300% dans le nord de Gaza et de 150% dans le sud. Ils soulignent aussi que 41% des familles s’occupent désormais d’un ou plusieurs enfants qui ne sont pas les leurs.

Dans la famille de Khamis et Sami, tout le monde travaille. Ils sont parvenus à se payer une carriole et son âne quand ils ont fui leur maison la première fois, pour 300 shekels (800 dirhams). Puis, il a fallu repartir avec la tente qu’ils avaient pu obtenir, cette fois pour 400 shekels.

Après ces déplacements, sept autres ont suivi, la tente a été perdue et aujourd’hui, la famille peine à se payer “un kilo de tomates à 25 shekels”, soit plus de six euros, assure Khamis.

Moatassem, lui, dit réussir à gagner parfois “30 shekels en une journée” en vendant du café et des fruits secs sur un carton en bord de route. “Je passe des heures au soleil pour rassembler cette somme et on la dépense en une minute”, dit ce Gazaoui de 13 ans. “Et certains jours, je ne gagne que 10 shekels alors que je crie toute la journée pour attirer des clients”, poursuit-il, une goutte d’eau dans l’océan des dépenses à Gaza où le prix des bonbonnes de gaz a augmenté de 500% et celui de l’essence de 1000%.

Dans ces conditions, “on ne pense plus qu’à nos besoins de base, on a oublié ce que c’est que les loisirs, les dépenses pour le plaisir”, affirme-t-il. “J’aimerais rentrer à la maison et retrouver ma vie d’avant. Avant, on trouvait facilement de l’eau pour boire.