Droit de grève : les syndicats exigent ​​le respect des “normes internationales”, en différend devant la CIJ

Alors que le gouvernement et les principales centrales syndicales peinent à s’entendre sur les dispositions du nouveau projet de loi régissant ce droit fondamental, destiné à encadrer les grèves tout en respectant les droits des travailleurs et des employeurs, les syndicats exigent qu’il respecte les normes internationales du droit de grève. Seul bémol ? Ces “normes internationales” sont actuellement en différend devant la Cour internationale de justice (CIJ).

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Au Maroc, le débat sur le droit de grève atteint un point crucial, avec un projet de loi qui suscite des passions des deux côtés de la table des négociations. Le gouvernement, par la voix du ministre de l’Intégration Économique, des Petites Entreprises, de l’Emploi et des Compétences, Younes Sekkouri, affirme vouloir protéger ce droit mais “mais pas sur le dos des employeurs qui respectent les droits de leurs travailleurs et les conventions collectives”.

Les syndicats, menés par des figures telles que Younes Firachine de la Confédération démocratique du travail (CDT), avancent que le projet de loi actuel rend le droit de grève presque inopérant par ses restrictions excessives et ses procédures compliquées, notamment “par la définition même de ce dernier qui le lie uniquement à l’intérêt direct et aux intérêts sociaux, signifiant ainsi que les grèves autour de revendications liées à la dignité et de nature morale ne sont pas possibles. De plus, le fait de parler d’intérêt direct implique implicitement que les grèves de solidarité sont également impossibles”.

Dans une déclaration à Hespress, Ali Lotfi, secrétaire général de l’Organisation démocratique du travail (ODT), a également appelé à une révision du projet de loi pour qu’il protège véritablement le droit de grève, tel qu’inscrit dans l’article 28 de la Constitution marocaine, insistant sur l’importance de ratifier la Convention n° 87 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), qui garantit la liberté syndicale et la protection du droit syndical. Selon lui, “ce cadre législatif doit respecter les normes internationales pour garantir les droits des travailleurs”.

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La Convention n° 87 de l’OIT est l’un des principaux instruments internationaux garantissant les droits fondamentaux des travailleurs. Elle établit le droit des travailleurs et des employeurs à constituer des organisations de leur choix sans autorisation préalable, ainsi qu’à adhérer à ces organisations sous réserve du respect de leurs statuts. La convention vise à protéger la liberté syndicale et à promouvoir le droit à la négociation collective, des éléments essentiels pour assurer des conditions de travail justes et équitables.

Cependant, au-delà des frontières du Maroc, le droit de grève est également l’objet d’un débat intense au niveau international. La Convention n° 87 de l’Organisation internationale du travail, ratifiée en 1948, garantit la liberté syndicale et, selon l’interprétation du Comité d’experts de l’OIT, comprend implicitement le droit de grève comme un corollaire nécessaire à la liberté syndicale.

Selon le Comité d’experts de l’OIT sur l’application des conventions et recommandations (CEACR), le droit de grève découle logiquement des articles 3 et 10 de la convention, qui garantissent aux organisations de travailleurs le droit de mener leurs activités librement et de défendre les intérêts de leurs membres.

En revanche, le groupe des employeurs de l’OIT conteste cette interprétation. Ils soutiennent que ni la Convention n° 87 ni la Convention n° 98 (droit d’organisation et de négociation collective) ne mentionnent explicitement le droit de grève et n’ont été rédigées pour inclure ce droit. Les employeurs arguent que la CEACR outrepasse son mandat en interprétant les conventions de cette manière.

La question a été portée devant la Cour internationale de justice pour un avis consultatif le 10 novembre 2023 et est toujours en différend.

Il est à rappeler que la Déclaration universelle des droits de l’homme et d’autres instruments internationaux mentionnent le droit de grève, mais le subordonnent aux législations nationales. De surcroît, selon le groupe des employeurs de l’OIT, les conventions de l’OIT doivent être interprétées par la Cour internationale de Justice, seule habilitée à fournir des interprétations contraignantes.