• Qui est Escobar du Sahara ?
Hadj Ahmed Ben Brahim, alias “Escobar du Sahara” ou encore “le Malien”, purge actuellement une peine de prison au Maroc pour son implication dans une affaire de trafic international de drogue. De nationalité malienne, l’homme a aussi des origines marocaines par sa mère, native d’Oujda, dans l’Oriental. Il avait été arrêté en 2019 à l’aéroport Mohammed-V de Casablanca.
Selon Jeune Afrique, rien ne prédestinait cet homme, âgé aujourd’hui de 47 ans, à une carrière de narcotrafiquant, à la tête de l’un des plus grands réseaux de trafic de drogue du continent. Et pourtant, après avoir travaillé dans l’élevage de dromadaires, il se lance dans l’import-export de voitures entre l’Europe et l’Afrique. “C’est à travers cette activité qu’il a tout appris sur les circuits de transit, les trajets, les douanes, etc.”, a confié un de ses proches à l’hebdomadaire.
Des voitures, il passe au transport de l’or, puis de la cocaïne, depuis l’Amérique latine jusqu’en Côte d’Ivoire, en passant par le Sénégal, la Guinée-Conakry, la Guinée-Bissau et la Sierra Leone. De là, la drogue était renvoyée “par voie terrestre, via le Mali et le Niger, en Algérie, en Libye et en Égypte”, et “par voie maritime jusqu’aux côtes marocaines, puis en Europe”.
Visé par un mandat d’Interpol, il a été arrêté une première fois en Mauritanie, en 2015, avec trois tonnes de cocaïne dans son véhicule et d’importantes sommes d’argent en euros. Mais contre toute attente, le Malien a été libéré et blanchi au bout de quatre ans. À sa sortie de prison, il se serait rendu compte que ses “amis marocains” avaient profité de son absence pour le remplacer. Ce sont ces mêmes amis qui l’auraient poussé à revenir au Maroc, lui jurant qu’il n’était plus recherché par la police. Mais dès son retour, celui-ci a été appréhendé et conduit en prison.
• Qui est poursuivi dans ce procès ?
Cinq ans après son arrestation au Maroc, “le Malien” est en train de prendre sa revanche. Trahi par ceux qui étaient autrefois ses complices, le baron de la drogue a fait tomber plusieurs têtes au Maroc. Parlementaires, présidents de collectivités territoriales et autres responsables chargés de l’application de la loi… au total, vingt-cinq personnes ont été déférées le 21 décembre dernier devant le Parquet. Vingt-deux d’entre elles ont été placées en détention dès le lendemain, sur décision du juge chargé de l’instruction de cette affaire mêlant trafic international de drogue et blanchiment d’argent.
Parmi les personnalités arrêtées, il y a Saïd Naciri, président du conseil de la préfecture de Casablanca et du Wydad Athletic Club (WAC) et député du PAM. Son ami et collègue au parti Abdenbi Bioui, président du conseil régional de l’Oriental et homme d’affaires réputé dans le secteur du BTP, fait également partie des détenus.
Dans la liste, on retrouve aussi deux commissaires divisionnaires de la police. L’un était en poste à Casablanca et l’autre à Oujda. Ils ont été tous deux suspendus temporairement de leurs fonctions, sur ordre du patron de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) et de la surveillance du territoire (DGST), Abdellatif Hammouchi, en attendant la fin de leur procès.
Après la fin de l’instruction, le juge chargé du dossier a décidé le 22 mars dernier de poursuivre au total 28 personnes, dont 26 en état de détention et deux autres en liberté.
• De quoi sont-ils accusés ?
Le juge d’instruction a déterminé les chefs d’inculpation retenus contre les accusés. Celles qui visent Abdenbi Bioui et Saïd Naciri sont lourdes. Le premier est accusé, entre autres, de falsification d’un document officiel, faux en écriture publique, usage de faux, extorsion de fonds, participation à un accord dans le but de la détention, exportation et commercialisation de drogues, corruption, utilisation de véhicules sans obtention de certificat d’immatriculation, tentative d’exportation de drogues, facilitation de la sortie et de l’entrée de plusieurs personnes marocaines vers et depuis le territoire marocain de manière régulière dans le cadre d’une bande.
L’ex-président du Wydad est également accusé de falsification d’un document officiel, faux en écriture publique, usage de faux et participation à un accord dans le but de la détention, l’exportation et la commercialisation de drogues. À ces chefs d’inculpation s’ajoutent : fraude et tentative de fraude, exploitation de l’influence par une personne occupant un poste parlementaire et incitation d’autrui à faire de fausses déclarations et aveux au moyen de pressions et de menaces, et dissimulation d’objets obtenus suite à un délit.
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Pour ce qui est des 26 autres personnes poursuivies dans ce procès, les accusations varient entre participation à un faux, usage de faux, faux témoignages, dissimulation d’objets obtenus suite à un délit, et participation à un accord en vue de la possession, du trafic, du transport et de l’exportation de drogue.
• Pourquoi le Parquet et l’ADII ont fait appel
Après la fin de l’instruction, le Parquet a fait appel de l’abandon de l’une des charges dont Saïd Naciri et Abdenbi Bioui étaient accusés. Le procureur près la Cour d’appel de Casablanca s’opposait, en effet, à la non-poursuite des deux prévenus, pour “violation des dispositions relatives au mouvement et à la détention de drogues dans la zone douanière” de Casablanca. La Cour d’appel de Casablanca a cependant rejeté la demande. Les chefs d’inculpation sont donc restés les mêmes.
L’Administration des douanes et impôts indirects (ADII) qui s’est constituée partie civile dans cette affaire, avait également fait appel pour les mêmes raisons. Selon nos confrères de Médias24, celle-ci réclamait plus de deux milliards de dirhams aux accusés, conformément aux dispositions du Code des douanes et impôts indirects.
• Quel est le lien avec Latifa Raâfat ?
La légende raconte que le Malien était un véritable Don Juan qui aurait séduit de nombreuses célébrités, dont Catherine Deneuve, Angelina Jolie et une très grande chanteuse marocaine. Cette dernière n’est autre que Latifa Raâfat. La chanteuse populaire l’a elle-même confirmé. Dans une longue vidéo postée le 25 décembre dernier, depuis sa maison de vacances, elle expliquait qu’il “était temps pour elle” de raconter sa vérité sur celui qui a été son mari il y a quelques années. Leur mariage avait eu lieu en janvier 2014.
“Je vais le dire, même s’il n’est pas de votre droit de connaître les détails de cette histoire. Ce monsieur, je l’ai connu exactement quinze jours avant qu’il ne me demande en mariage. Durant ces quinze jours, je l’ai connu en tant qu’homme d’affaires africain venu au Maroc pour y investir. Le roi venait d’ailleurs de visiter le Mali. Je savais qu’il avait des entreprises, des affaires et qu’il avait sa fortune. Je ne le savais pas baron de la drogue. Il m’a demandée en mariage de manière halal et j’ai accepté”, avait affirmé la chanteuse. Le couple avait finalement divorcé, en mai 2014, pour “cause de discorde”.
Pendant l’instruction, la chanteuse a été auditionnée en janvier dernier par le juge. Grâce au témoignage de l’ancienne femme de ménage du Malien, l’implication de Latifa Raâfat aurait été définitivement écartée par la justice.
Le 13 mai dernier, la célèbre artiste a été entendue par le juge d’instruction du tribunal de la Cour d’appel de Casablanca, mais pour d’autres raisons. La chanteuse a dénoncé devant le juge des tentatives de chantage contre elle, et une campagne de diffamation la visant, qui aurait été orchestrée par un journaliste marocain basé en Italie.
“Certains ont cédé au chantage, mais Latifa Raâfat est restée aussi inébranlable que les montagnes de l’Atlas, refusant de se soumettre aux pressions”, a fait savoir son avocat Abdelfattah Zahrach.
• Le PAM dans la tourmente
L’arrestation de Saïd Naciri et Abdenbi Bioui pour leur implication présumée dans cette affaire a mis le Parti authenticité et modernité (PAM) en mauvaise posture. Pour tenter d’éteindre le feu, le bureau politique du parti avait annoncé le gel de l’affiliation partisane des deux hommes. Un gel qui aurait été “auto-initié” par les prévenus eux-mêmes dans l’objectif de “ne pas perturber la voie de l’enquête en cours, et la vérité à laquelle elle aspire, et d’éloigner ainsi le parti et ses institutions des comportements personnels de certains de ses membres, pris dans des contextes où leur statut partisan ou électoral est absent”.
Le parti était alors encore dirigé par le ministre de la Justice et avocat de profession Abdellatif Ouahbi, qui avait défendu Abdenbi Bioui dans une affaire de détournement de fonds publics et fraude en 2019. Condamné à un an de prison ferme en appel, Abdenbi Bioui s’en était finalement sorti indemne, la Cour de cassation ayant décidé d’annuler, en juillet 2022, la décision prononcée en appel.
“Quand un parti est impliqué dans une telle affaire, il devrait être dissous, comme dans tout pays démocratique… Et la loi marocaine prévoit d’ailleurs la dissolution des formations politiques ! Mais nous sommes toujours dans l’attente de la réaction du ministère de l’Intérieur”, a déclaré en avril dernier à TelQuel Safieddine Boudali, l’un des responsables de l’Association marocaine pour la protection des biens publics.
Si le parti n’a pas été dissous, il a renouvelé en février dernier ses instances, à l’issue de son 5e congrès national, tenu à Bouznika. Le PAM a opté pour une présidence collégiale sous la coordination de Fatima Ezzahra El Mansouri, accompagnée de Mohamed Mehdi Bensaid et Salaheddine Aboulghali.