J’ai tout laissé, mais je suis en vie”, dit à l’AFP ce Palestinien âgé de 59 ans, quelques jours après son arrivée dans un centre de réfugiés à Salakovac (Sud). Il a fui avec sa famille son domaine de 16.000 m2 à Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza.
En 1991, il faisait ses études à Sarajevo, comme beaucoup de Palestiniens accueillis à l’époque par la Yougoslavie, dont la Bosnie faisait partie. Le père de son épouse Sutka les encourage à fuir : “Ça va éclater ici”, leur dit-il. Ils décident alors de partir, avec leur fille Dalila.
Tout quitter
Élégante écharpe blanche enroulée autour du cou, Samir El-Barawy raconte s’être occupé pendant des années d’une plantation de fraises sous serres, “à 500 mètres de la frontière israélienne”. Les affaires marchaient bien, il exportait chaque année des milliers de tonnes de fruits, notamment vers l’Europe.
Au cinquième jour de la guerre, déclenchée par l’attaque sans précédent du mouvement islamiste palestinien Hamas contre Israël le 7 octobre, des tracts lancés depuis les airs sont tombés sur Beit Lahia. “On nous a dit de partir vers le sud par la route Salah ad-Din”, qui traverse la bande de Gaza, raconte El-Barawy.
Ils ont passé plus de quarante jours abrités dans une école de l’ONU, avant de parvenir, comme d’autres binationaux et certains blessés, à quitter l’enclave en guerre par le point de passage de Rafah vers l’Égypte.
“Ce qui me reste de vie, je veux le vivre en paix. Il n’y a plus de vie là-bas”
La maison de Samir et Sutka a été visée “au sixième jour de la guerre”, dit-il. “C’était comme un tremblement de terre.” Et ils sont partis une nouvelle fois, cette fois-ci avec leurs deux filles, une de leurs belles-filles et les petits-enfants : ils sont quinze au total.
“On voyait des cadavres le long de la route, des gens morts dans des voitures. Des chiens erraient autour des cadavres. Il y avait une odeur très forte, se souvient Samir El-Barawy. Nous avons décidé de ne plus jamais y revenir. Ce qui me reste de vie, je veux le vivre en paix. Il n’y a plus de vie là-bas.”
Le docteur Ahmed Shahin, évacué lui aussi le 16 novembre avec un groupe de dizaines de personnes — des Bosniens et leurs ayants droit —, avait dans un premier temps pensé la même chose : ne plus jamais rentrer chez lui à Jabaliya, dans le Nord de la bande de Gaza.
“Mais je vais y retourner dès que la guerre se termine”, dit aujourd’hui ce pédiatre âgé de 55 ans qui a fait ses études de médecine en Bosnie, dans les années 1990. Il avait alors obtenu la nationalité bosnienne.
Au début de la guerre, il s’est porté volontaire pour travailler dans l’hôpital indonésien, au nord de la ville de Gaza. Les conditions sont très vite devenues précaires. “Pas de médicaments, des opérations sans anesthésie, des amputations, pas d’eau pour laver, pour stériliser…” Il raconte avoir participé à l’accouchement d’une femme blessée, “au neuvième mois de grossesse”. “Nous avons fait une césarienne pour sauver le bébé. Blessée à la tête, elle est morte.”
“Le monde regarde en direct la destruction des bâtiments pleins d’enfants et de femmes, regarde le sang qui coule alors qu’il est encore tiède. Et il ne fait rien”
Au fur et à mesure de la guerre, “les arrivées de cadavres et de blessés s’intensifient” et il n’arrive plus à tenir. Avec son épouse, leurs trois filles et leur fils de 17 ans, souffrant d’une “paralysie totale”, ils ont quitté “il y a une dizaine de jours” leur maison, où leur fils aîné, Ali, a été tué par un missile aérien en juillet 2014, lors d’une précédente guerre entre le Hamas et Israël. “Il aurait eu 23 ans aujourd’hui”, dit-il.
Ce qui se passe à Gaza est “une honte planétaire”, accuse le docteur Shahin, en retenant ses larmes. “Le monde regarde en direct la destruction des bâtiments pleins d’enfants et de femmes, regarde le sang qui coule alors qu’il est encore tiède. Et il ne fait rien. Ce n’est pas juste.”
Environ 240 personnes ont été enlevées en Israël le 7 octobre, lors de l’attaque du Hamas qui a causé la mort de 1200 personnes, en grande majorité des civils, selon les autorités israéliennes. Depuis, Israël a juré d’“anéantir” le mouvement islamiste, et pilonne sans relâche la bande de Gaza.
Une trêve humanitaire de quatre jours à Gaza est entrée en vigueur ce vendredi, après 48 jours de bombardements israéliens qui ont fait plus de 14.800 victimes, dont 6150 enfants, selon le gouvernement du Hamas.